France : l’investissement prêt à repartir ?

par Hélène Baudchon, économiste chez BNP Paribas

Il manque encore un ingrédient pour être sûr que la reprise qui se profile ne fera pas long feu : il s’agit du redémarrage de l’investissement des entreprises.

Que celui-ci tarde un peu est, pour le moment, dans l’ordre des choses. Les signes de reprise sont encore trop récents et timides pour relancer l’investissement.

Un grand nombre des conditions propices à un redémarrage sont toutefois réunies.

L’enquête d’avril 2015 sur les investissements dans l’industrie est notamment de bon augure, avec une hausse anticipée de 7% en valeur cette année.

L’investissement des entreprises, plus précisément sa faiblesse, est au centre de l’attention aujourd’hui. Alors que la consommation des ménages donne des signes de redressement depuis quelques mois (à la faveur de la chute passée des prix du pétrole) et que les exportations s’orientent également plus favorablement (à la faveur de la baisse de l’euro et d’une hausse de la demande adressée), on n’a pas trace, pour le moment, d’un redémarrage équivalent de l’investissement des entreprises. Or, sans ce redémarrage, la reprise qui se dessine fera long-feu.

A ce stade toutefois, l’absence de signes de redémarrage de l’investissement productif est dans l’ordre des choses. D’une part, sa faiblesse résulte de la faiblesse de la croissance1. D’autre part, l’investissement tend à redémarrer avec un temps de retard par rapport à l’activité. C’est le mécanisme de l’accélérateur: la croissance impulse l’investissement. Et le redémarrage de celui-ci vient ensuite conforter celui de l’activité, par le mécanisme du multiplicateur. C’est pour cela que l’investissement apparaît aujourd’hui comme la variable clé de la reprise. Son redressement serait le signe non seulement de l’amélioration des perspectives de demande mais aussi d’une plus grande certitude à ce sujet et d’un vrai regain de confiance. Il ne suffit pas d’anticiper une croissance plus forte, il faut aussi que le degré élevé d’incertitude économique et de défiance diminue. C’est cette combinaison (manquante jusqu’ici) d’une confiance accrue en une croissance future plus forte qui relancera l’investissement2. Enfin, et surtout, le redémarrage de l’investissement est aussi important en ce qu’il préfigure celui de l’emploi et c’est ce redémarrage de l’emploi qui conférera à la reprise son caractère auto-entretenu.

Dans sa dernière note de conjoncture, en date du mois de mars, l’INSEE s’est montré très prudent dans ses prévisions d’investissement des entreprises non financières (ENF), attendu stable au premier semestre 2015. Pour l’INSEE, du fait des indications contrastées des enquêtes de conjoncture alors disponibles, il n’y avait pas matière à envisager un rebond. Dans l’enquête trimestrielle de janvier 2015 sur les investissements dans l’industrie, les entreprises se montraient certes un peu plus optimistes dans leurs projets. Mais dans l’enquête mensuelle de mars sur le climat des affaires dans les services, c’est le pessimisme qui prévalait s’agissant des perspectives d’investissement.

Sur la base des enquêtes parues depuis, la balance penche plus nettement en faveur d’un rebond. Dans l’enquête mensuelle de conjoncture d’avril, le solde d’opinion relatif aux investissements prévus a corrigé sa détérioration du mois précédent. Surtout, l’enquête d’avril sur les investissements dans l’industrie, publiée cette semaine, confirme et accentue le début de mieux observé dans l’enquête de janvier : les chefs d’entreprise anticipent désormais une hausse de 7% de leur investissement en 2015, relevant de quatre points leur estimation de janvier. Certes, ces prévisions ne doivent pas être prises pour argent comptant. Le champ de l’enquête est assez restreint puisqu’elle ne couvre que les investissements dans l’industrie, soit environ un quart de l’investissement productif. De plus, d’une enquête à l’autre, les révisions des prévisions peuvent être sensibles, atténuant au passage leur pouvoir prédictif. L’INSEE a cependant développé un indicateur de révision, exploitant justement l’évolution des prévisions pour en tirer une information conjoncturelle significative sur les anticipations des industriels. Et d’après l’INSEE, cet indicateur (bien orienté aujourd’hui) est bien corrélé avec la variation trimestrielle de l’investissement des ENF. Par ailleurs, l’intérêt de cette enquête ne réside pas uniquement dans ses prévisions d’investissement : elle contient bien d’autres éléments utiles à l’analyse, notamment celle d’avril, qui interroge les industriels sur leurs motivations à investir et sur les capacités de production, et celle d’octobre qui se penche aussi sur les facteurs influençant l’investissement.

En tout cas, ces prévisions donnent une bonne indication de la tendance et les résultats des deux dernières enquêtes sont de bon augure. On peut peut-être y voir un début d’effet de l’annonce, le 8 avril 2015, du train de mesures visant à relancer l’investissement, notamment des entreprises mais aussi des ménages et des administrations publiques, pour un coût total estimé à EUR 2,5 milliards sur 2015-2017. La mesure phare pour les entreprises consiste en un coup de pouce fiscal, sous la forme d’un suramortissement de 40% des investissements de type industriel, réalisés entre le 15 avril 2015 et le 15 avril 2016, qui vient en déduction des impôts. Si les limites de cette mesure apparaissent vite (effet d’aubaine, stimulus ponctuel et ciblé, impact marginal du fait de la faiblesse des montants engagés et de l’influence limitée sur l’investissent du coût du capital, par ailleurs déjà réduit grâce à la baisse des taux d’intérêt), elle n’en est pas moins opportune.

Si l’investissement est en voie de redressement, cette bonne nouvelle est quelque peu tempérée par les motivations économiques des chefs d’entreprise. Près de 30% des investissements restent en effet destinés au seul renouvellement des équipements. Certes 25% ont pour motif leur modernisation mais seulement 12% concernent l’introduction de nouveaux produits. Non seulement l’investissement français intègre trop peu de progrès technique mais, en plus, le stock de capital est vieillissant, et cela pèse sur la croissance potentielle. Ce vieillissement se voit dans la part très élevée des équipements déclassés pour usure (56%). On ne s’inquiétera pas en revanche de ce que les investissements d’extension soient peu prisés : c’est normal au regard du bas niveau du taux d’utilisation des capacités de production (TUC).

Notre scénario d’un redémarrage de l’investissement productif à compter du deuxième trimestre 2015 est conforté. Nous anticipons une progression assez marquée (1,4% en 2015 en moyenne annuelle puis 5% en 2016) mais sous contraintes. Le potentiel de hausse du taux d’investissement des ENF ne semble, en effet, pas très important. Son niveau n’est pas si déprimé ; il n’a pas baissé tant que cela depuis 2011 : à près de 12% du PIB, il est à un niveau comparable à son pic de la fin des années 1990 et à seulement 1 point de celui de 2008. Comme déjà évoqué plus haut, les capacités de production dans l’industrie sont largement sous-utilisées : à presque 82%, le TUC reste sensiblement en-deçà de sa moyenne de 85% observée entre 1994 et 2007. Du côté du financement, les entreprises ne devraient pouvoir actionner le levier de l’endettement que de manière limitée au regard du niveau déjà élevé de leur taux d’endettement pour les standards français (67% du PIB) et dans un contexte qui reste au deleveraging. Elles sont contraintes également par un faible taux d’autofinancement (80% fin 2014). Une forme modérée d’effet d’éviction par le financement de la dette publique n’est pas à exclure non plus.

D’un autre côté, de nombreuses conditions propices à un redémarrage de l’investissement productif sont réunies. La première d’entre elles est le redressement de la demande (interne via la consommation des ménages et externe via les exportations). La restauration des marges qui se dessine (grâce à la baisse des prix du pétrole et aux divers allègements de charges et d’impôts dans le cadre des pactes de compétitivité et de responsabilité) est un autre élément favorable. S’y ajoutent : l’amorce d’un redressement du TUC (dont l’évolution compte au moins autant que le niveau), celui du crédit, le très bas niveau des taux d’intérêt et des conditions monétaires et financières favorables (le rallye boursier est propice à investir dans du capital physique plutôt que dans du capital financier plus onéreux). Par ailleurs, si l’heure n’est pas encore aux investissements de capacité, il y a un réel besoin d’investissements de productivité. Enfin, la France pourra aussi compter sur des retombées du plan Juncker.

La Commission européenne, qui vient de mettre à jour ses prévisions de croissance, se montre un peu plus optimiste pour 2015 que dans son précédent jeu de prévisions et que le gouvernement (croissance prévue à 1,1% au lieu de 1%) et un peu moins optimiste que nous (1,2%). Pour 2016, elle a néanmoins revu en baisse de 0,1 point sa prévision, à 1,7%. Nous tablons sur 1,8%. Une petite partie de l’écart vient de sa prévision d’investissement, un peu moins rapide. Le mot de la fin sera pour l’indicateur conjoncturel du jour, qui vient alimenter les signes de reprise : il s’agit du chiffre de mars de la production manufacturière, en hausse de 0,3% m/m et de 0,8% t/t sur l’ensemble du premier trimestre.

NOTES

  1. Cf. le chapitre consacré à ce sujet dans le dernier World Economic Outlook du FMI paru en avril 2015.
  2. Cf. l’étude de la BRI sur la faiblesse de l’investissement dans sa revue trimestrielle de mars 2015.

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