Italie : référendum et loi électorale, deux enjeux majeurs

par Philippe Ithurbide, Directeur Recherche, Stratégie et Analyse chez Amundi

L’Italie va procéder à un référendum le 4 décembre. Son issue va être déterminante, tant pour l’avenir politique de Matteo Renzi, l’actuel Président du Conseil, que pour l’éventuelle tenue d’élections générales anticipées et la stabilité politique du pays.

Ce document (i) souligne les enjeux importants du référendum de décembre et de la loi électorale, ii) présente les quatre scénarios possibles et les impacts attendus sur les marchés financiers, et iii) les replace dans le contexte de l’économie italienne.

Rappelons que le Parlement italien avait approuvé, le 4 mai 2015, une nouvelle loi électorale, censée assurer une plus grande stabilité politique. Le nouveau mode de scrutin garantit en effet une majorité de 54 % des sièges de la chambre des députés (340 sur 630) au parti arrivé en tête aux élections générales, et qui obtiendrait au moins 40 % des voix au premier tour des législatives. Si aucun parti ne parvient à ce seuil, c’est le second tour des élections (opposant les deux partis arrivés en tête) qui déterminera le bénéficiaire de la prime à la majorité. La loi électorale fixe également à 3 % le seuil pour obtenir des sièges, ce qui assure une représentation à la chambre des députés pour les principaux petits partis, mais qui évite qu’ils puissent perturber la stabilité de la majorité gouvernementale. Cependant pour être véritablement efficace, cette nouvelle loi devait être complétée par une révision constitutionnelle réduisant les pouvoirs du Sénat. C’est précisément l’objet du prochain référendum. Les électeurs seront ainsi invités à se prononcer sur la modification de la Constitution italienne qui vise à transformer le Sénat actuel en un « Sénat des Régions », composé de 100 sénateurs, principalement des conseillers régionaux et des maires.

Après le Brexit, la victoire de Donald Trump aux élections américaines apporte une désinihibition supplémentaire envers le populisme, le mouvement de rejet des partis classiques et l’establishment, et cela pourrait bien aider indirectement à la victoire du « Non » au référendum en Italie. Les sondages confirment d’ailleurs l’avance du vote négatif.

Les scénarios en présence et les impacts de marché

– Scénario 1 : Un vote favorable lors du référendum, assorti du maintien de Matteo Renzi au poste de premier ministre

PROBABILITÉ 5%

Les élections auraient sans doute lieu, dans ce scénario, en février 2018, comme prévu initialement. Ce serait sans aucun doute le meilleur scénario possible : pas de crise politique, stabilité gouvernementale, poursuite des réformes, satisfaction des pays européens… Mais il lui faudra gagner ensuite les élections générales prévues pour février 2018, ce qui est loin d’être acquis. Ainsi, en cas de victoire serrée (probable), la perspective d’élections générales pèserait sur le contexte italien. Cette loi permet de donner au vainqueur des élections générales non seulement l’investiture pour le poste de premier ministre, mais également une majorité confortable à la Chambre des députés. Or la mésentente entre les partis traditionnels de droite et de gauche (et/ou le mauvais report des voix entre ces partis) pourrait bien favoriser la prise de pouvoir du parti populiste « Cinq Étoiles » (en italien « Movimento 5 Stelle » ou « Cinque Stelle », ou encore « M5S »), comme cela avait d’ailleurs été le cas lors des élections municipales. La mésentente entre les partis traditionnels avait alors permis à M5S de remporter notamment les villes de Rome et de Turin. Il semble bien peu probable que le gouvernement soit en mesure de changer la loi électorale en fin de mandat, ce qui signifie qu’une victoire de M5S est envisageable pour les prochaines élections générales.

Impact de marché : À court terme, un sentiment positif envers les marchés italiens (actions et obligations) particulièrement à la traîne depuis le début d’année. Le spread Italie – Allemagne est sans doute le segment italien ayant la plus forte capacité de reprise. Pour les marchés d’actions, le regain de vigueur se heurtera rapidement à la faiblesse de la croissance et des perspectives de profits.

– Scénario 2 : Un vote défavorable lors du référendum et le maintien de Matteo Renzi au poste de premier ministre

PROBABILITÉ 20%

Le rejet du référendum et le maintien de Matteo Renzi à son poste étaient incompatibles il y a moins de deux mois, le Premier Ministre ayant lui-même annoncé sa démission et la fin de sa carrière politique en cas de rejet du référendum. Il s’est ravisé depuis, et souhaite ne pas lier son sort à une réforme du Sénat, probablement influencé aussi par ses partenaires européens (Allemagne et France en tête) qui souhaitent conserver un interlocuteur de qualité comme Matteo Renzi (constructif, réformateur…). Les élections auraient sans doute lieu, dans ce scénario, en février 2018, comme prévu initialement. Une fois reconduit, mais en fin de mandat, Matteo Renzi ne pourrait pas mener une réforme de la loi électorale, ce qui laisserait intacte toute l’incertitude en vue des élections générales.

Impact de marché : Même si le maintien de Matteo Renzi a de quoi rassurer sur la stabilité politique immédiate, ce qui déterminera vraiment les marchés financiers, c’est l’incertitude quant aux prochaines élections générales : seront-elles avancées ? Auront-elles lieu en février 2018 ? L’Italie aura-t-elle une majorité M5S (peu pro-européen, populiste…) ou un gouvernement de coalition (sans doute peu réformateur) suite aux élections ? Prévoir une phase de transition difficile pour les marchés italiens.

– Scénario 3 : Un vote défavorable lors du référendum,
la démission de Matteo Renzi et la nomination d’un gouvernement technique ou d’un gouvernement de coalition

PROBABILITE 55%

Un gouvernement technique aurait sans doute pour mission de faire passer en premier lieu une réforme constitutionnelle, tandis qu’un gouvernement de coalition peinerait à faire passer des nouvelles réformes. Il faut noter que seul un gouvernement technique nous semble capable de mener à bien une réforme de la loi électorale : un gouvernement de coalition ne parviendrait sans doute pas à se mettre d’accord. La mise entre parenthèses du processus de réformes et le repli politique de l’Italie seraient préjudiciables. Les élections auraient sans doute lieu, dans ce scénario, en février 2018, comme prévu initialement.

Impact de marché : Apaisement temporaire, alors que la déception sur l’absence de réformes supplémentaires pèsera sur la perception des investisseurs. La résolution de grands dossiers (réforme du système bancaire, réduction des rigidités du marché du travail, amélioration de la concurrence, réduction des rigidités sur le marché des biens et services, recherche d’amélioration des gains de productivité…) risque de marquer le pas. Situation peu favorable dans la perspective des élections. Un gouvernement technique ou de coalition sera perçu comme un gouvernement de transition, une situation qui favorisera sans doute la montée de M5S.

– Scénario 4 : Un vote défavorable lors du référendum,
une démission de Matteo Renzi et la préparation de nouvelles élections générales

PROBABILITE 20%

Cela constituerait sans le moindre doute le pire des scénarios, pouvant mener dans un premier temps à une instabilité/crise politique et entraînant à coup sûr une période d’arrêt pour les réformes, et dans un second temps à une nouvelle majorité. Malgré le rejet de la réforme du Sénat, la probabilité de voir, en Italie cette fois, le parti populiste « Cinq Étoiles » l’emporter et constituer un gouvernement avec majorité parlementaire serait néanmoins grande. Ce scénario ne semble pas être le plus crédible, compte tenu de la capacité (et l’habitude) de l’Italie à mettre en place des gouvernements de coalition.

Impact de marché : Prévoir une phase d’instabilité politique et financière. Même s’il est protégé par le QE de la BCE, le marché obligataire italien, sera délaissé, au profit notamment de son homologue espagnol. La situation politique exigera une prime de risque supplémentaire. Même chose pour les marchés d’actions, et pour les financières, déjà affectées par la croissance, la profitabilité, les taux ultra-bas/négatifs ou encore les crédits non performants.

L’économie italienne : des déficits maîtrisés, mais une croissance faible

Le référendum britannique (Brexit) et les élections américaines ont montré, si besoin était, la faiblesse des sondages ou l’incapacité à capter les « votes cachés » (non déclarés dans les sondages) et l’ampleur du rejet des candidats des partis traditionnels. Difficile de s’y fier. La montée du populisme est néanmoins une réalité qui s’impose dans la plupart des pays : il rime bien souvent avec le rejet de l’establishment, le rejet des partis, la montée du protectionnisme, le rejet de la globalisation, la colère contre la montée des inégalités, le refus de la centralisation, l’hostilité envers les réformes des systèmes sociaux… Et dans le cas de l’Europe, populisme rime également avec rejet de l’UE ou de l’UEM et de l’euro, hostilité envers les excès de réglementation européenne… Sur ce thème, l’Italie est le pays le plus eurosceptique de l’UEM, ainsi que le montre le graphique ci-dessous. Moins de 50 % des Italiens sondés considèrent que l’euro est une bonne chose pour l’économie, contre plus de 65 % en Espagne, 75 % en Irlande… et près de 80 % au Luxembourg par exemple.

Une crise politique ou même la démission de Matteo Renzi (avec la perspective de nouvelles élections) ouvrirait ainsi une phase d’instabilité. Ce serait une très mauvaise nouvelle pour ce pays, notamment en comparaison avec l’Espagne, son « comparable » sur les marchés. Le retard pris dans la remise en état du système bancaire, l’insuffisance de concurrence, les rigidités multiples du marché du travail comme de celui des biens et services, les faibles gains de productivité… sont autant de fragilités mises en avant régulièrement, y compris par la Commission européenne.

Ce retard vient essentiellement du fait que contrairement aux autres pays dits « périphériques », l’Italie n’a pas reçu d’aide des pays de l’Union européenne.

En ce qui concerne les déficits publics, il faut noter qu’en 2015, seuls 6 États membres de l’UE sur 28 ont dégagé un déficit public supérieur au seuil de 3 % du PIB. Parmi les déficits les plus élevés, on retrouve la Grèce (7,2 %), l’Espagne (5,1 %), le Portugal et le Royaume-Uni (4,4 %), la France (3,5 %) et la Croatie (3,2 %). La Slovaquie a terminé l’année avec un déficit de 3 % du PIB. En revanche, 21 États membres respectaient les contraintes du Pacte de stabilité et de croissance, et 3 se trouvaient même en excédent : le Luxembourg (+1,2 %), l’Allemagne (+0,7 %) et l’Estonie (+0,4 %). La Suède était quant à elle à l’équilibre. En ce qui concerne l’Italie, les résultats sont également excellents : même si le déficit public est ressorti à 2,6 %, ce pays dégage quasiment chaque année un excédent primaire depuis 1997. C’est le seul État de l’UE à afficher une telle performance et une telle régularité. Mais il est indéniable que cette politique, extrêmement vertueuse pour la gestion des déficits publics et de la dette, a affaibli la croissance économique et le potentiel de croissance de l’Italie. Pour 2016, 2017 et 2018, nous prévoyons une croissance du PIB de 0,9 %, 1,1 % et 1,2 % respectivement.

Conclusion

Compte tenu du contexte (montée du populisme, situation économique…), un rejet du référendum italien est donc largement possible. La probabilité de voir Matteo Renzi rester en poste n’est pas négligeable, mais il lui faudra toutefois obtenir soit un vote favorable au référendum (une victoire serrée est encore possible), soit une défaite « acceptable ». En cas de large victoire du non, Matteo Renzi ne pourra sans doute pas se maintenir au poste de Président du Conseil. Attention toutefois : le véritable enjeu politique de l’Italie, ce n’est pas le référendum de début décembre (il y aura, au pire, un gouvernement de coalition ou un gouvernement technique), mais plutôt la loi électorale, qui est, elle, susceptible de faire basculer le paysage politique entier sur une seule élection (en février 2018 ou avant en cas d’élections anticipées)… cela représenterait un changement majeur après 5 années de stabilité politique.

La situation politique et la faiblesse de l’économie pèsent sur les marchés financiers depuis le début de l’année: alors que le marché des actions allemandes est stable depuis le début de l’année, l’indice boursier italien a cédé 23 %. Même si la dette italienne reste protégée par le programme d’achat d’actifs de la BCE et continue d’attirer les investisseurs (recherche de rendement et de spread), l’écart de taux 10 ans avec l’Allemagne s’est élargi de 90 points de base, alors que le spread espagnol n’a progressé que de 6 points de base, un signe tangible que la prime de risque s’accroît. Une nouvelle instabilité politique ou plus simplement la perspective d’élections générales rapprochées affaiblirait encore davantage non seulement les marchés d’actions et de taux, mais également l’économie italienne. L’une des grandes interrogations concerne le système bancaire. La création d’une « bad bank », souhaitée par les pays européens, les banques centrales et la BCE, s’est heurtée au refus de la Commission européenne, et il s’agit actuellement d’un point faible de l’Italie. Une instabilité politique peut-elle inciter la Commission européenne à changer de point de vue ? On peut en douter… Comme on peut douter également que la BCE fasse des annonces officielles pour « protéger » l’Italie. Dans les faits, on peut néanmoins s’attendre à ce que la BCE oriente davantage ses achats vers les pays périphériques, comme elle l’a déjà fait par le passé. Autant dit que toute rumeur d’abandon du QE serait à ce stade extrêmement préjudiciable. L’annonce de la reconduction du programme actuel serait en revanche un atout considérable pour les obligations souveraines italiennes.