Le Venezuela dévalue pour augmenter ses marges de manœuvre budgétaires

par Carlos Quenan et Bénédicte Baduel, économistes chez Natixis

Le 8 janvier dernier, le Président vénézuélien Hugo Chavez a annoncé la dévaluation de la monnaie nationale, le bolivar fuerte, et la mise en place de deux taux de change officiels tout en maintenant le régime de contrôle de change en vigueur depuis 2003. Les tensions entre le marché du change officiel et le marché parallèle se sont accrues au cours des derniers mois (le taux de change sur le marché parallèle a atteint 6 VEF par USD contre 2,15 sur le marché officiel).

Pour autant, contrairement aux épisodes précédents de fortes dévaluations pendant les années 80 et 90, la parité n’était pas intenable puisque le système de contrôle de change géré par le gouvernement a favorisé l’accumulation de conséquentes réserves de change. En fait, la dévaluation constitue surtout une bouffée d’oxygène pour le gouvernement en termes de recettesbudgétaires alors que, dépendant pour beaucoup des revenus du pétrole, elles ont fortement baissé en 2009.

2010 étant une année électorale (législatives en septembre) et le pays traversant une récession, le maintien de dépenses publiques importantes, en particulier sociales, est un élément clé pour la popularité de Chavez.

Vendredi 8 janvier 2010, Hugo Chavez, le président du Venezuela a annoncé la dévaluation du bolivar fuerte qui s’échangeait depuis 2005 au taux de 2,15 VEF par USD. A partir d’aujourd’hui, trois taux coexisteront. Un taux de change de 2,60 VEF par USD s’appliquant aux biens et services dits prioritaires, un taux de 4,30 pour les autres activités dont l’industrie pétrolière et, outre ces deux taux fixes et officiels, le taux libre du marché parallèle. Il s’agit du quatrième ajustement depuis la mise en place du régime de contrôle des changes en 2003. Cette mesure intervient alors que les divergences entre le taux de change officiel et le marché parallèle se sont accrues et que le gouvernement, qui sera confronté à des échéances électorales à la fin de l’année, doit faire face à une sévère récession, dans un cadre d’inflation élevée et de diminution des recettes publiques.

La dévaluation : une réponse à la crise économique

Alors qu’à plusieurs reprises au cours de 2009, le gouvernement vénézuélien avait écarté la possibilité d’une dévaluation, face à l’ampleur de la récession et disposant de peu de marges de manœuvre, Chavez a finalement opté pour une mesure somme toute traditionnelle dans la politique économique vénézuélienne : comme cela avait été le cas lors des crises de 1989 et de la fin des années 1990, le gouvernement a dévalué le bolivar. Cette mesure est à mettre en perspective par rapport à trois éléments majeurs.

D’une part, sur le marché cambiaire, les distorsions induites par le régime de contrôle de change en vigueur depuis 2003 se sont accrues. Face au taux de change fixe USD/VEF de 2,15, le bolivar sur le marché libre s’échangeait depuis plusieurs mois à plus de 6 bolivars par dollar, et a atteint un différentiel de 191% avant l’annonce de la dévaluation. Au cours de 2009, face à la diminution des ressources en dollars, CADIVI, la commission d’administration des devises, a rendu plus strict l’octroi de dollar tant en termes de montant que du point de vue des importations jugées prioritaires. Ainsi plus d’importateurs ont dû recourir au marché parallèle.

Par ailleurs, l’action du gouvernement pour limiter l’appréciation sur le marché libre a montré ses limites (détournement de la fonction de PDVSA, scandales de corruption, limites à la capacité d’absorption des bons publics…).

D’autre part, au niveau de l’économie réelle, le Venezuela qui a eu entre 2003 et 2008 un cycle de croissance dynamique a connu une sévère récession en 2009 (-2,9%). Et, alors que dans la plupart des pays de la région, des signes de sortie de crise sont apparus au cours du T2 et T3, la contraction du PIB vénézuélien a continué à s’accroitre tout au long de l’année.

Bien qu’ayant accumulé d’importantes ressources sous la forme de réserves de change et dans différents fonds souverains, le gouvernement, dont la politique de fortes dépenses publiques a été un moteur de la croissance pendant la période précédente, n’a pas disposé d’importantes marges de manœuvre contra-cycliques alors que les recettes fiscales, très dépendantes des revenus du pétrole (pour environ 50%) ont diminué. En mars, le gouvernement Chavez a d’ailleurs mis en place un premier paquet de mesures d’ajustement budgétaire modéré constitué de baisses de certaines dépenses et de hausses d’impôts visant à permettre un ajustement en douceur sans recourir à la dévaluation, plus couteuse en termes de récession et d’inflation. Il s’agissait en fait d’un ajustement modéré dans l’attente d’un redressement du prix international du pétrole (cf. Note mensuelle Amérique latine d’avril 2009). Or, malgré la correction à la hausse des cours internationaux à partir de mars 2009, le prix du mix vénézuélien a tout de même subi une contraction de près de 35% en 2009 par rapport à l’année précédente.

Enfin, Chavez, renforcé en février dernier par la victoire au référendum lui permettant de représenter sa candidature aux élections présidentielles de 2012 devra dans un premier temps affronter l’opposition aux élections législatives de septembre 2010. Or la combinaison de la récession économique avec une forte inflation accule les classes populaires qui sont le vivier de l’électorat chavista. Plus récemment, le pays est confronté à une crise énergétique sévère (coupures et rationnements) qui a provoqué des mécontentements chez les industriels mais également parmi les classes populaires. S’il veut garder son électorat, Chavez doit donc à tout prix maintenir les grands programmes sociaux, ou misiones, fleuron de la révolution bolivarienne et qui ont représenté dans les dernières années près de 4% du PIB et environ 35% du budget.

Entre risques économiques et stratégie politique

Lors des crises de 1989 et de la fin de la décennie 1990, la dévaluation monétaire avait eu un considérable effet récessif avec une accélération de l’inflation (taux de variation annuel entre 80 et 100%). Actuellement, l’inflation vénézuélienne demeure la plus élevée à l’échelle de la région en clôturant 2009 un peu au dessus de 25%. La dévaluation du bolivar alors que le pays est un importateur de biens et services (notamment de denrées alimentaires) laisse craindre une nouvelle accélération de la hausse des prix domestiques. Le gouvernement cherche à tout prix à en atténuer les effets sociaux, notamment en mettant en place deux taux de change. En effet, pour les biens et services dits prioritaires (aliments, santé, machines-outils, sciences et technologie, importations du secteur public, fournitures scolaires), le taux de change préférentiel sera de 2,60 au lieu de 2,15 par dollar.

A l’inverse, la parité de 4,30 VEF par USD qui s’appliquera aux autres secteurs (pétrole, produits chimiques, plastique, textile, etc.) vise selon le gouvernement à favoriser les exportations de ces secteurs. En fait, le « bolivar pétrolier » permet de décourager les importations de biens non prioritaires et surtout d’accroitre les revenus en bolivars tirés du pétrole (exporté principalement par la compagnie publique PDVSA). Il s’agit là d’une bouffée d’oxygène, cruciale pour le maintien de la politique de fortes dépenses publiques menée par Chavez, en particulier dans cette année électorale et alors que les variables macroéconomiques, notamment le déficit budgétaire, se détériorent. Il faut rappeler que le budget approuvé par l’Assemblée Nationale avant la dévaluation prévoyait pour l’année en cours un niveau de dépenses inférieur de 16,7% par rapport à celui de 2009, sur la base d’une croissance d’à peine 0,5% en 2010.

Le gouvernement a parallèlement annoncé le transfert de 7 milliards d’USD de réserves de change de la banque centrale au FONDEN (Fonds de Développement National) qui devraient également permettre d’alimenter les dépenses et investissements publics.

Dans ce contexte, il est difficile d’anticiper quel sera l’impact de cette mesure sur l’économie et sur la popularité du gouvernement. D’une part, si elle se traduit par une forte hausse des prix, y compris pour les biens de première nécessité, elle pourrait générer un mécontentement parmi les classes populaires. Après l’annonce de la dévaluation, on a assisté à des courses aux achats notamment de biens électroménagers et électroniques en anticipation d’une hausse des prix dès ce lundi et ce malgré le discours du Président Chavez très ferme quant à sa volonté de contrôler l’augmentation des prix.

D’autre part, un surcroit de dépenses publiques, ciblé sur des programmes sociaux à forte visibilité, pourrait renforcer le soutien ou au moins éviter l’érosion de l’adhésion à la « révolution bolivarienne » de la part des secteurs les plus défavorisés qui seront affectés par l’inflation. En effet, la popularité d’Hugo Chavez a connu un recul au cours des derniers mois (29,9% de confiance en octobre 2009 selon l’enquête Datanalisis, le plus bas niveau depuis 2004). Le gouvernement a ainsi annoncé la création de trois fonds destinés à recevoir les excédents de devises : un fonds pour les exportations (financement de projets pour les micro-entreprises et PME), de substitutions aux importations, et un destiné à pallier aux problèmes du secteur électrique (Plan Energétique National) qui cherchent à répondre aux dysfonctionnements de l’économie vénézuélienne.

Il n’en reste pas moins qu’au niveau de l’économie réelle, la dévaluation du bolivar va entraîner un transfert de revenu de la population et des secteurs non pétroliers vers l’Etat et le secteur pétrolier. Elle contribue donc au renforcement de la dépendance du Venezuela vis-à-vis du pétrole et pourrait avoir des effets fortement négatifs sur la dynamique économique. Ainsi après un recul du PIB de 2,9% en 2009, la croissance vénézuélienne devrait être très modérée en 2010. Dans le cadre du scénario actuel sur l’économie mondiale et l’évolution des cours pétroliers, il est peu probable qu’elle dépasse les 2%, même si le scénario international est plutôt favorable. En revanche, l’inflation devrait maintenir sa trajectoire haussière avec un rythme annuel de l’ordre d’au moins 30 à 35% en 2010.

Sur le plan monétaire et financier, si le gouvernement et la banque centrale se sont engagés à intervenir sur le marché des changes pour éviter les opérations spéculatives, les arbitrages entre le taux officiel et le taux du marché libre sont déjà généralisés (achat d’USD au taux préférentiel et revente sur le marché parallèle) et il est difficile que la situation se modifie avec le renforcement du régime de change multiple.

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