La BCE « prête à agir »… pour quoi faire exactement ?

par Frederik Ducrozet, économiste au Crédit Agricole

• La Banque centrale européenne a maintenu ses taux directeurs inchangés, cette semaine, tout en signalant un possible assouplissement monétaire à court terme.

• Le Conseil des gouverneurs a souligné les risques accrus pesant sur l’activité tout en se disant « prêt à agir » en cas de besoin. Le réglage de la politique monétaire n’est plus qualifié d’« accommodant ». Enfin, la décision de laisser les taux inchangés n’a pas été prise à l’unanimité.

• À en juger par le ton de la conférence de presse, la perspective d’une baisse des taux serait dépendante de l’évolution des données « dures » d’activité en réponse à la chute des enquêtes de confiance. Les projections macroéconomiques du staff de la BCE restent selon nous trop optimistes, et nous continuons de penser que le taux refi sera abaissé à 0,50 % d’ici septembre.

• Par ailleurs, Mario Draghi semble douter, à ce stade, de l’efficacité d’une baisse des taux ou de nouvelles opérations de refinancement à plus long terme (LTRO) étant donné que la liquidité demeure globalement abondante et que la BCE ne saurait se substituer à l’action des gouvernements. Cependant, aucune option conventionnelle ou non conventionnelle ne peut, selon nous, être exclue en cas d’aggravation des tensions financières.

• En attendant, la BCE a annoncé l’extension de son régime d’allocation illimitée de liquidité jusqu’au début 2013 pour l’ensemble de ses opérations de refinancement.

La Banque centrale européenne a décidé, le 5 juin, de maintenir ses taux directeurs inchangés, conformément aux attentes du marché, mais contrairement à notre prévision d’une baisse de 25 pb du taux de refinancement. Toutefois, le ton du communiqué de la BCE, encore une fois plus «dovish» que le mois précédent, suggère une probabilité élevée d’assouplissement monétaire à court terme.

Une baisse des taux reste très probable

Le président de la BCE, Mario Draghi, a notamment indiqué que le Conseil des gouverneurs avait débattu de la possibilité d’une baisse des taux, « quelques membres » y étant favorables (même s’ils n’étaient pas « très nombreux»). M. Draghi a, plus précisément, laissé entendre, que la discussion avait essentiellement porté sur la déconnexion relative entre des données d’enquêtes (très) faibles, comme les indices PMI, et les données « dures » d’activité. Certes, ces dernières ont relativement bien résisté jusqu’à présent, la zone euro évitant notamment une récession technique au premier trimestre, mais un tel argument nous semble bien fragile – du type de ceux utilisés pour gagner du temps dans un contexte « d’incertitude renforcée ». En effet, les données d’activité sont connues, par construction, avec un certain décalage par rapport aux enquêtes de conjoncture ; de plus, la bonne tenue des données « dures » est principalement, sinon exclusivement, le fait de quelques pays du noyau dur. Or même l’Allemagne, malgré des fondamentaux plus robustes, n’est pas totalement épargnée par l’évolution de la situation dans les pays de la périphérie ni par les tensions sur les marchés financiers. La forte chute de la production industrielle allemande pourrait bien être l’un de ces signes annonciateurs d’un ralentissement plus marqué à venir, même s’il n’est que temporaire.

Pour toutes ces raisons et même si notre prévision ne s’est pas vérifiée ce mois-ci, nous restons convaincus qu’une baisse du taux refi reste l’option la plus probable, probablement à 0,75 % dès le mois de juillet, et à 0,50 % d’ici septembre. Comme il fallait s’y attendre, M. Draghi a insisté une fois de plus sur la nécessité pour les gouvernements nationaux d’assumer la responsabilité de leurs problèmes budgétaires et de proposer une approche globale pour la recapitalisation des banques en difficulté. Tout en s’abstenant de faire des commentaires explicites sur ce que l’Espagne devrait faire, il a insisté sur le fait que l’audit externe des banques espagnoles devait être suivi d’une action immédiate visant à renforcer les bilans de ces établissements. Enfin, M. Draghi est resté curieusement silencieux sur l’évolution de la situation en Grèce.

Le président de la BCE a, par ailleurs, semblé contester l’efficacité d’une baisse des taux directeurs ou de nouvelles opérations de refinancement à long terme pour le secteur bancaire ou l’économie réelle, faisant à cet égard observer que les liquidités demeuraient abondantes et que la BCE n’avait pas à se substituer à l’action des gouvernements. Là encore, il convient de ne pas tirer de conclusions hâtives à partir de ces commentaires très « politiques ». La BCE reste la garante de la stabilité financière, comme elle l’a prouvé tout au long de la crise ; si besoin, la BCE sera « prête à agir » en adoptant des mesures de politique monétaire non conventionnelle afin de soutenir les conditions de liquidité et d’assouplir, en particulier, les règles de gestion des collatéraux, même si M. Draghi a refusé à ce stade de donner davantage de précisions sur ce dernier point. Il n’a exclu aucune possibilité, se laissant suffisamment d’options pour ce qui est des décisions de politique monétaire à venir.

Peu de changements dans les projections du staff malgré l’incertitude accrue

Le plus étonnant, dans ces conditions, est que les nouvelles projections du personnel soient restées globalement inchangées et que la BCE « continue de s’attendre à une reprise progressive de l’économie de la zone euro». On notera simplement que la reprise ne devrait plus se concrétiser « dans le courant de cette année », contrairement à la déclaration du mois dernier, et que l’évolution récente va probablement « freiner la dynamique de croissance sous-jacente ». Les prévisions du staff concernant la croissance du PIB demeurent à -0,1 % en moyenne pour cette année et ont été révisées à la baisse d’un dixième à peine pour 2013, de 1,1 % à 1 %. Concernant l’inflation, les prévisions médianes n’ont pas du tout changé (à 2,4 % en 2012 et 1,6 % en 2013) même si la fourchette s’est quelque peu resserrée.

L’évaluation générale de la stabilité des prix est aussi, dans une large mesure, restée inchangée par rapport au mois dernier ; il convient, toutefois, de souligner que le passage relatif à « l’attention particulière à accorder aux possibles effets de second tour » a été supprimé.

Nous avons, enfin, le sentiment que l’évaluation par le Conseil des gouverneurs des conditions monétaires et de crédit reste trop optimiste, ce qui reflète avant tout la position de la BCE vis-à- vis de l’impact « réel » des LTROs sur l’économie, jugé très graduel. Bien sûr, il faudra du temps pour que l’effet de ces opérations se fasse réellement sentir, mais les commentaires de M. Draghi sur l’évolution « légèrement positive » des flux mensuels de crédit aux sociétés non financières et aux ménages en avril, nous semblent par trop optimistes compte tenu des risques à la baisse qui prévalent dans la plupart des pays, à l’exception peut-être de l’Allemagne, dans un environnement aussi incertain.

Dans l’ensemble, un biais clairement accommodant de la part de la BCE se dégage de la conférence de presse du 5 juin, tout comme des motivations « tactiques » à ne pas baisser les taux à ce stade. Nous tablons toujours sur un assouplissement monétaire, à moins que la situation s’améliore de façon spectaculaire après les deux événements politiques majeurs qui s’annoncent : les élections en Grèce (17 juin) et le sommet de l’UE (28-29 juin). La séquence précise des événements reste incertaine, mais, à en juger par la flexibilité de la BCE cette semaine, nous estimons qu’une baisse des taux demeure l’option la plus probable dès le mois de juillet et, au plus tard, en septembre.

Communiqué de presse de la BCE annonçant les détails des opérations de refinancement avec règlement au cours de la période allant du 11 juillet au 15 janvier 2013.

Le Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne (BCE) a décidé aujourd’hui de continuer de conduire ses opérations de refinancement principales (MRO) selon une procédure à taux fixe en allouant l’intégralité des montants demandés aussi longtemps que nécessaire et au moins jusqu’à la fin de la douzième période de reconstitution des réserves de 2012, le 15 janvier 2013. Cette procédure restera également en vigueur pour les opérations de refinancement à terme spécial de l’Eurosystème, ayant pour échéance une période de reconstitution des réserves, qui continueront à être menées aussi longtemps que nécessaire. Le taux fixe de ces opérations de refinancement à terme spécial sera égal au taux des opérations de refinancement principales alors en vigueur.

En outre, le Conseil des gouverneurs a décidé de mener les opérations de refinancement à plus long terme (LTRO) à trois mois des 25 juillet, 29 août, 26 septembre, 31 octobre, 28 novembre et 19 décembre 2012 comme des appels d'offres à taux fixe avec allocation illimitée. Les taux de ces opérations à trois mois seront fixés aux taux moyen MRO sur la durée de vie des LTRO en question.

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