L’inflation en sommeil, mais la Banque du Japon se réveille

par Caroline Newhouse-Cohen et Jean-Luc Proutat, économistes chez BNP Paribas

Une source de liquidité a remplacé l’autre aux Etats-Unis. Avant la crise, l’encours des financements à court terme obtenus par émissions de papiers commerciaux (commercial papers) dépassait 2 000 milliards de dollars. Il a été divisé par plus de deux et se chiffrait, en juillet 2010, à 1 065 milliards de dollars. Cette chute renvoie à l'effondrement du segment des ABCP (asset-backed commercial papers), hier abreuvoir des véhicules de titrisation et aujourd'hui réduit à la portion congrue.

Pour compenser l'hémorragie, la Réserve fédérale a prêté au système financier et porté de 800 à 2 300 milliards de dollars la taille de son bilan. S'il est question d'en faire plus c'est non seulement parce que la conjoncture américaine s'est détériorée, mais aussi parce que le marché des papiers commerciaux tarde à décoller. Bref, si le malade américain a quitté le stade critique, il doit retrouver des couleurs ; on le maintient donc sous perfusions.

Les agrégats de monnaie et de crédit se contractent d'ailleurs toujours outre-Atlantique, bien que moins vivement qu'il y a quelques mois. Pour qui a foi dans la théorie quantitative de la monnaie, cette situation recouvre un risque déflationniste, risque que l’observation de la dynamique des coûts relativise à peine. Certes, le renchérissement des matières premières (pétrole et denrées agricoles) entraîne celui des consommations intermédiaires et exerce une pression à la hausse sur certains prix (énergie, alimentation). Mais, à l’opposé, les coûts salariaux unitaires, qui forment l’essentiel des prix (60%), connaissent leur plus forte baisse depuis soixante ans. En juin et sur un an, leur recul s’établit à 2,8%. Compte tenu des faibles tensions qui s’exercent sur les capacités de production, il n’y a finalement guère de raison d’anticiper une remontée de l’inflation, du moins dans les mois à venir. La publication, vendredi, de l’indice des prix à la consommation pour le mois d’août va dans ce sens. L’inflation sous-jacente (hors alimentation et énergie) a été mesurée à 0,9%; elle reste donc proche d’un point bas historique. Même profil en zone euro, où elle ressort à 1%.

Les indicateurs d’activité dépeignent, quant à eux, une conjoncture moins dynamique à l’approche de l’automne, mais somme toute honorable. Ainsi, la tendance de la production industrielle américaine est demeurée assez robuste jusqu'à présent (+5,9% entre juin et août par rapport aux trois mois précédents, en rythme annualisé) et celle des ventes au détail a affiché un certain rattrapage en août. Au-delà, les enquêtes auprès des entreprises indiquent un ralentissement, alors que la consommation des ménages ne devrait pas accélérer dans le contexte actuel (faiblesse des créations d’emplois privés, rechute du marché immobilier et perspectives fiscales incertaines).

En zone euro, le cycle des stocks, qui avait soutenu la reprise jusqu’à présent, apparaît moins favorable. Selon la Commission européenne, les entreprises du secteur manufacturier estiment leur niveau trop élevé. Par ailleurs, les perspectives sont tributaires des mesures de consolidation budgétaire prises dans la plupart des pays de la zone, étant amenées à peser sur la demande interne. Ce scénario est partagé par les investisseurs et les analystes allemands dont l’opinion est recensée dans l’enquête ZEW. En effet, l’indice portant sur l’évolution future de l’activité en Allemagne a reculé pour le cinquième mois consécutif en septembre, enregistrant sa plus forte baisse depuis octobre 2008. Il se retrouve désormais sur son niveau de février 2009 et est inférieur à sa moyenne de long terme.

Dans ce contexte, les nouvelles normes réglementaires présentées par le Comité de Bâle ont été bien accueillies par les marchés financiers (cf. Focus 2). En effet, les banques devraient pouvoir rassembler les fonds propres nécessaires pour satisfaire aux nouvelles exigences de fonds propres (4,5% pour le core tier one et 2,5% pour le coussin de sécurité), assorties d’une période de transition étendue (de 2013 à 2018), en privilégiant d’autres solutions qu’un appel substantiel aux marchés financiers. Ce durcissement de la réglementation bancaire vient compléter le nouveau dispositif dont l’Europe s’est dotée via la mise en place de trois autorités de surveillance des services financiers au sein de l’UE, chargées respectivement des banques, des assurances et des pensions professionnelles, des marchés et des valeurs mobilières.

Notons enfin qu’au Japon, pour la première fois depuis six ans, la Banque centrale est intervenue massivement sur le marché des changes pour faire baisser le yen contre dollar1. L’appréciation de la monnaie japonaise était devenue, au cours des derniers mois, un sujet de préoccupation, les entreprises exportatrices se disant prêtes à délocaliser leur production dans les pays voisins. Le Nikkei, en hausse de 2,3%, a salué l’initiative des autorités monétaires, tandis que le dollar se redressait de près de 3%. Toutefois, le fléchissement du rythme de la reprise américaine risquant d’entraîner l’adoption par la Fed de nouvelles mesures non conventionnelles, il est peu probable qu’une intervention isolée puisse réussir à plus long terme, en l’absence d’opérations concertées des banques centrales du G7.

NOTES

  1.  Avant l’intervention de mercredi, la monnaie nippone se trouvait, à près de 83 yens pour 1 dollar, à son plus bas niveau depuis quinze ans.

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