Zone euro : à la traîne, quoique…

par Jean-Luc Proutat, économiste chez BNP Paribas

En 2012, les Etats-Unis auront réussi à préserver un rythme de croissance, sinon spectaculaire (+2,2% selon nos estimations), du moins suffisant pour faire baisser marginalement le chômage. Celui-ci est passé sous la barre des 8% de la population active en septembre. Le Japon aura partiellement récupéré de la catastrophe de Fukushima. Malgré un ralentissement en Chine, au Brésil et en Inde, l’activité dans le monde émergent est restée dynamique, progressant de 4,7% en moyenne.

Mais l’Union européenne est restée en panne. Seule grande zone économique de la planète à connaître une récession, son PIB est estimé en baisse de 0,4% cette année. L’Union économique et monétaire (UEM), notamment, a décroché du convoi. Depuis le dernier point bas du deuxième trimestre 2009, elle accuse un déficit cumulé de croissance de 3 points de PIB vis-à-vis des Etats-Unis. Elle continue de détruire des emplois : 1,2 million de postes ont été supprimés (en net) dans l’UEM de mi-2009 à mi- 2012 lorsque, dans le même temps, l’économie américaine en créait 2 millions. On peut relativiser ce chiffre en se souvenant que, lors de la grande récession de 2008-2009, le marché du travail européen avait mieux résisté. Mais son absence de récupération est malgré tout décevante.

La zone euro paye le coût de son indécision politique, notamment le fait que les mécanismes de partage des risques ont trop longtemps tardé à venir contrebalancer l’effet dépressif des politiques de rigueur mises en place au niveau des Etats. Celles- ci n’ont pas empêché les primes de risque de s’écarter au Sud, entraînant des arbitrages destructeurs et une segmentation des marchés. Durant l’été 2012, les retraits de capitaux n’ont pas seulement concerné les banques en Grèce, mais aussi en Espagne et au Portugal. Le crédit s’est contracté dans ces pays ainsi qu’en Italie, alors qu’il continuait de progresser ailleurs. La récession s’est approfondie, conduisant à réviser en baisse les estimations de croissance, et en hausse celles des déficits. La menace d’une déflation par la dette, où dépenses et revenus s’entraînent dans une chute sans fin, est devenue palpable. L’histoire de la crise s’écrit toujours, mais nul doute qu’elle jugera sévèrement les Etats du Nord de la zone euro qui, rétifs au risque d'une mutualisation ne serait-ce que partielle des dettes, ont pris celui d'asphyxier leurs voisins et principaux partenaires du Sud.

On peut espérer que, avec la mise en route du Mécanisme européen de Stabilité (MES) et du programme d’achats illimités de dette annoncé par la BCE (OMT), les choses s’améliorent peu à peu. Mais le déficit de croissance à combler est tel que, à l’horizon 2013, la zone euro restera largement en retrait (nous prévoyons 0% de progression de l’activité). On aurait, toutefois, tort de mesurer la performance des uns et des autres à l’aune des seuls taux de croissance. Car bien qu’avec difficulté, l’Europe commence à régler un certain nombre de ses problèmes. Les déséquilibres de balances des paiements intra-UEM, à l’origine de la crise, se corrigent peu à peu. C’est, notamment, le cas en Italie et en Espagne, tout près d’éliminer leurs déficits avec la zone euro. Symétriquement, les excédents de l’Allemagne se réduisent (graphique). La dérive des positions concurrentielles se corrige : depuis le début de 2008, l’Espagne et le Portugal ont réduit de 8% à 10% leurs coûts salariaux unitaires vis-à-vis de l’ensemble de la zone euro ; l’Irlande a connu une baisse relative de ses coûts de près de 20%. Autre évolution encourageante, les flux d’investissements directs dirigés vers le Sud se renforcent. Enfin, signe que l’annonce de l’OMT a pu entraîner un dégel des financements privés, les déséquilibres internes à l’Eurosystème inscrits dans les comptes TARGET 2 ont récemment commencé à se réduire.

Notons par ailleurs que, prise globalement, l’UEM accroît ses excédents extérieurs, ce qui ne tient pas seulement au freinage de ses importations mais aussi à l’amélioration de sa compétitivité. Ses comptes publics sont, de loin, les plus solides de la zone OCDE (3,3% de PIB de déficits en 2012, contre 8% aux Etats-Unis et 10% au Japon), une situation qui devrait permettre au MES d’emprunter à des coûts faibles.

En conclusion, le décrochage européen est largement le pendant des efforts de redressement entrepris pour répondre à la crise des dettes souveraines en zone euro. Ceux-ci porteront leurs fruits, pour peu que celle-ci parvienne à renforcer sa gouvernance et à progresser vers une union budgétaire, seul moyen d’éliminer les tensions internes qui l’affaiblissent aujourd’hui.

Retrouvez les études économiques de BNP Paribas