France : pourquoi le solde des paiements courants se dégrade-t-il depuis plus de 10 ans ?

par Benoit Heitz, Economiste chez Société Générale

Le solde extérieur courant de la France s’est nettement dégradé entre 1999 et 2012, passant d’un excédent de 35 Mds EUR à un déficit de 40 Mds EUR environ.

Cette évolution peut être expliquée par la dégradation du solde commercial de la France. Elle peut également se lire à travers le prisme de l’évolution de l’équilibre interne du financement de l’économie: la dégradation du solde courant s’explique alors par l’accroissement important du déficit public et des besoins de financement des sociétés non financières.

En particulier, depuis la crise, le besoin de financement des sociétés non-financières a fortement augmenté : leur investissement et leurs effectifs ne se sont en effet, jusqu’ici, ajustés que partiellement à la baisse de l’activité.

Ce désajustement de la situation financière des entreprises a eu jusqu’ici pour contrepartie un soutien au revenu des ménages et, partant, à leur consommation. Toutefois, il constitue désormais un facteur de risque pour la croissance : sa correction rapide pourrait provoquer une baisse marquée de l’investissement privé et de l’emploi.

Le solde courant de la France ne cesse de se dégrader depuis 10 ans

Depuis un point haut atteint en 1999, le solde extérieur courant de la France ne cesse de se dégrader. Selon la définition de la comptabilité nationale1, il est ainsi passé d’un excédent de 35 Mds EUR en 1999 (soit 2,6% du PIB) à un déficit de 42MdsEUR en 2012 (- 2,1 % du PIB).

– Une dégradation quasi-continue du solde commercial…

Lorsque l’on considère les équilibres extérieurs de la France, l’explication de la dégradation du solde extérieur courant apparait clairement : elle provient de la dégradation du solde commercial (des échanges de biens et de services). En effet, ce dernier est passé d’un excédent de 29 Mds EUR en 1999 à un déficit de 45 Mds EUR en 2012, expliquant ainsi quasi intégralement la dégradation de 77 Mds EUR du solde extérieur courant.

Lorsque l’on regarde ce solde commercial de la France plus en détail, il ressort que sa dégradation provient de deux phénomènes bien connus :

  • L’alourdissement de la facture énergétique de la France, du fait notamment de la hausse du prix du baril de pétrole qui est passé de 17 EUR en 1999 à 87 EUR en 2012.
  • La dégradation du solde des échanges de produits manufacturés, ce qui renvoie au débat sur la perte de compétitivité de l’industrie française

– …Ou une aggravation des besoins de financement des administrations et des entreprises

Selon la deuxième lecture possible, une dégradation du solde extérieur courant traduit une baisse de la capacité de financement de l’économie nationale. On observe alors que cette évolution provient d’une forte augmentation des besoins de financement des sociétés non financières et des administrations publiques, qui n’a été que très partiellement compensée par la hausse des capacités de financement des ménages et des sociétés financières.

En d’autres termes, la hausse de l’épargne des ménages et des sociétés financières n’a pas permis de financer le gonflement du déficit des administrations et la baisse de l’autofinancement de l’investissement des sociétés non financières.

La situation financière des entreprises s’est tendue depuis la crise

Néanmoins, cette évolution globale sur toute la période 1999-2011 recouvre trois réalités distinctes : l’avant- crise, la crise de 2008-2009 et enfin la phase 2010- 2011.

– Avant la crise, un effort croissant d’investissement des entreprises et un déficit public qui se creuse

Entre 1999 et 2008, la dégradation du solde extérieur courant de la France, qui passe d’un excédent de 35 Mds EUR à un déficit de 37 Mds EUR, provient de deux facteurs distincts.

Premièrement, le solde public se dégrade significativement. Ainsi, alors qu’il était d’environ 1,5 % du PIB entre 1999 et 2001, il oscille ensuite autour de 3 % entre 2002 et 2008, avec un pic à 4,1 % du PIB en 2003. Au total, cette dégradation des finances publiques explique à hauteur de 40 Mds EUR la baisse du solde courant entre 1999 et 2008.

Deuxièmement, le besoin de financement des sociétés non financières s’accroit sensiblement à partir de 2004, sous le coup d’une hausse rapide de leur investissement. En effet, sur ces années, la progression de l’investissement des entreprises a été sensiblement plus prononcée que celle de leur activité. Cela s’est par conséquent traduit par une hausse de leur taux d’investissement qui a atteint, en 2008, un plus haut depuis 1974. Au total, le besoin de financement des sociétés non-financières est passé de 11 Mds EUR en 2003 à 58 Mds EUR en 2008.

En revanche, sur l’ensemble de cette période, au-delà de variations parfois importantes, la capacité de financement des ménages reste globalement assez stable et la capacité de financement des sociétés financières ne progresse que faiblement.

– Au plus fort de la crise, chute de l’investissement des entreprises et bon du déficit public

En 2009, sous l’effet de la crise, les évolutions ont été très brutales sur chacun des agents économiques. Mais, au total, cela s’est traduit par une interruption de la dégradation du solde extérieur courant de la France.

Ainsi, le déficit public de la France s’est envolé, sous le coup de la chute des recettes dans le sillage de la forte dégradation de l’activité, d’une part, et de la mise en œuvre du plan de relance, d’autre part. Le déficit public est alors passé de 3,5 % du PIB à 6,4 % du PIB, soit un creusement de près de 80 Mds EUR.

Cet alourdissement du besoin de financement public a néanmoins été compensé par l’amélioration de la capacité de financement des autres secteurs.

Ainsi, confrontés à la crise, les ménages ont fortement accru leur épargne, leur taux d’épargne progressant de près d’un point sur l’année, et ils ont sensiblement réduit leur investissement2. Ils ont ainsi dégagé une capacité de financement supplémentaire de plus de 30 Mds EUR.

Les sociétés non financières ont été confrontées à la baisse de leur épargne, du fait de la chute de l’activité, mais, surtout, elles ont fortement coupé dans leurs investissements et elles ont réduit leurs stocks. Par conséquent, elles ont fortement réduit leur besoin de financement sur l’année, de plus de 40 Mds EUR.

Enfin, les sociétés financières ont accru leur épargne de près de 10 Mds EUR, la baisse des taux d’intérêt à court terme ayant amélioré leurs marges3.

– Depuis la crise, une nette dégradation de la situation financière des entreprises

Depuis la crise, le déficit courant de la France s’est de nouveau creusé, pour s’établir à 42 Mds EUR en 2012, après un pic à 49 Mds EUR en 2011.

Cette dégradation provient essentiellement de l’augmentation des besoins de financement des sociétés non-financières, de plus de 40 Mds EUR. Elle tient également à un repli de la capacité de financement des ménages, à hauteur de plus de 10 Mds EUR : leur épargne est restée stable alors que leur investissement s’est redressé. En revanche, elle a été limitée par le début d’assainissement des finances publiques, qui a réduit le besoin de financement de l’État de plus de 40 Mds EUR.

La forte augmentation du besoin de financement des sociétés non financières résulte d’un effet de ciseau entre, d’une part, une érosion de leurs marges et, d’autre part, un investissement qui est reparti nettement à la hausse puis s’est stabilisé en 2012 malgré un environnement économique peu favorable et incertain.

Ainsi, le taux d’investissement des sociétés non financières a quasiment renoué en 2011 et 2012 avec le niveau record de 2008 alors que leur taux de marge est en 2012 retombé au plus bas depuis 1985, tout comme leur taux d’autofinancement.

La situation des entreprises fait peser un risque sur l’activité

– Un ajustement jusqu’ici partiel de l’emploi et de l’investissement à l’activité

Cette dégradation de la situation financière des entreprises peut s’expliquer par l’ajustement, seulement partiel, à l’activité de deux facteurs : d’une part, les sociétés non financières ont fortement investi au regard de la faiblesse de leur activité, ce qui s’est traduit par un taux d’investissement record ; d’autre part, l’ajustement de l’emploi a été limité au regard de la chute de l’activité, puis de la faiblesse de son rebond (cf. graph. 6).

Ainsi, sur les années 2008 à 2012, la productivité du travail dans le secteur marchand non agricole a globalement stagné alors qu’elle avait progressé en moyenne de 1,3 % par an sur la décennie précédente. Par conséquent, l’emploi dans les entreprises ne s’étant ajusté que partiellement à la baisse de leur activité, leur rentabilité s’est dégradée. Et, en contrepartie, le partage de la valeur ajoutée s’est déformé au profit de la rémunération des salariés : la part de celle-ci est ainsi passée d’environ 65 % avant crise à près de 68 % en 2012.

– Un ajustement plus marqué pèserait fortement sur l’économie

Ces désajustements de l’investissement et de l’emploi sont de nature à faire peser un risque important à l’économie française.

Certes, une première façon de les résorber serait le retour d’une croissance forte. Des créations d’emplois mesurées et une hausse contenue de l’investissement permettraient alors de revenir progressivement à une situation plus équilibrée, avec des entreprises qui restaureraient progressivement leur profitabilité. Malheureusement, au vu de la conjoncture actuelle, un tel scenario apparait peu probable.

Une autre trajectoire possible serait nettement plus pénalisante. En effet, à activité donnée, il faudrait que les entreprises réduisent leur investissement et l’emploi. Du fait de l’importance des désajustements initiaux, ces réductions seraient potentiellement de grande ampleur. Ainsi, pour ramener leur taux d’investissement à son niveau moyen prévalant dans la décennie avant crise, il faudrait que les sociétés non financières baissent leur investissement de près de 7 %, soit l’équivalent de 0,7 point de PIB. Et pour rattraper le retard de productivité accumulé sur les quatre dernières années par rapport à la tendance prévalant sur la décennie précédente, il faudrait réduire l’emploi salarié marchand non agricole de plus d’un million de postes.

– Mais ce désajustement a, en contrepartie, soutenu le revenu des ménages

Sur l’ensemble de la période considérée, le revenu des ménages a crû plus rapidement que le PIB nominal, de l’ordre de 0,3 point de pourcentage par an, ce qui est une autre traduction de la déformation du partage de la valeur ajoutée en faveur des ménages. Cette déformation a ainsi permis une hausse relativement plus soutenue, par rapport au PIB, de la consommation des ménages malgré une hausse concomitante du taux d’épargne.

À ce premier facteur de soutien du revenu des ménages s’est ajouté pendant la crise l’effet des stabilisateurs automatiques et des mesures budgétaires de relance.

La relativement bonne résilience de la situation des ménages s’est donc faite au détriment des entreprises et des finances publiques: le taux de marge des entreprises a sensiblement baissé alors que la situation des finances publiques s’est dégradée.

On retrouve donc bien l’analyse fondamentale d’une dégradation de la balance courante au niveau de la nation : elle traduit un déficit d’épargne nationale par rapport à l’investissement. Dans le cas de la France, il s’agit d’un surcroît de consommation, puisque l’on observe une hausse de 3,0 points du poids de la consommation (publique et privée) dans le PIB sur la période considérée, mais également, dans une moindre mesure, d’un surcroît d’investissement, son poids ayant progressé de 1,5 point. En cohérence avec ce qui précède, la contrepartie en a été une baisse du poids du commerce extérieur net dans le PIB, qui de positif est devenu négatif.

NOTES

  1. Selon la définition de la balance des paiements, qui diffère légèrement, le solde extérieur courant est passé d’un surplus de 43Mds€ en 1999 à un déficit de -47Mds€ en 2012. Nous avons privilégié dans cette étude la définition de la comptabilité nationale car c’est la seule qui permet de retracer de manière cohérente les évolutions de la balance courante selon deux manières différentes mais équivalentes, tournées l’une vers les équilibres extérieurs de l’économie et l’autre vers ses équilibres intérieurs
  2. Il s’agit essentiellement de l’achat de logements neufs par les ménages
  3. Ce résultat n’est pas contradictoire avec la forte dégradation des résultats des entreprises financières sur la même période. En effet, les pertes réalisées, du fait de la crise, sur leurs investissements n’ont pas d’impact en comptabilité nationale sur leurs revenus ou leur épargne mais directement sur leur patrimoine.