Les Etats-Unis seront-ils sauvés par le gaz de schiste ?

par Inna Mufteeva et Thomas Julien, économistes chez Natixis

Depuis les années 1970 les Etats-Unis ont connu une forte baisse de leur intensité énergétique avec l’amélioration de l’efficacité de l’appareil productif. Toutefois, ils n’en demeurent pas moins (avec le Canada) parmi les pays du G7 à très faible efficience énergétique. Ceci implique que la question de suffisance en énergie reste cruciale pour l’économie américaine.

Si le pétrole est de loin la principale source d’énergie primaire utilisée aux Etats-Unis, le gaz naturel occupe aujourd’hui la seconde place dans les énergies consommées. Cette ressource est à la fois utilisée comme bien intermédiaire dans la production d’électricité et par certaines industries et comme bien de consommation finale par les ménages qui l’utilisent principalement pour le chauffage. Elle est majoritairement produite sur le territoire américain (environ 90%) et importée du Canada pour le reste.

Si auparavant la production de gaz naturel provenait principalement du gaz conventionnel, le gaz de schiste représentait 33% de l’offre totale de gaz aux Etats-Unis en 2011, une place qui devrait s’accroître au cours des prochaines années. Ce choc d’offre positif avec une augmentation des volumes de production ainsi que l’effondrement de la demande depuis la crise ont entrainé une baisse considérable des prix du gaz naturel: le cours du Henry Hub (l’indice de référence pour le marché américain) est descendu aux alentours de 2,5$/MMBtu en 2012 contre 10$/MMBtu en Europe et 18$/MMBtu au Japon.

A la base du développement de ce nouveau secteur se trouve la mise en place de deux techniques complémentaires de forage permettant l’exploitation des réserves difficilement accessibles auparavant : la fracturation hydraulique et le forage horizontal. Malgré certains risques environnementaux associés à ces techniques les autorités américaines restent favorables au développement de ce secteur en plein essor. Outre la découverte de cette nouvelle approche au forage, l’exploitation de gaz de schiste a été permise par un ensemble de facteurs favorables : les conditions géologiques, une faible densité de population, l’acceptation des communautés locales, le cadre légal et fiscal favorable (les ressources minières appartenant aux propriétaires de terrains), le réseau d’infrastructures de forage et de transport bien développé.

Parmi les secteurs qui ont tiré avantage du développement du gaz de schiste, on note le secteur de l’électricité, dont une part de la production à base de charbon a été substituée par du gaz naturel. Le secteur industriel qui représente actuellement environ 32% de la demande de gaz naturel a également profité de la baisse du prix de l’énergie et de sa volatilité. En particulier, c’est l’ensemble des industries à forte intensité énergétique comme les producteurs de produits chimiques, de ciment, de papier-carton, d’aluminium, de verre, les raffineries, la métallurgie ou encore le secteur agroalimentaire. Hormis les effets positifs liés à la réduction de la facture énergétique ou du coût de la matière première, certains secteurs ont enregistré une demande plus soutenue pour leurs produits finaux (les producteurs de l’équipement de forage par exemple).

Avec un avantage en termes de coûts salariaux, qui restent relativement faibles par rapport aux autres pays développés, et la baisse structurelle du dollar, ces éléments constituent un facteur de soutien à l’industrie américaine. En conséquence, il existe un potentiel pour voire apparaître des poches de ré-industrialisation dans certains secteurs.

Le développement du gaz non-conventionnel pourrait également permettre aux Etats-Unis de réduire leur dépendance énergétique. Si l’on considère le ratio de dépendance, qui se présente comme la part nette des besoins énergétiques importés, les Etats-Unis, avec d’importantes ressources naturelles sur leur territoire, se trouvent dans une situation relativement confortable : ce ratio est passé d’un pic de 31% en 2005 à 20% en 2011, soit un niveau légèrement inférieur à la moyenne des 20 dernières années (24%) et qui est également loin du ratio de 53% enregistré par l’UE (selon les données de 2009). Même si cette dépendance est fortement concentrée sur le pétrole qui représente 95% des importations nettes énergétiques et reste la principale ressource énergétique consommée dans le pays, la baisse graduelle des besoins en énergie importée devrait se poursuivre ces prochaines années. Selon les estimations de l’EIA, le ratio de dépendance pourrait atteindre 13% en 2035 ce qui, couplé au développement du secteur industriel domestique pourrait contribuer à une amélioration de la balance courante américaine, structurellement déficitaire.

NOTES

  1. Pour plus d’information Cf le Flash 2012 – 683 « La "révolution" du gaz de schiste aux Etats-Unis : bilan et perspectives »

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