France : scénario 2010-2011

par Jean-Christophe Caffet, Rova Ramandraivonona et Adèle Renaux, économistes chez Natixis

L’exercice 2009 s’est soldé, en France comme dans la plupart des pays développés, par un recul sans précédent de l’activité (-2,2%), lié pour l’essentiel à la crise de liquidité et aux six mois cauchemardesques qui ont suivi la faillite de Lehman Brothers (sept. 2008). Le léger rebond observé au T2, confirmé au T3, et la « bonne surprise » du T4 2009 ont ensuite permis de renouer avec un certain optimisme et fait naître, peut-être prématurément, les problématiques dites « de sortie de crise ».

S’il ne fait aucun doute que « le pire est passé », les incertitudes restent en effet très fortes – la dispersion du consensus en témoigne – et nous incitent à la plus grande prudence dans l’exercice de prévisions. Nous revenons ici sur les principales composantes de notre scénario sensiblement plus pessimiste que la moyenne du consensus pour 2010 et, surtout, 2011 :

  • Particulièrement robuste pendant la crise, la consommation des ménages devrait nettement faiblir à court terme, prise en étau entre le ralentissement persistant de la masse salariale, la fin du stimulus budgétaire et le retour en territoire positif de l’inflation.
  • L’investissement devrait rester durablement atone, pénalisé par la fin du cycle d’endettement des agents privés et les fortes surcapacités du système productif.
  • Le commerce extérieur resterait neutre sur la croissance, la faiblesse de la demande dans les pays du G7 ne permettant pas de redémarrage pérenne des exportations françaises. La véritable reprise ne se produirait qu’en 2011, l’analogie entre nos prévisions de croissance pour les deux années (calendaires) à venir (+1,1%) étant le résultat d’effets d’acquis – favorables fin 2009, défavorables fin 2010.

Retour sur 2009 : la plus forte récession depuis l’après-guerre

L’année 2009 restera dans les mémoires comme une année noire en terme d’activité. Après une croissance quasi-nulle en 2008 (+0,3%), le PIB s’est en effet contracté de 2,2%, soit la plus forte récession enregistrée depuis l’après-guerre. Tous les secteurs d’activité ont été concernés, au premier rang desquels l’industrie manufacturière dont la valeur ajoutée s’est contractée de plus de 10% sur l’ensemble de l’année. Côté demande, seules les consommations privée et publique ont contribué positivement à la croissance (+0,9% et +1,7% respectivement), le très fort ajustement de la production se matérialisant par un recul sans précédent de l’investissement (-6,9%) et un déstockage massif des entreprises (-1,4 point de PIB). Parmi les pays développés, l’économie française s’en est toutefois « mieux sortie » que ses homologues européennes, américaines ou japonaises, pour des raisons que nous avons déjà abondamment commentées (poids du choc subi et ampleur de la réaction budgétaire, stabilisation par le budget et le commerce extérieur, part de l’emploi public, protection sociale…1).

Aussi l’économie française a-t-elle fini l’année 2009 en tête de peloton des pays de la zone euro (+0,6% T/T), permettant ainsi à l’Union d’enregistrer une croissance légèrement positive au T4 (+0,1% T/T). Les motifs de satisfaction nous paraissent néanmoins très minces dans la mesure où cette bonne performance doit tout à des phénomènes transitoires2 (prime à la casse et variations de stocks), raison pour laquelle nous restons relativement pessimistes pour les deux années à venir.

Une demande intérieure durablement déprimée

Notre scénario de fond – une croissance du PIB durablement molle – provient dans une large mesure de nos prévisions de demande intérieure. La bonne tenue de la consommation des ménages en 2009 (+0,9%) s’explique en effet essentiellement par des facteurs temporaires (forte désinflation, transferts sociaux, baisses d’impôts, prime à la casse3…) qui ne joueront plus, ou très peu, à l’horizon de prévision, tandis que les déterminants fondamentaux (masse salariale principalement) resteront mal orientés.

L’emploi cesserait progressivement de se dégrader…

Les destructions d’emplois devraient se poursuivre tout au long de 2010, s’affichant néanmoins en net retrait par rapport à 2009. Celles-ci ont été particulièrement violentes l’année dernière (-2,4% dans le champ SMNA, -1,2% pour l’emploi total) si bien que le cycle de productivité français parait légèrement avancé par rapport aux autres grands pays de la zone Euro (hors Espagne). Au vu des cycles de productivité sectorielle, les destructions d’emplois seraient essentiellement localisées dans l’industrie manufacturière et, dans une moindre mesure, certaines branches des services marchands (commerce principalement) ainsi que dans la construction (où les destructions d’emplois ont été relativement tardives). Nous chiffrons les destructions d’emplois à venir autour de 80/100K pour l’ensemble de l’économie. L’emploi ne se redresserait ensuite que très modérément courant 2011 (+0,2% en moyenne). Aujourd’hui à mi-chemin entre le point bas du T1 2009 et son dernier pic cyclique (T1 2008), la productivité par tête devrait ainsi évoluer en ligne avec sa tendance de long terme – qu’elle devrait d’ailleurs rejoindre au premier semestre 2010.

Ces destructions d’emplois, concentrées sur 2010, devraient provoquer une hausse du taux de chômage de l’ordre de 0,5 point. Probablement proche de 9,5% fin 2009 (France métropolitaine), celui-ci s’afficherait à 10,1% dans un an, une prévision cohérente avec une loi d’Okun appliquée au cas français (au total : un taux de chômage en hausse de 3 points en trois ans, pour un output gap se creusant d’environ 6 points de PIB sur la période).

… l’ajustement passant davantage par les salaires

Si nos prévisions d’emplois peuvent paraître relativement conservatrices (la productivité par tête restant sur sa tendance de long terme), nous sommes nettement moins optimistes s’agissant de l’évolution des salaires. La forte hausse du chômage depuis deux ans, la stabilité des prix (en moyenne) observée en 2009 et l’absence probable de reprise significative de l’emploi courant 2011 plaident en effet, dans un contexte de profitabilité dégradée, pour un ralentissement continu des salaires (+1,4% en 2010, +1,1% en 2011)4. Pour mémoire, ceux-ci avaient perdu 5 points en termes nominaux (3 points en termes réels) lors de la forte hausse du chômage (+3 points également) enregistrée pendant la crise du début des années 90.

Ainsi, après avoir vigoureusement augmenté ces deux dernières années (+2,9% en 2008, +2,5% en 2009), les coûts salariaux unitaires reculeraient sensiblement en 2010 (-0,5%) avant de se stabiliser en 2011 (+0,1%). L’inflation sous-jacente évoluerait en ligne avec les coûts salariaux, l’inflation totale restant pour sa part légèrement supérieure, soutenue par la hausse des prix des matières premières5. Elle ôterait un point au pouvoir d’achat du revenu disponible des ménages en 2010 et en 2011.

Les dépenses de consommation des ménages fléchiraient donc nettement

Le revenu disponible étant amené à évoluer davantage en ligne avec les revenus salariaux des ménages, les marges de manœuvre pour la consommation privée nous paraissent par conséquent très limitées. Dans la mesure où la hausse du taux d’épargne devrait être quasiment parvenue à son terme6 (proche de 17% en moyenne en 2010 et 2011), la consommation privée augmenterait de 0,9% en 2010 (essentiellement par effet d’acquis), 0,9% en 2011 (malgré une dynamique de court terme plus favorable). Les premiers chiffres disponibles pour le mois de janvier semblent d’ailleurs confirmer ce scénario avec une forte baisse des dépenses des ménages en produits manufacturés (-2,7% M/M) liée au recul très prononcé des achats de voitures neuves (-16,6% M/M). La hausse observée du côté des dépenses en équipement du logement ne nous semble pour sa part que peu durable, liée dans une large mesure au rebond temporaire des transactions immobilières après le gel quasi-total du marché au premier semestre 2009.

Vers une stabilisation de l’investissement logement ?

Après la très forte baisse observée en 2009 (-8,1%), bien plus brutale que lors des précédents cycles immobiliers, nous pensons que l’investissement logement devrait continuer de baisser en 2010 avant de se stabiliser en 2011. Dans un contexte de ralentissement du revenu, de hausse du chômage (donc des défauts) et de stabilisation du taux d’endettement des ménages, on voit mal en effet comment l’investissement logement pourrait repartir à la hausse dès cette année. La demande de crédit, en forte hausse d’après les dernières enquêtes disponibles, et la légère hausse des flux observée fin 2009 pourraient néanmoins suggérer que le cycle est sur le point de s’inverser. Il nous semble qu’il s’agit davantage d’un simple rebond technique lié à celui des transactions après l’effondrement de ces dernières il y a un an. Le rebond récemment observé du côté des permis de construire et des mises en chantier7 (après un recul de plus de 40% sur deux ans), conjointement à la forte contraction des stocks de logements neufs depuis le point haut du troisième trimestre 2008, plaide néanmoins pour un redressement progressif de la valeur ajoutée dans la construction. Nous prévoyons une nouvelle contraction de l’ordre de 4,5% de l’investissement des ménages en 2010, avant une stabilisation en moyenne en 2011 (+0,4%).

L’investissement productif ne commencerait à se redresser qu’en 2011

Côté entreprises, les perspectives d’investissement nous semblent là aussi relativement déprimées malgré le très fort recul déjà enregistré en 2009 (-7,7%). Si les dernières enquêtes disponibles suggèrent un léger rebond en 2010, nous prévoyons pour notre part une stabilisation, en dynamique, des dépenses d’investissement, qui s’afficheraient de nouveau en recul de 1,5% en moyenne sur l’année. Les perspectives de débouchés restent en effet particulièrement incertaines (voir plus loin) tandis que les capacités de production restent manifestement sous-utilisées.

Si l’offre de crédit aux entreprises a cessé de se durcir au premier semestre 2009, puis s’est même significativement assouplie au second semestre, la demande de crédit n’a clairement pas redémarré. Les derniers chiffres publiés par la Banque de France suggèrent que celle-ci est repassée en zone d’expansion au dernier trimestre 2009 (de justesse), mais le détail de l’enquête montre que ce léger surcroît de demande est essentiellement motivé par des problématiques de restructuration de dette, et non par un quelconque besoin de financement d’investissements.

Les dispositions fiscales prévues dans la loi de finance pour 2010 (suppression de la taxe professionnelle notamment8) devraient toutefois permettre de stabiliser l’investissement des entreprises en 2010, avant un probable redémarrage en 2011.

Nous prévoyons une baisse de 1,5% de la FBCF des SNF en 2010 (essentiellement par effet d’acquis) avant une progression proche de 3% en 2011. Le taux d’investissement continuerait ainsi de baisser très légèrement à court terme avant de se redresser courant 2011, tandis que le taux d’autofinancement des SNF resterait proche de sa moyenne de long terme (80%).

Peu de soutien à attendre du commerce extérieur

Le commerce extérieur ne devrait pas pénaliser la croissance au cours des prochains trimestres en raison, essentiellement, de l’atonie persistante de la demande intérieure française (donc des importations). Côté exportations, nous restons toutefois relativement pessimistes pour des raisons similaires chez nos principaux partenaires commerciaux, au moins en 2010. L’essoufflement des plans de relance, conjugué à la faiblesse chronique de la demande (marché du travail, désendettement…) plaide en effet pour une rechute des exportations au second semestre 2010. L’orientation géographique des exportations françaises (forte prépondérance de l’UE et très faible présence dans les régions dynamiques d’Asie du Sud Est, n’incite d’ailleurs pas nécessairement à l’optimisme. En 2011 en revanche, le rebond attendu de la consommation des ménages allemands et le redressement progressif de l’investissement productif dans les pays développés tireraient les exportations françaises à la hausse, pour une contribution du commerce extérieur croissance nulle sur l’ensemble de l’année (après -0,2 pt de PIB en 2010).

Rappelons toutefois que notre scénario central, en particulier s’agissant du commerce extérieur, est soumis à un certain nombre d’incertitudes au premier rang desquelles figurent naturellement l’évolution du change et celle de la demande mondiale9.

Finances publiques : la consolidation débuterait en 2011

Le déficit public devrait s’afficher à 7,9% du PIB en 2009. La loi de finance rectificative pour 2010 prévoit un déficit en légère hausse en 2010, à 8,2% du PIB. Nous partageons cette prévision : les effets conjugués des mesures inscrites en loi de finance (réforme de la taxe professionnelle, impact Maastrichtien du Grand Emprunt…), le contrecoup du plan de relance et la légère ouverture du déficit cyclique cette année devraient en effet tirer à la hausse de 0,3 point de PIB le déficit de l’ensemble des administrations publiques.

Nous sommes en revanche plus sceptiques sur l’évolution du solde en 2011 – une baisse de 2,2 points du déficit public, à 6% du PIB, d’après les dernières prévisions transmises à la Commission Européenne (programme de stabilité). Les hypothèses sous-jacentes à cette prévision nous semblent en effet très optimistes, notamment en termes d’activité (avec une croissance bien supérieure à son potentiel, à +2,5%) et de revenus salariaux (avec une masse salariale en vive reprise, à +3,5%). Si l’amélioration du solde public lié au contrecoup de la réforme de la taxe professionnelle en 2010 (+0,4 point de PIB) devrait permettre d’absorber l’ouverture de même ampleur du déficit cyclique l’an prochain (selon nos prévisions), la résorption du déficit structurel prévue dans le programme de stabilité (-1,8 point de PIB) nous semble pour sa part excessive. Celle-ci suppose en effet une hausse « spontanée » de près d’un point du taux de prélèvement obligatoire (de 41% à 41,9%)10 et une baisse de même ampleur des dépenses rapportées au PIB (soit une stabilité en volume des dépenses de l’ensemble des administrations publiques11). L’écart entre notre prévision de déficit public (7,2% du PIB) et celle du gouvernement (6%) semblerait provenir, pour plus de la moitié, de nos prévisions de croissance bien plus pessimistes en termes d’évolution de la masse salariale.

Etant données nos prévisions de croissance et de prix du PIB en 2010/2011, l’écart entre nos prévisions de déficit public et le solde stabilisant ferait progresser le stock de dette de plus de 10 points de PIB en deux ans, à plus de 88% en 2011.

NOTES

  1. Voir notamment : Flash n°2009-372 : Pourquoi la France résiste-t-elle mieux à la crise que les autres grands pays européens?, Special Report n°2009-334 : A quoi attribuer la meilleure résistance de l´économie française ? La France sauvée par ses handicaps structurels et Special Report n° 2010-14 : Recul du PIB dans la crise et caractère plus ou moins cyclique des économies.
  2. Pour plus de détails, voir Special Report n° 2010-49 : Croissance en zone euro : nouveau ralentissement au T4.
  3. Les ventes de voitures (un peu moins de 6% du total des dépenses des ménages) expliquent à elles seules la moitié des dépenses de consommation en 2009.
  4. Les résultats des premières négociations salariales (en Allemagne notamment, en Espagne…) plaident même pour une modération salariale encore plus prononcée.
  5. Voir Commo hebdo n° 2010-08 pour nos dernières prévisions de prix des matières premières.
  6. Avec la stabilisation progressive du taux de chômage, des déficits publics et de l’inflation. Les dernières enquêtes menées auprès des ménages montrent à cet égard que si ceux-ci jugent opportun d’augmenter leur taux d’épargne, ils nourrissent toujours des doutes sucapacité à le faire. De même l’indice des « opportunités d’achat » a perdu 3 point en février, soit sa plus forte baisse depuis octobre 2008.
  7. Interrompu toutefois par la rigueur de l’hiver.
  8. La taxe professionnelle est remplacée par une contribution économique territoriale (CET) composée, d’une part, d’une cotisation locale d’activité (CLA) assise sur les bases foncières, et d’autre part, d’une cotisation complémentaire (CC) assise sur la valeur ajoutée des entreprises. Pour plus de détails, voir Flash n°2009-437 : France – projet de loi de finances 2010 : un retour à l’équilibre exclu avant 2017.
  9. A cet égard, une mauvaise surprise sur le commerce mondial n’est pas à exclure dès le premier trimestre 2010. Voir Flash n°2010-65 : « La reprise du commerce mondial probablement interrompue au premier trimestre 2010 »
  10. Après la forte sur-réaction à la baisse observée en 2009 (-1,6 point). 11 Un « plan d’action complet » destiné à réduire les dépenses de l’Etat devrait être présenté en avril prochain. Celui-ci devrait définir les objectifs et les moyens à mettre en œuvre.

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