Il est trop tôt pour tirer un trait sur Dubaï

par Brett Rowley, économiste chez Amundi Asset Management

A la suite de notre déplacement dans la région, nous sommes désormais plus optimistes concernant les Émirats Arabes Unis (EAU). Si Dubaï demeure empêtrée dans de très graves difficultés, il y a bon espoir que les gouvernements d'Abou Dhabi et des EAU interviennent pour limiter les risques de contagion et éviter une crise généralisée de la dette. La lenteur des négociations en vue de la restructuration de la dette de Dubaï World jette l'incertitude sur les Émirats. Les déclarations officielles étant rares, de nombreuses rumeurs circulent concernant des propositions d'allègement drastique de la dette.

Nous maintenons que l'accord de restructuration sera équitable et relativement favorable aux investisseurs. En fin de compte, ni Dubaï, ni Abou Dhabi (et leurs conglomérats publics) ne peuvent se permettre de s'aliéner leurs créanciers et de voir les robinets des marchés internationaux des capitaux se fermer.

Dette de Dubaï World : une restructuration qui manque de transparence

Dubaï World est un sujet tabou et la plupart de nos interlocuteurs ont feint l'ignorance. Finalement un haut fonctionnaire impliqué dans les négociations a reconnu que les autorités et les créanciers avaient été trop optimistes au départ. Selon de nombreux analystes, les négociations traînent à cause de la discorde des différentes parties sur les propositions d'allègement de la dette. Les discussions auraient pourtant surtout porté sur l'évaluation de l'ampleur du problème, notamment les deux premiers mois, mais tant que toutes les parties ne s'étaient pas réunies autour d'une table pour mettre les choses à plat, personne ne savait vraiment à quoi s'en tenir. Selon ce haut fonctionnaire, toutes les cartes sont désormais sur table et nous devrions « très prochainement » en savoir un peu plus.

C'est une maigre consolation, mais c'est mieux que rien. Si la plupart de nos interlocuteurs refusent de faire un pronostic (en termes de délai ou d'allègement de la dette), ils sont tous d'accord sur un point : la réduction de 40% de la dette annoncée dans un article récent de Reuters est inconcevable.

Bon nombre d'entre eux estiment en effet que cette « fuite » n'est qu'un stratagème de Dubaï/DP World destiné à abaisser les anticipations, de sorte que lorsque l'offre réelle sera annoncée à de meilleures conditions, les investisseurs seront agréablement surpris. La plupart de nos interlocuteurs s’accordent à penser qu’il s’agit là d’un « ballon d'essai ». Les banquiers locaux que nous avons rencontrés ont également démenti cette rumeur, précisant qu'à seulement 60 cents par dollar, ils seraient contraints de passer ces actifs en perte, amenant ainsi la banque centrale des EAU à intervenir (une nouvelle fois) pour recapitaliser le système bancaire. Si certaines banques devraient mieux résister que d'autres, les stress tests réalisés dans l'un des principaux établissements locaux mettent en évidence que le seuil critique sera atteint avec un allègement de 35%. Le scénario de base de cette banque ne prévoit pas de réduction du principal, mais une période de grâce pour le paiement des intérêts et un report des échéances, ce qui réduirait la valeur actuelle nette des prêts de 20 cents par dollar.

Une proposition honnête

Parmi tous les scénarios évoqués, nous penchons plutôt pour une approche par paliers : pas de réduction du principal, mais l'émission de nouvelles obligations (à 5, 10 et 15 ans par ex.) et la réduction des coupons par le biais de taux inférieurs et/ou d'une période de grâce suffisamment longue. Une garantie publique explicite est même envisageable pour inciter les créanciers à opter pour les obligations aux échéances les plus éloignées. Un tel scénario devrait permettre aux obligations souveraines et d'entreprises de Dubaï de se relever. Reste à voir si cette restructuration favorable aux investisseurs suffira pour résoudre les problèmes de trésorerie de Dubaï à moyen et long terme. Pour l'instant, les parties (Dubaï World et ses créanciers) recherchent plutôt une solution à court terme.

En attendant, la déclaration récente du gouvernement de Dubaï selon laquelle il ne cherchera pas à obtenir un traitement préférentiel est plutôt encourageante. Les autorités viennent par ailleurs de lancer un autre « ballon d'essai » en insinuant que les obligations d'échéance 2010 émises par Nakheel risquaient de ne pas être remboursées. Notons que malgré toutes les turbulences engendrées par l'annonce du gel des remboursements en novembre, Dubaï World et ses filiales ont depuis continué à servir toutes leurs obligations. Certains analystes pensent qu'il s'agit là d'une autre tactique pour gérer les anticipations, et que Dubaï World sera à jour dans ses paiements lorsque l'accord de restructuration sera annoncé.

La logique de cet argument est simple : les banques ne peuvent se permettre de comptabiliser ces créances comme douteuses. Si certaines d'entre elles ont augmenté les provisions en cas de faillite de Dubaï World, elles n'ont encore passé aucun de ces prêts en perte car, si elles étaient soudainement contraintes de le faire, des injections de capitaux supplémentaires seraient nécessaires pour soutenir le système financier.

D'autres analystes estiment que Dubaï World doit cesser de payer pour démontrer son sérieux à ses créanciers : si le conglomérat continue de rembourser, pourquoi en effet ne resteraient-ils pas indéfiniment attentistes ?

En définitive, nous estimons qu'Abou Dhabi ne peut se permettre de laisser Dubaï à l'abandon. Même si le modèle de développement de Dubaï (fondé sur l'effet de levier) est certainement remis en cause, cet émirat a néanmoins joué un rôle décisif dans la diversification de l'économie pétrolière des EAU. Avec ses ports d'importance mondiale, ses secteurs des services financiers, du tourisme et de la vente de détail, Dubaï contribue à équilibrer le PIB hors pétrole des Émirats Arabes Unis. Et si la « Vision économique de 2030 » d'Abou Dhabi consiste à développer et à diversifier son économie, cela ne pourra se faire sans l'accès aux marchés internationaux des capitaux.