par Ladislas Smia, Responsable de la recherche investissement responsable chez Mirova
Mardi 18 mai, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) publiait un rapport « Net Zero », détaillant les mesures à mettre en place si l’on souhaite atteindre la neutralité carbone en 2050. C’est la première fois que l’AIE se prononce explicitement sur les actions concrètes à prendre par chaque grand secteur lié à l’énergie afin de limiter la hausse des températures à 1,5°C.
La liste donne le vertige. Dès cette année, elle évoque l’arrêt des investissements dans de nouveaux champs pétroliers ou gaziers et dans les mines de charbon. Dès 2025, la fin de la vente de chaudières au gaz pour le bâtiment. Dès 2030, toutes les centrales à charbon doivent être fermées dans les économies avancées ; 60 % des ventes de voitures dans le monde sont des voitures électriques ; le trafic aérien est stabilisé au niveau de 2019. En 2040, 50 % des bâtiments ont été rénovés pour être neutres en carbone ; la production d’électricité est complètement décarbonée, le solaire et l’éolien constituant la majorité de la production ; 50 % des avions qui continuent à circuler fonctionnent avec des carburants bas-carbone. En 2050, plus de 85 % des bâtiments sont bas-carbone. Entre 2020 et 2050, la production d’hydrogène est multipliée par cinq et est progressivement décarbonée pour atteindre 100 % d’hydrogène vert. Le rapport nous rappelle aussi que, même avec le déploiement de l’ensemble de ces mesures, il restera encore des émissions de CO2 que nous aurons besoin de capter et séquestrer. Cela implique des technologies dites CCS sur les cheminées des usines, mais aussi au fait de mettre fin à la déforestation pour au contraire accroître le couvert forestier.
La radicalité des transformations nécessaires tranche avec le faible niveau d’ambition des annonces de « Neutralité Carbone » de nombre d’entreprises. A ce jour, la plupart des engagements se limitent à réduire les émissions de gaz à effet de serre sur un périmètre très restreint, qui prend rarement en compte les émissions des fournisseurs ou l’utilisation des produits. Ces démarches impliquent aussi souvent des achats d’électricité verte ou des financements de plantations d’arbres. C’est certes un premier pas. Mais il est désormais très clair que ces actions sont très, très loin, du niveau d’ambition nécessaire. Aucune société pétrolière à ce jour ne s’est engagée à cesser ses investissements dans de nouveaux champs pétroliers ou gaziers. Très peu de constructeurs automobiles affichent un objectif de 60 % de ventes de voitures électriques dans moins de 10 ans. Les projections des acteurs du transport aérien, constructeurs d’avion, d’aéroport ou compagnies aériennes prévoient toutes une hausse du trafic aérien dans les années à venir. Peut-on alors sérieusement parler de neutralité carbone ? Avec ce nouveau rapport, il semble aujourd’hui très clair que les acteurs économiques souhaitant afficher des engagements en matière de neutralité carbone doivent aligner leur modèle économique avec le chemin présenté par l’AIE.
Pour les acteurs financiers, la déclinaison de ces mesures a également des implications très fortes. Ce rapport vient affirmer une fois de plus que les investisseurs doivent très rapidement réduire le financement des énergies fossiles et investir massivement dans les solutions au changement climatique comme les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique, la mobilité bas carbone ou l’hydrogène. On voit bien alors que parler d’alignement avec un monde 1,5°C nécessite une transformation profonde des choix en matière d’allocation des capitaux ce qui est encore loin d’être le cas pour l’écrasante majorité du secteur.
Avec la publication de ce rapport, l’AIE vient en quelque sorte de siffler la fin de la récréation en matière de communication autour de la Neutralité Carbone, de « Net Zero » Carbon Emissions. Nous n’avons plus le temps pour les engagements de réduction prétendument alignés sur la science alors que les acteurs dont ils émanent oublient l’essentiel, en laissant de côté l’impact des produits qu’ils commercialisent. Et même si nous aurons bien besoin de replanter des forêts pour lutter contre le changement climatique, nous ne pouvons plus nous contenter de démarches de compensation qui ne remettent pas en cause le modèle économique des entreprises. Si nous voulons encore avoir une chance d’éviter les conséquences les plus graves du changement climatique, il est plus que temps de de se concentrer sur la transformation en profondeur de nos sociétés.