Inde : les quatre bonnes raisons qui expliquent la hausse du taux directeur

par Edgardo Torija Zane, économiste chez Natixis

La Reserve Bank of India (RBI) a procédé à sa cinquième hausse de taux consécutive aujourd’hui (16 septembre) depuis février 2010, poursuivant le retrait d’une partie importante du stimulus opéré pendant la crise financière. Ce resserrement très progressif de la politique monétaire semble logique dans un environnement d’inflation toujours élevée, et de forte progression des prix des actifs financiers. Par ailleurs, la hausse des taux d’intérêt ne met pas en péril le financement domestique du déficit budgétaire (qui est en net recul) à des taux convenables.

Elle s’inscrit alors dans un « policy mix » cohérent. Une probable appréciation de la roupie avec cette hausse du rendement relatif des placements en Inde ne devrait pas peser sur la compétitivité-prix des exportations du pays, qui s’est améliorée relativement aux partenaires commerciaux du pays courant 2010. Si les conditions macroéconomiques et financières (croissance et inflation élevées, déficit budgétaire en baisse, taux d’intérêt réels négatifs, stabilité de la roupie) se maintiennent, la poursuite du resserrement monétaire dans les mois à venir n’est pas à exclure.

La RBI vient de procéder, le jeudi 16 septembre à une nouvelle hausse des taux d’intérêt de référence de 25pb pour le taux repo, qui est désormais établi à 6%, et de 50pb pour le taux reverse repo, qui est maintenant défini à 5%. Le resserrement du spread entre ces deux taux pourrait s’interpréter comme une nouvelle étape du passage d’un objectif quantitatif (ciblage des agrégats monétaires) à la poursuite d’un objectif intermédiaire de gestion de la liquidité par le taux d’intérêt de marché, qui est de moins en moins volatile depuis fin 2008.

Raison N°1 : l’inflation est toujours élevée

Après une pause dans la hausse des prix liée au fort ralentissement de la demande dans le sillage de la crise d’après-Lehman, l’inflation s’est à nouveau établie à des niveaux proches de 10% depuis juin 2009. D’abord expliquée surtout par des hausses ponctuelles des prix alimentaires (en raison d’une récolte décevante pendant l’été 2009), l’inflation s’est généralisée à la plupart des biens. Certes, la décélération en 2010 est importante avec la disparition progressive des effets statistiques de base, mais l’inflation est toujours élevée, par, exemple, si on regarde la progression en glissement mensuel des prix de gros et des prix à la consommation.

Raison N°2 : les taux d’intérêt réels sont toujours très négatifs

Alors que le taux d’inflation annuelle se situe aux environs de 12% (prix à la consommation) et qu’un placement en dépôt bancaire à un an rapporte 7%, l’épargne n’est pas particulièrement encouragée. Le crédit au contraire s’emballe avec un coût d’emprunt très négatif en termes réels, ce qui pourrait emballer la demande domestique. Cette situation est également propice à la formation de bulles sur différents actifs financiers. Le marché boursier enregistre en effet une progression rapide et le crédit immobilier est également reparti à la hausse.

Raison N°3: le déficit budgétaire du gouvernement central est en nette réduction

Grâce notamment à la forte croissance économique qui augmente les recettes ordinaires du gouvernement et à l’obtention de ressources extraordinaires (comme par exemple l’adjudication des licences d’exploitation des technologies internet sur la téléphonie mobile au mois de juillet pour des montants de plus de 14 milliards de dollars), la situation financière du gouvernement s’est nettement améliorée. Le déficit budgétaire cumulé des quatre premiers mois de l’année fiscale 2010/11 (qui démarre le 1er avril) est de 42,6% plus faible que celui de la même période en 2009/10. L’objectif du budget 2010/11 sera au moins un point de pourcentage inférieur aux 5,5% du PIB prévus dans le budget.

Alors que le statut de la RBI lui exige d’assurer les conditions nécessaires pour le financement domestique du déficit budgétaire dans de bonnes conditions, cette réduction des besoins de financement du gouvernement implique que les émissions à réaliser cette année pourraient être inférieures à celles prévues initialement, de sorte que le coût global de l’endettement public n’augmente pas avec la hausse induite des taux d’intérêt. Il ne sera pas non plus nécessaire d’augmenter le taux de réserves statutaires, qui exige aux banques commerciales de détenir des titres publics à hauteur de 23% dans leur bilan.

La gestion du policy-mix reste donc cohérente : la baisse du déficit budgétaire donne à la politique monétaire des degrés de liberté additionnels pour s’attaquer à l’inflation.

Raison N°4 : une appréciation modérée de la roupie ne devrait pas affecter la compétitivité-prix des exportations indiennes

Avec la « normalisation » de la politique monétaire en Inde, on pourrait craindre que la hausse du taux (et du différentiel de taux d’intérêt qu’offre le marché indien par rapport au rendement des placements dans les principaux centres financiers) stimule l’entrée de capitaux internationaux spéculatifs exerçant une pression forte à l’appréciation de la roupie.

Dans le cadre du flottement géré de la devise indienne, l’évolution du cours des devises des partenaires commerciaux de l’Inde, qui a été bénéfique pour la compétitivité relative du pays en 2010, donne quelques marges de manœuvre pour qu’une appréciation modérée ne soit pas pénalisante pour les exportateurs.

Le resserrement monétaire devrait continuer

Si les conditions macroéconomiques et financières (croissance et inflation élevées, déficit budgétaire en baisse, taux d’intérêt réels négatifs, stabilité de la roupie) se maintiennent, la poursuite du resserrement monétaire graduel dans les mois à venir n’est pas à exclure.

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