Les deux défis de l’Inde

par Nidhi Chawla et Jean-Charles Sambor, économistes chez Amundi Asset Management

L’économie indienne s’est très bien comportée durant la crise. Dans le sillage des mesures de relance publiques, son taux de croissance a été supérieur à 6 %. Les moteurs de la croissance à long terme de l’Inde restent intacts, notamment une démographie plus favorable que celle de la Chine et un modèle économique reposant non pas sur les exportations mais sur la consommation intérieure et l’investissement. Toutefois, le pays continue à afficher un déficit budgétaire élevé et pourrait être confronté à d’importantes pressions inflationnistes.

 2010, l’année de la reprise

La croissance du PIB sera proche de 7,5-8,0 % en 2010, malgré le faible dynamisme des exportations. L’investissement privé va redevenir l’un des principaux moteurs de l’économie et il sera suivi au second semestre d’une accélération des dépenses en infrastructures. La consommation devrait rester soutenue, mais moins qu’en 2009. La progression du crédit au secteur privé pourrait atteindre 25%. La rentabilité du secteur bancaire semble raisonnable et les créances douteuses ne devraient pas constituer un danger systémique, au vu des ratios Tier 1.

Le risque budgétaire reste élevé

Les difficultés budgétaires de l’Inde sont apparues bien avant la crise, le gouvernement ayant mené une politique pro-cyclique pendant le boom 2004-2008. En 2009, le déficit budgétaire indien s’est nettement creusé, en raison d’une baisse des recettes fiscales et de l’augmentation des dépenses publiques visant à atténuer l’impact de la crise sur l’économie. Et en 2010, le déficit budgétaire consolidé devrait être proche des 10 %, un niveau sans précédent depuis le début des années 1990.

Mais en 2011, la situation des finances publiques devrait s’améliorer. L’amélioration de la conjoncture devrait permettre de diminuer une partie des mesures de soutien à l’économie (aux agriculteurs notamment) et les recettes fiscales devraient s’améliorer. Le gouvernement devrait également céder ses participations dans des entreprises publiques rentables. Une législation fiscale plus simple, qui permettra d’élargir l’assiette des impôts indirects, devrait être instaurée. Au total, le déficit budgétaire consolidé devrait être légèrement inférieur à 8%. Un tel déficit restera plus élevé qu’au cours des dernières années et continuera à pénaliser la notation souveraine de l’Inde. Aucune initiative politique ne tend vers une suppression des subventions liées à l’alimentation et aux engrais. Le scénario le plus probable à moyen terme est une rationalisation progressive du système de subvention des carburants. Le service de la dette demeurera un poste important et les ratios élevés de dette publique continueront à freiner les dépenses. Même si le déficit budgétaire pourrait se réduire l’année prochaine et la croissance économique accélérer, il faudra du temps avant que l’Inde fasse preuve d'austérité budgétaire.

Risque n°2 : Une inflation en forte hausse

L’inflation a augmenté de plus de 10 % en glissement annuel au mois de juillet et n’est pas repassée sous ce seuil depuis. Les prix alimentaires enregistrent une hausse de plus de 19 % au quatrième trimestre 2009, en raison d’une saison de la mousson décevante et de la réglementation publiques. Cette hausse s’explique par des facteurs structurels (notamment hausse plus rapide de la demande que celle de l’offre) qui devraient perdurer. L’inflation des prix alimentaires devrait donc rester élevée et son impact sur les autres produits n’est pas négligeable. Par ailleurs, la facture pétrolière de l’Inde est importante et toute hausse des prix du pétrole retarderait la reprise de l’activité industrielle et se traduirait également dans l’inflation.

Un impact marqué sur les taux et la devise

La banque centrale indienne n’utilise pas la méthode du ciblage d’inflation mais s’est fixé plusieurs objectifs : la « gestion » du taux de change, le soutien de la croissance économique et l’élaboration d’un programme d’emprunt cohérent. Aussi, malgré notre anticipation d’une hausse de l’inflation, les multiples objectifs de la banque centrale devraient rendre très progressif le cycle de durcissement monétaire. En 2010, la banque centrale (RBI) devrait relever le ratio réglementaire des dépôts des banques puis augmenter ses taux directeurs de 100 à 125 pb. Un resserrement plus important pourrait étouffer la croissance du PIB et déclencher une appréciation rapide de la devise et au final. Il ne faut toutefois pas exclure une réponse plus rapide des taux en cas d‘inflation.

Du côté des taux longs, le rendement des emprunts d’État à 10 ans est désormais supérieur à 7 %, après un point bas à 4,8 % en janvier 2009. Selon notre scénario central, ces rendements devraient rester en deçà de 8 %. Selon notre scénario de risque (inflation plus élevée que prévu et renforcement du risque budgétaire), les rendements pourraient facilement dépasser 8 %.

En matière de devise, les risques sont doubles. A court terme, la roupie pourrait continuer à s’apprécier et atteindre 44/45, sous l’effet des investissements importants sur les marchés actions et de l’augmentation des investissements directs étrangers (IDE). Il est peu probable que la banque centrale indienne intervienne à court terme, malgré l’importance des flux de capitaux. Une appréciation de la roupie en deçà de 44 modifierait les anticipations du marché au point que la RBI pourrait se montrer incapable de freiner sa hausse. Au delà des risques inflationnistes (c’est-à-dire une hausse du taux de change réel via l’inflation et non du taux de change nominal) et budgétaires, nous pensons que la roupie restera très corrélée au niveau de l’appétit pour le risque (facteur « push »). La roupie devrait s’apprécier sur le long terme en raison de flux de capitaux structurellement plus soutenus, mais à court terme, elle restera dépendante des flux des investisseurs institutionnels étrangers.