France : d’importantes différences avec la Grèce et l’Irlande

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Avec l’intensification de la crise des dettes souveraines européennes ces dernières semaines, se pose la question de la solidité des pays qui, pour le moment, sont restés épargnés par les secousses. En d’autres termes, quels sont les prochains sur la liste des pays qui vont être en difficulté ? Le Portugal et l’Espagne sont régulièrement mis en avant. Entrant dans ce débat, N. Roubini, célèbre économiste américain, a déclaré la semaine dernière que « la France n’est pas en meilleur état que la Grèce ou l’Irlande », soulignant son incapacité à se réformer.

Il nous semble cependant que la France se trouve dans une situation bien plus favorable que celles de la Grèce ou de l’Irlande. Nous voyons en particulier les différences suivantes, cette liste n’étant évidemment pas exhaustive :

  • Si la notation n’est pas forcément un gage de solidité, les agences de notation ayant tendance à « downgrader » les dettes des pays en difficulté lorsque les marchés ont déjà commencé à les sanctionner, la France fait malgré tout partie des pays notés AAA considérés comme les plus solides. Certains argueront que l’Irlande était également triple-A avant de se faire « downgrader » mais c’est oublier les points discutés ci- dessous.
  • La situation des finances publiques françaises est plus favorable : le déficit français a été presque deux fois moins important en 2008 et en 2009 que ceux enregistrés par la Grèce et l’Irlande (-3,3% vs respectivement -9,4% et -7,3% en 2008 ; -7,5% vs respectivement -15,4% et -14,3% en 2009). En 2010, l’écart avec la Grèce se resserre avec la mise en place du Plan d’austérité budgétaire grec (-7,7% vs -9,7%). Le déficit français devrait rester inférieur en 2011 et 2012 à ceux de ces deux pays. En conséquence, les dynamiques de dette publique ont été très différentes ces dernières années : la France est passée d’une dette publique de 67,5% du PIB en 2008 à environ 83% en 2010 (hausse de 16 points) alors que la dette grecque aura progressé de près de 30pts (à 141,9% en 2010) et que la dette irlandaise aura plus que doublé, passant de 44,3% en 2008 à 99,5% en 2010.
  •  Le doublement de la dette irlandaise est imputable en grande partie à la très mauvaise santé des banques qui ont été garanties par l’Etat. Les banques irlandaises font face à d’importantes pertes liées à la hausse des défauts. Or aujourd’hui, le système bancaire français a renoué avec les profits et ne se retrouve pas confronté à une insolvabilité massive de ses emprunteurs. L’endettement des ménages constitue une différence de taille (de 78% du revenu en France contre 154% en Irlande), la politique de crédit également.
  • Sans être particulièrement exaltante, la situation macroéconomique de la France n’est pas catastrophique alors que Grèce et Irlande subissent de plein fouet les effets de leur plan d’austérité budgétaire : la croissance française aura vraisemblablement progressé de 1,5% cette année et affichera une hausse similaire en 2011 alors que l’Irlande sera probablement en territoire négatif en 2010 (-0,8%) et renouera avec une très faible croissance en 2011 (0,8%). La Grèce est en récession (-4,1% cette année) et le restera en 2011 (-2,8%).

Et qu’en pensent les marchés ? Aujourd’hui l’écart de taux d’intérêt sur les taux 10 ans entre la France et l’Allemagne est de 48pb, écart relativement élevé, mais qui reflète plus l’aversion au risque élevée sur les marchés et les écarts de croissance entre les deux pays. En effet, l’Allemagne va vraisemblablement enregistrer une croissance de plus de 3% cette année alors que celle de la France sera inférieure à 2%. Le CDS 5 ans (« Credit Default Swap »), qui est le prix demandé pour se couvrir contre le risque de défaut d’un pays sur 5 années, est de l’ordre de 88pb en France, soit le double de celui de l’Allemagne. Si cette différence peut s’expliquer par une situation macroéconomique et des finances publiques bien plus favorables en Allemagne qu’en France, on peut cependant s’interroger sur le fait que la France est considérée aujourd’hui aussi risquée que la République Tchèque (notée A) ou que le Chili (noté A+).

Au total, les différences entre les situations française, grecque et irlandaise sont significatives et nous laissent penser que la France ne fait pas partie du prochain train sur la liste des pays en difficulté.

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