La question irlandaise

par Philippe Waechter, directeur de la recherche économique de Natixis Asset Management

Les tensions sur le marché obligataire irlandais traduisaient, ces dernières semaines, les interrogations des investisseurs quant à la capacité de l'économie irlandaise à faire face à d'importants défis économiques et financiers. Plutôt que de faire face seule à cette situation, l'Irlande a accepté l'aide de l'Europe, de la BCE et du FMI. Cette mutualisation du risque peut éviter un scénario défavorable pour l'économie irlandaise et maintenir la crédibilité de la zone euro.

Cette défiance des investisseurs s'était accrue récemment avec les difficultés rencontrées par le système bancaire irlandais. Les aides et garanties apportées par le gouvernement irlandais à son système bancaire se sont traduites par un gonflement sans précédent du déficit public. Celui-ci avoisinerait les 32 % du PIB en 2010.

L'aide, qui devrait s’élever à 80 ou 90 milliards d’euros, devra être répartie selon un mode qui reste encore à définir entre une aide aux finances publiques et une aide au secteur bancaire. Les négociations qui s'ouvrent entre l'Irlande et les représentants de la troïka (Europe, BCE, FMI) devront définir les règles qui s'appliqueront pour que l'évolution des finances publiques irlandaises soit soutenable à moyen terme. Les discussions sur la situation de l'économie irlandaise et le profil de croissance qui en résultera sont essentielles.

La situation de l’économie irlandaise

Le profil de l'activité et des prix

L'économie irlandaise a connu une longue période de très forte croissance. De 2000 à fin 2007, elle a en effet progressé en tendance de 5,3 % par an.

Sa dynamique était portée par une dynamique robuste du marché immobilier, un crédit bancaire plus abondant et l’enrichissement de son offre. Ce dernier point reflétait la plus grande diversité du tissu industriel et de services de l'économie irlandaise favorisé par des mesures fiscalement attractives.

Cette dynamique vertueuse s'est néanmoins interrompue en 2008. Le profil haussier de l'économie irlandaise s'est inversé. Le marché immobilier s'est retourné provoquant un premier choc négatif sur l'activité et sur l'emploi.

La rupture commune à l'économie globale a ensuite accentué le mouvement de repli. L'Irlande, qui par la diversité de son offre bénéficiait d'une dynamique très favorable sur ces exportations, a été directement affectée par le repli brutal du commerce mondial. Le profil de l'activité a changé rapidement de tendance comme le suggère le graphe de la page précédente. À la fin du 2e trimestre 2010, l’Irlande enregistrait un repli de 13,5 % par rapport au point haut du dernier trimestre de 2007. Cette rupture s'est accompagnée d'une progression rapide du chômage et d’une réduction de la demande qui s'est traduite par une période longue de baisse de prix.

Les déterminants de la croissance

La dynamique vertueuse dont a bénéficié l'économie irlandaise s'observe dans (…) les différentes contributions à la croissance annuelle de l’Irlande. La demande interne a joué un rôle prépondérant dans le développement de l'économie irlandaise puisque sa contribution était de 5 % en moyenne. La consommation des ménages et l'investissement ont également chacun eu une contribution marquée.

Le commerce extérieur a également participé positivement en moyenne avec une dynamique robuste des exportations.

Le marché intérieur a donc été au cœur de la croissance irlandaise avec d'importantes créations d'emplois et un taux de chômage très faible. Sur le graphique, on observe que la dynamique interne s'est retournée en 2008 et 2009. Les dépenses de consommation se sont repliées alors que l'investissement s'est effondré. Dans le même temps, le commerce extérieur a a contrario eu une contribution positive. Pendant cette période, L'Irlande a bénéficié de la reprise de l'activité globale alors que ses importations ralentissaient en raison de la déprime du marché intérieur.

Les prévisions du gouvernement

Dans le document sur les perspectives économiques et budgétaires paru le 4 novembre 2010, le gouvernement irlandais a détaillé sa feuille de route et le profil attendu sur les finances publiques. Dès 2011, le gouvernement irlandais anticipe une reprise rapide de l'activité et de l'inflation. La croissance de l'activité passerait de 0,25 % (prévision du gouvernement) à 1,75 % avant d'accélérer et de passer à 3,25 % en 2012.

Du côté des prix, l'évolution du déflateur passerait de négatif à positif dès 2011 avec une accélération de cette inflation à l'horizon 2014.

Ce profil n'est pas sans conséquence sur le profil des finances publiques. Le gouvernement considère que le commerce extérieur va tirer l'activité vers le haut, sans attendre de rebond de la demande interne.

Projection de la dette publique

Dans le document du gouvernement, l'évolution du déficit correspond au déficit global. La distinction entre les dépenses, notamment la distinction entre dépenses d'intérêt sur la dette et dépenses hors intérêt, ne ressort pas. L'objectif clairement défini par le gouvernement irlandais est de réduire son déficit de 15 milliards d'euros à horizon de 2014. Le profil de la croissance étant donné, le profil du déficit est défini pour permettre une stabilisation puis une rémission de la dette publique à l'horizon 2014.

Le schéma retenu est donc "calé" pour qu'en 2014 il y ait réduction de la dette publique. On peut s'interroger sur les hypothèses faites tant sur le profil de la croissance que sur celui des déficits publics. Les profils qui sont représentés après reprennent le même schéma, mais avec une hypothèse de croissance plus réduite (1 % de croissance et 1 % d'inflation) et/ou une hypothèse différente sur les déficits publics.

Trois hypothèses sont retenues :

  • croissance plus lente et hypothèses identiques sur le déficit ;
  • croissance lente et hypothèse de réduction plus rapide du déficit (1 point d'amélioration par an) ;
  • croissance lente et hypothèse de réduction plus lente du déficit (1 point de déficit en plus par an).

Dans les hypothèses 1 et 3, pas de stabilisation de la dette publique. Le profil 2 permet cette stabilisation de mais à un niveau plus élevé en raison d'une croissance réduite.

Dans les discussions sur l'aide européenne, on perçoit bien l'arbitrage entre scénario macroéconomique et profil du déficit public. Les options prises doivent permettre de stabiliser le ratio de dette. Le risque dans ce cadre est une instabilité politique qui pourrait s'observer après la convocation des élections générales de janvier. Les tensions internes sont déjà fortes et s'il y a davantage d'instabilité politique, il sera plus complexe et difficile de mettre en place un scénario restrictif sur le plan budgétaire. Cela se traduirait alors par une instabilité de la dette.