La crise de la dette souveraine se poursuit sur les marchés

par Costa Brunner, Jean-Christophe Caffet, Jésus Castillo et Cédric Thellier, économistes chez Natixis

Face à la défiance des investisseurs vis-à-vis des finances publiques européennes, les dirigeants ont annoncé le 10 mai dernier un plan d’urgence de 750 mds EUR, élaboré conjointement par l’UE, le FMI, l’Eurogroupe et la BCE. L’effet a été immédiat sur les marchés, avec une forte détente des CDS souverains et un resserrement des spreads contre Bund. Depuis, malgré les rachats de dette publique par la BCE, pour 47 mds EUR vraisemblablement concentrés sur les titres grecs, portugais et irlandais, les tensions ont repris.

La réouverture des spreads souverains résulte à la fois de l’augmentation des taux longs des pays stigmatisés, mais surtout de la poursuite de la baisse du Bund. Les titres de dette allemands semblent être désormais les seuls, y compris au sein des pays notés AAA, à bénéficier des arbitrages intra-UEM, dans un contexte d’aversion au risque souverain européen1.

La crise de la dette souveraine zone euro se poursuit donc. Les décisions prises jusqu’à présent par les leaders européens ne semblent apporter qu’une réponse partielle aux craintes des investisseurs. Leurs interrogations fondamentales sont de deux ordres :

  1. Institutionnel : dans quelle mesure les pays membres sont-ils solidaires et déterminés à renforcer l’UEM ?
  2. Macroéconomique : dans un contexte de consolidation budgétaire, quelles sont les perspectives de croissance ?

Tant que les incertitudes ne seront pas levées sur ces deux questions, la défiance des marchés vis-à-vis de la dette publique et plus largement de la monnaie unique se poursuivra. Nous apportons quelques éléments de réponse.

Réponse institutionnelle aux doutes des marchés : la FESF

Dans le cadre du plan d’urgence dévoilé le 10 mai et visant à garantir la stabilité financière en zone euro, la volonté de l’Union Européenne de créer un fonds de 440 mds EUR n’a pas totalement apaisé les craintes des investisseurs. En l’occurrence, l’absence de détails sur les modalités de fonctionnement du fonds a continué de nourrir les incertitudes des marchés.

On connaît désormais les grandes lignes de cette Facilité Européenne de Stabilité Financière (FESF) :

  • Son objet est de faciliter ou de fournir du financement aux Etats membres de l’UEM en difficultés financières.
  • La société peut lever des fonds en émettant des instruments financiers (obligations, bons ou autres instruments de dette).
  • Les engagements de la société sont garantis par ses actionnaires (Etats membres de l’UEM), à hauteur de leur participation au capital de la BCE, assortie d’une marge de 20% supplémentaire2.
  • Ces engagements initiaux doivent être adoptés par les Parlements nationaux.

La procédure de déclenchement de l’aide est la suivante :

  • Au préalable, les accords obtenus de la part des Parlements nationaux doivent représenter 90%3 du montant total de la facilité. Une fois ce seuil atteint, l’aide peut potentiellement être activée.
  • Le pays en difficulté doit formuler une demande d’aide. Celle-ci est conditionnelle, sur le modèle des prêts FMI. En cas d’activation, la mobilisation des garanties se fera directement par décision unanime de l’Eurogroupe, sans nouveau passage devant les Parlements nationaux.

Enfin,

  • La société est constituée pour une durée illimitée. Elle sera dissoute et liquidée lorsqu’elle aura été totalement remboursée des financements octroyés et aura remboursé ses engagements sous les instruments financiers émis.
  • Initialement, aucun nouveau programme de financement et aucune nouvelle ouverture de crédit ne sera mise en place ou conclue après le 30 juin 2013. Toutefois, cette date pourra être étendue par consentement unanime des actionnaires.

Toutefois, une incertitude majeure demeure : la note de crédit de la FESF. Elle devrait être dévoilée très prochainement, à l’issue des négociations avec les agences de notation. Selon les pondérations retenues, nos estimations suggèrent une note située entre des niveaux AA- et AA+4.

Perspectives de croissance : entre effet récessif des plans de consolidation budgétaire…

Préalablement à l’éclatement de la crise souveraine, le rebond de l’activité en zone euro s’annonçait fragile, dans un contexte d’affaiblissement des effets des plans de relance et d’absence de véritable relais de croissance (désendettement du secteur privé, ralentissement des salaires, faiblesse de l’investissement des entreprises, incertitudes sur la pérennité du rebond du commerce mondial,…). Avec les annonces successives des différents plans de consolidation budgétaire, les craintes des investisseurs se sont renforcées à cet égard. Toutefois, il convient de souligner que les programmes les plus conséquents concernent des pays dont le poids est relativement faible au sein de l’UEM5. Au total, pour 2010, c’est une consolidation de l’ordre de 0,4 point de PIB zone euro qui a été annoncée par les gouvernements.

Comparativement aux engagements initiaux pris par les gouvernements auprès de la Commission européenne en début d’année, le surplus de consolidation annoncé ne représente même que 0,2 point de PIB. L’ampleur des craintes actuelles nous semble donc exagérée. D’autant que cette crise des marchés de dette souveraine a pour conséquence une dépréciation de la monnaie unique, plutôt bienvenue dans un contexte de demande intérieure atone.

…et soutien d’un EUR plus faible

Au regard des expériences de consolidation budgétaire réussies dans le passé récent, il apparaît que la dépréciation du change est une caractéristique commune6 . En l’occurrence, avec des perspectives de consommation des ménages affaiblie, un cycle de crédit aux entreprises qui ne repart toujours pas malgré une certaine remontée des taux d’utilisation des capacités productives, une réduction programmée des dépenses publiques, et enfin un cycle de reconstitution des stocks qui devrait s’achever à court terme, le soutien des exportations par un affaiblissement de la monnaie unique est incontestablement une bouffée d’oxygène pour la croissance européenne.

D’un niveau de 1,35 USD avant l’éclatement de la crise, que nous envisagions globalement stable sur 2010, l’euro s’est déprécié de plus de 10 centimes depuis fin avril, pour se stabiliser autour de 1,20 USD. A horizon des douze prochains mois, nous tablons sur un maintien de la parité autour de ces niveaux7, soit un taux de change de l’ordre de 10% plus faible qu’initialement anticipé.

Selon nous, les principaux facteurs de risque associés à notre scénario central quant aux perspectives de l’EUR/USD sont, à la baisse :

  • Une aversion au risque qui demeure élevée, la monnaie américaine jouant son rôle de valeur refuge ;
  • Une extension de la défiance des investisseurs aux « pays du Nord » de la zone euro (Allemagne, France), dont la dette publique détenue par les non-résidents est sensiblement supérieure à celle des « pays du Sud ». En l’occurrence, l’activation de la FESF pourrait peser sur les finances publiques des « pays du Nord » et provoquer des sorties de capitaux de l’UEM.
  • Des craintes renforcées concernant la croissance en zone euro (par exemple due à l’ampleur des plans de consolidation et leur mise en œuvre) ou, à l’inverse,
  • L’application partielle des plans, conduisant à une consolidation moins rapide que prévu, détournant les investisseurs des titres de dette publique européenne.
  • Un manque de crédibilité / efficacité limitée du « Securities Markets Program » de la BCE.

A la hausse :

  • Réduction du différentiel de croissance : le ralentissement de l’économie américaine que nous anticipons au T3 ne semble pas être intégré dans les cours. A contrario, la zone euro pourrait enregistrer une croissance légèrement supérieure aux attentes, notamment grâce à l’Allemagne et au dynamisme des exportations.
  • En corollaire, un retardement des anticipations de hausse des taux Fed Funds que le marché envisage actuellement pour la fin du premier trimestre 2011.
  • La problématique des dettes souveraines n’épargne pas le cas américain, avec un déficit public encore supérieur à 10% en 2010, et 9% en 2011, soit 3 points de plus que celui de la zone euro agrégée.
  • Une réduction de l’aversion au risque, qui limite le statut de valeur refuge de l’USD.

Au total, le scénario d’un maintien de l’EUR/USD autour de la parité actuelle nous semble le plus probable, soit une dépréciation de 10% de la monnaie unique par rapport à nos hypothèses de travail avant l’irruption de la crise souveraine.

Or, on estime qu’un tel affaiblissement offre un soutien supplémentaire in fine à la croissance européenne à hauteur de 0,5 point de PIB en 2010 et en 2011.

Finalement, quelle croissance en 2010 / 2011 ?

En conjuguant les effets récessifs des plans de consolidation et le soutien d’un euro déprécié, nos prévisions sont globalement légèrement plus optimistes qu’il y a 3 mois pour 2010 (à 0,8% contre 0,6%) et légèrement plus pessimistes pour 2011 (à 0,8% contre 1%). Parallèlement, nous avons révisé nos anticipations d’inflation à 1,6% en 2010 et 1,4% en 2011, contre 1,1% il y a 3 mois. Toutefois, nous avons reculé notre prévision de première hausse de taux BCE (de juin à septembre 2011) compte tenu des tensions financières actuelles qui entravent sa stratégie de sortie de politique non conventionnelle.

NOTES

  1. En particulier, les titres autrichiens ont été affectés par les déclarations d’un membre du gouvernement hongrois sur l’état des finances publiques du pays (Cf. Flash 2010-285, « Hongrie : ni défaut souverain, ni crise de balance de paiements en vue »). Néanmoins, le risque de contagion est selon nous limité (Cf. Flash 2010-300, « Quel est le potentiel de contagion de la Hongrie ? »).
  2. Soit près de 150 mds EUR pour l’Allemagne et 111 mds EUR pour la France.
  3. Pour le moment, seuls 3 Parlements ont donné leur accord (Allemagne, France et Autriche) représentant 60% du capital nécessaire.
  4. Pour décrocher le AAA, la solution envisagée serait un apport en capital supplémentaire, de l’ordre de 20 mds EUR. Toutefois, peu d’informations ont filtré à cet égard (qui apporterait ce capital, comment serait-il levé,… ?).
  5. Les poids respectifs dans le PIB de la zone euro sont de 12% pour l’Espagne, 2,5% pour la Grèce et 2% pour le Portugal.
  6. Cf. Flash 2010-259 : « Rappel : les caractéristiques des consolidations budgétaires réussies ».
  7. Nos prévisions EUR/USD sont de 1,16 à horizon 3 et 6 mois, puis 1,20 à 12 mois.

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