Gains de productivité : les Etats-Unis prennent le large

par Philippe d’Arvisenet, chef économiste de BNP Paribas

La différence de réactivité au cycle entre les Etats-Unis et la zone euro se vérifie une fois de plus. La rapidité de l’ajustement des effectifs à l’activité s’est traduite aux Etats-Unis par un rebond des gains de productivité dès le deuxième trimestre (6,9% t/t annualisé) alors même que le PIB continuait à se contracter. Au trimestre dernier, sans surprise, compte tenu du rebond de l’activité, l’essor des gains de productivité s’est accéléré (9,5% t/t annualisé) et a atteint 4,3% en glissement annuel (après 1,9% au T2).

Compte tenu du profil très modéré des rémunérations, un net recul des coûts unitaires du travail en est résulté (-5,2% t/t et -3,6% en g.a.). C’est un signal fort pour la rentabilité des entreprises, car ce recul fait plus que compenser l’érosion du pricing power des entreprises (le glissement annuel du déflateur du PIB est passé de 2,5% au T3 2008 à 0,7% au T3 2009). Cela suggère aussi que l’ajustement des effectifs a été massif et devrait désormais voir son rythme se modérer.

Au-delà des différences entre pays, la zone euro affiche un comportement très différent. Le profil des gains de productivité montre que l’ajustement des effectifs au cycle reste nettement plus inerte qu’aux Etats-Unis (la productivité par tête de la zone baissait de 3,1% en g.a. au T2) avec pour conséquence un envol des coûts unitaires (4,8% en g.a. au T2 après une pointe à 5,8% au T1), ce qui, compte tenu de la sagesse des prix intérieurs (hausse de 1,1% du déflateur du PIB au T2 2009 contre 2,3% un an plus tôt), débouche sur une détérioration de la profitabilité et annonce en tout état de cause la poursuite d’un ajustement qui a pris du retard et qui ne manquera pas, au moins à court terme, de peser sur la croissance. Comme attendu, la croissance américaine a nettement rebondi au troisième trimestre (3,5% en rythme annualisé) sous l’effet du ralentissement du déstockage, d’une embellie de la consommation, essentiellement liée aux mesures de soutien à l’automobile (cash for clunkers), et d’un retournement de l’investissement résidentiel, dynamisé à la fois par les mesures budgétaires de soutien aux primo accédants et par la baisse des taux hypothécaires.

L’investissement des entreprises en biens d’équipement et logiciels a légèrement augmenté, ce qui a surpris au regard de l’importance des capacités inutilisées. Sans doute, le redressement des profits favorise les investissements de modernisation. A l’inverse, les investissements de capacité, généralement en décalage par rapport au cycle, continuent à se replier, comme en témoigne la poursuite du repli de l’investissement en bâtiments non résidentiels (-9% au T3 après -17,3% et -43,6% les trimestres précédents).

Les indicateurs conjoncturels conduisent à anticiper le maintien d’une croissance honorable au quatrième trimestre, avec toujours un effet favorable du comportement des stocks. A cet égard, l’indice ISM des directeurs d’achat dans l’industrie manufacturière s’inscrit clairement en zone d’expansion à 55,7 contre 52,6 en septembre. Ce message est corroboré par l’évolution des commandes de biens durables avec une hausse de 11,2% en rythme annualisé au troisième trimestre pour les biens d’équipement hors avions et défense.

La réactivité des entreprises américaines à s’ajuster au cycle est impressionnante. Alors même que le PIB poursuivait sa contraction au second trimestre, l’économie américaine avait déjà enregistré un rebond des gains de productivité. Sans surprise, cela s’est intensifié au troisième trimestre avec une progression de 9,5% en rythme annualisé et de 4,3 % en glissement annuel, un record historique. Ceci a débouché sur une nette baisse des coûts unitaires du travail (-3,6 % en glissement annuel), ce qui est le gage d’une bonne tenue des profits. La faiblesse du dollar joue d’ailleurs dans le même sens en favorisant la compétitivité des produits américains, mais aussi la contre-valeur en monnaie locale des profits réalisés à l’étranger.

Les perspectives apparaissent nettement différentes pour le consommateur. Le marché du travail poursuit son ajustement, comme en témoignent le recul de l’emploi (-190 000 le mois dernier) et la poussée du taux de chômage qui en résulte (10,2% après 9,8%), et pèse sur la formation des salaires nominaux alors même que l’indice des prix va revenir en territoire positif avec la disparition imminente des effets de base liés à la chute des cours du pétrole à l’automne 2008. Si l’évolution du pouvoir d’achat des revenus n’est à l’évidence pas pour soutenir la consommation, la remontée de la Bourse n’est pas suffisante pour faire jouer un effet de richesse assez puissant pour compenser l’effet négatif de la chute des prix de l’immobilier et le recul du crédit aux particuliers. En fait, le niveau de l’endettement et la détérioration du marché de l’emploi pèsent sur la confiance et devraient favoriser le redressement de l’épargne après la correction baissière enregistrée au début de l’été, clairement liée aux achats de nouvelles voitures.

Dans ces conditions, avec une hausse de la consommation appelée à se modérer, la croissance sera décevante l’an prochain une fois épuisés les effets temporaires des mesures de soutien mises en place. Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, de constater le repli depuis trois mois de la confiance des ménages attesté par l’indice du Conference Board (47,7 en octobre après 53,7 en septembre et 54,5 en août) ni de voir le gouvernement prolonger plusieurs dispositifs comme le crédit d’impôts aux primo accédants (jusqu’en avril), l’allongement de la durée d’indemnisation du chômage… La Fed, de son côté, a annoncé que le programme d’achat de MBS se poursuivrait jusqu’au printemps prochain et que les taux resteraient bas pour une période prolongée.

Dans la zone euro, après cinq trimestres de baisse, le PIB a progressé d’un solide 0,4% t/t au T3 2009. Cette bonne performance est due essentiellement au rebond de l’industrie, particulièrement touchée par la chute de la demande globale au tournant de l’année. La production industrielle s’est, en effet, nettement redressée au T3 ; sa hausse ressort à 3,3% en France, 4,4% en Italie et 3,5% en Allemagne. L’embellie est appelée à se poursuivre comme en témoignent le rebond des commandes allemandes (8,9% au T3 après 5,5% au T2) ou celui des PMI dans le secteur manufacturier. Pour l’ensemble de la zone euro, l’indice est passé le mois dernier en territoire d’expansion avec, toutefois, de fortes disparités entre pays (55,6 en France, mais 46,3 en Espagne). La relative inertie de l’ajustement de l’emploi dans la zone s’est traduite par une baisse des gains de productivité et par une hausse corrélative des coûts salariaux unitaires (4,8% au T2) qui suggèrent que l’ajustement, qui est devant nous, reste plus important qu’aux Etats-Unis, ce qui ne manquera pas de peser sur l’évolution des conditions du marché du travail, et partant, de la consommation. Dans ces conditions, avec une perspective d’inflation maîtrisée, la BCE devrait conserver son taux de refinancement inchangé l’an prochain. Elle va cependant préparer son « exit strategy » et revenir progressivement sur ses mesures non conventionnelles ; dès le mois prochain, on attend des indications claires sur les changements qui ne manqueront pas d’être apportés aux modalités du refinancement à un an.

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