Mexique : l’agitation à propos des finances publiques est-elle justifiée ?

par Sylvain Bellefontaine, économiste chez BNP Paribas

Récession économique profonde, perspectives de croissance relativement faibles, épuisement du secteur énergétique et engagement des pouvoirs publics dans une guerre coûteuse et meurtrière contre les cartels de la drogue, sont autant de défis pour les finances publiques du Mexique.

Battu aux élections législatives de juillet 2009 à mi-parcours de son mandat, le Président Calderon est bien en mal de faire adopter des réformes impopulaires. Devant le report des réformes structurelles essentielles pour renforcer le potentiel de croissance du Mexique, sa productivité et sa compétitivité et pour consolider les finances publiques, les agences de notations ont abaissé la notation de la dette souveraine à long terme du pays. 

Ni la solvabilité, ni le statut investment grade du pays ne sont en péril à ce stade, grâce à la poursuite d’une politique macroéconomique orthodoxe et aux mesures budgétaires ponctuelles qui seront probablement adoptées au moins jusqu’aux élections présidentielles de 2012. Cette orthodoxie aura cependant un coût au niveau du développement socio-économique du pays, susceptible d’engendrer une agitation sociale.

Une gestion toujours conservatrice n’a pu éviter le dérapage budgétaire en 2009

Pendant les deux grandes crises qui ont frappé le Mexique au cours des trois dernières décennies, la crise de solvabilité du début des années 1980 et la crise de la balance des paiements en 1994-95, le secteur public a joué un rôle central de catalyseur. Ces dernières années, la situation des finances publiques s’est considérablement améliorée, avec un budget du secteur public plus ou moins à l’équilibre et un endettement relativement réduit. La politique budgétaire restrictive adoptée depuis la fin des années 1990 a contribué à renforcer la confiance des investisseurs internationaux et la stabilité macroéconomique du pays. Le risque souverain en devises a notablement diminué au cours des dix dernières années, grâce notamment au passage d’une dette libellée en dollar à une dette libellée en peso. La dette publique extérieure représentait 7 % du PIB à fin 2008. Elle est majoritairement à taux fixe et échéances longues.

Néanmoins, même si le gouvernement était dans une situation relativement favorable au début de la crise actuelle, par rapport aux crises précédentes, la gravité de celle-ci a révélé la faiblesse structurelle des finances publiques. La réforme budgétaire de 2007 et la réforme énergétique de 2008 ont été toutes les deux extrêmement décevantes. Les pouvoirs publics ont échoué jusqu’ici à résoudre les problèmes cruciaux : i/ un budget dépendant des recettes pétrolières (plus de 35 % du total des recettes depuis quelques années) dans un contexte de chute marquée de la production (-30 % depuis le pic de 2004), ii/ une base fiscale excessivement réduite, limitée à 10 % du PIB, résultat d’un code des impôts pléthorique, complexe, inefficace et inéquitable, multipliant les régimes préférentiels et les exonérations, d’une collecte des impôts inefficace, de fraudes fiscales massives et d’une économie duale, et iii/ une épargne du secteur public faible et fugace (environ 2,4 % du PIB). Ces faiblesses structurelles associées aux problèmes cycliques (à savoir, la baisse temporaire des recettes non pétrolières due aux difficultés économiques) et à la poursuite d’une politique budgétaire conservatrice expliquent la portée limitée de la politique budgétaire contracyclique1 par rapport à celle déployée dans de nombreux pays émergents incluant les voisins brésilien, chilien voire péruvien, mais aussi pourquoi la marge de manœuvre budgétaire est désormais considérée épuisée.

En octobre 2009, malgré les efforts déployés pour amortir la dégradation des comptes publics, y compris les recettes non récurrentes des opérations de change de Banxico et le transfert des maigres ressources du fonds de stabilisation pétrolier, les recettes budgétaires du secteur public fédéral2 accusaient une baisse de 12 % en rythme annuel et en termes réels du fait de la diminution des recettes pétrolières (-28 % à 31 % des recettes totales, reflétant une réduction de 7 % de la production et une chute de 13 % des exportations, toujours en rythme annuel, et ce malgré la dépréciation de 22 % du peso contre le dollar), et du déclin des recettes fiscales non pétrolières (-12 %).

Dans le même temps, les dépenses totales ont augmenté de 5 %, avec une hausse de 10 % des dépenses programmables (allouées notamment au développement agricole, au développement social et à la sécurité nationale), tandis que l’investissement physique a bondi de 65 % (11 % hors investissements de PEMEX). En conséquence, le solde du secteur public est devenu négatif, affichant un déficit de 180 MdMXN (soit environ 13 MdUSD) sur la période de janvier à octobre, équivalant à 1,5 % du PIB annuel, après un excédent de 1,7 % du PIB un an plus tôt. L’excédent primaire s’est réduit à 0,1 % du PIB, contre 3,2 % du PIB un an plus tôt, amputé par l’accroissement de 12 % du coût de financement qui a atteint le niveau gérable de 8,4 % des recettes budgétaires (environ 1,5 % du PIB), contre 6,6 % un an auparavant, en partie sous l’effet de la dépréciation du peso.

Pour couvrir son besoin croissant de financement, le gouvernement a eu recours à l’endettement. L’encours de la dette brute du gouvernement fédéral a augmenté de 13 % et celui du secteur public de 29 % en termes nominaux entre décembre 2008 et octobre 2009. Le secteur public a bénéficié de prêts des organismes multilatéraux (+18 % depuis début 2009) et a fait appel aux marchés de capitaux internationaux (+62 %), tout en sollicitant le marché intérieur (+21 %), privilégiant les émissions à court terme et diminuant celles à long et moyen terme afin de limiter l’effet d’éviction dans un contexte de resserrement du crédit au secteur privé.

Cette année, le solde du budget fédéral devrait être déficitaire à hauteur de 0,9 % du PIB, tel que mesuré par le gouvernement (y compris les quelque 5 MdUSD de recettes de la couverture du pétrole à 70 USD/b), après un déficit symbolique de 0,1 % du PIB en 2008. Cependant, tel qu’estimé à partir de la méthode traditionnelle de calcul plus large et plus juste appliquée jusqu’en 2008, qui prend en compte les investissements dans PEMEX, le déficit totaliserait 2,9 % du PIB. Sous l’impact de l’augmentation des emprunts, de la contraction du PIB et de l’affaiblissement du peso, la dette publique brute devrait atteindre 39 % du PIB cette année, contre 31,5 % en 2007.

Au total, malgré la gravité de la récession économique, le dérapage budgétaire a été jusqu’ici limité, mais la dette publique a considérablement augmenté en pourcentage du PIB, à partir d’un niveau initial faible.

Ajustement budgétaire en vue pour 2010

Depuis la défaite du parti PAN au pouvoir aux élections législatives de juillet 2009, le Président Calderon est en position de faiblesse pour faire adopter des réformes impopulaires. Le gouvernement a eu toutes les difficultés à faire accepter son projet budgétaire pour 2010 par un congrès désormais dominé par le PRI, aujourd’hui donné favori pour les présidentielles de 2012.

A l’issue de longues négociations avec l’opposition, le congrès a approuvé le 17 novembre une version édulcorée de la proposition de budget pour 2010, ouvrant la voie à des hausses d’impôts et à des dépenses budgétaires sous le signe de l’austérité l’année prochaine. Les « réformettes » ne sont clairement que des pansements temporaires censés remédier à l’inéluctable détérioration de l’équilibre budgétaire. Elles n’en constituent pas moins un effort remarquable, le Mexique représentant l’exception parmi les pays émergents et développés, à appliquer des hausses d’impôts alors que l’économie mondiale est en pleine récession.

Selon les hypothèses officielles retenues pour 2010, qui nous paraissent relativement conservatrices pour ce qui est de la croissance du PIB réel (3,0 % contre notre projection de 3,8 %) et du prix moyen du pétrole mexicain (59 USD/b contre notre projection de 75 USD/b), mais optimistes pour la production pétrolière (2,5 Mb/j soit une baisse de 4 % par rapport à la production actuelle), le déficit budgétaire devrait atteindre 96 MdMXN (7 MdUSD), soit 0,75 % du PIB l’année prochaine, contre une première hypothèse de 0,5 % dans le cadre de la proposition de budget initiale. En tenant compte des investissements de PEMEX (19,5 MdUSD), le déficit budgétaire pourrait avoisiner 2,8 % du PIB.

Le besoin de financement du secteur public est officiellement attendu à 422 MdMXN (30,5 MdUSD), soit 3,3 % du PIB, à financer par des émissions nettes de dette de 380 MdMXN (27,5 MdUSD), y compris une composante extérieure de 8,0 MdUSD, intégrant les financements d’organismes multilatéraux.

La dynamique de la dette publique paraît soutenable à moyen terme sous conditions

Grâce aux « réformes » mises en œuvre ces dernières années et à la poursuite d’une gestion conservatrice des comptes publics, la liquidité du secteur public n’est pas menacée à court terme et bénéficie d’un accès toujours relativement aisé aux marchés obligataires nationaux et internationaux. Le gouvernement vient par ailleurs d’annoncer la couverture de sa production pétrolière de 2010 au cours de 57 USD/b, pour un coût de 1 MdUSD afin de se prémunir contre le risque d’une baisse importante du cours du brut.

Cependant, la faiblesse de la croissance potentielle du pays, l’épuisement du secteur énergétique (le programme d’investissement de PEMEX d’environ 20 MdUSD par an sur la période 2010-2015, soit le double du montant investi ces dix dernières années, paraît insuffisant face aux difficultés du secteur pétrolier) et l’engagement des pouvoirs publics mexicains dans une guerre coûteuse et meurtrière contre les cartels de la drogue, représentent autant de défis majeurs pour les finances publiques. Le report des réformes de fond de la fiscalité, de l’énergie et du marché du travail aux « calendes grecques » a conduit les agences de notation à envisager un abaissement de la notation du risque pays du Mexique, dans le sillage de la détérioration de son profil de risque à moyen et long terme. S&P et Fitch viennent d’abaisser la notation à long terme du Mexique en devises et en monnaie locale d’un cran avec perspectives stables et Moody’s n’a pas encore rendu son verdict. C’est la première fois depuis 1995 que le Mexique voit sa notation abaissée.

Suite à la crise financière internationale d’août 2007, l’écart de rendement sur les obligations en euro du gouvernement mexicain s’est creusé pour atteindre 600 pb au paroxysme de la crise d’octobre 2008 avant de se resserrer au fil des accès de volatilité et de revenir à 180 pb aujourd’hui. La prime de risque du Mexique demeure raisonnable et toujours légèrement inférieure à celle appliquée aux pays « orthodoxes » d’Amérique latine (à l’exception du Chili) et inférieure également à celle attribuée en moyenne à la dette souveraine des pays émergents.

La solvabilité du Mexique et son statut investment grade ne sont pas en danger à ce stade. Le Mexique peut se prévaloir d’un bon historique de remboursement de ses engagements. Bien sûr, la dette publique a été rééchelonnée deux fois dans les années 80 et 90, mais sans souffrir de défaut technique depuis le XIXe siècle, grâce principalement au soutien indéfectible des Etats-Unis et du FMI. La dette initiale est modérée en pourcentage du PIB et la structure de la dette publique s’est considérablement améliorée ces dernières années grâce à une gestion dynamique du passif et au développement des marchés intérieurs de capitaux. Globalement, la dette publique est principalement domestique (71 % de la dette publique totale et 83 % de la dette du gouvernement fédéral).

La dette du gouvernement fédéral bénéficie d’une structure d’échéance longue (l’échéance moyenne est de 6,2 ans pour la dette domestique et 11,2 ans pour la dette extérieure) grâce à une courbe des taux étoffée tant en MXN qu’en USD et principalement composée d’instruments à taux fixe (55 % de la dette domestique du gouvernement et 99 % de sa dette externe). Selon notre simulation, la dette publique brute du Mexique pourrait culminer à 40 % du PIB l’année prochaine avant de diminuer très légèrement jusqu’en 2015 (scénario central), niveau considéré comme raisonnable pour un pays émergent et modéré pour une économie avancée. Dans l’hypothèse d’une accélération de la chute de la production pétrolière et en l’absence de mesures pour contrer la détérioration des comptes budgétaires, un déficit plus important du solde primaire du secteur public pourrait induire un accroissement continu de la dette publique en pourcentage du PIB à presque 45 % en 2015. Enfin, seul un choc combiné pourrait rendre la dynamique de la dette publique explosive et insoutenable à moyen terme, ce qui constituerait un scénario extrême.

En conclusion, la dynamique de la dette publique du Mexique demeure vulnérable à des chocs adverses sur la croissance économique, la production pétrolière et le cours du baril, ainsi qu’aux spreads de taux d’intérêt et aux taux d’intérêt américains.

Nous pensons néanmoins que cette dynamique devrait rester sous contrôle à moyen terme et qu’un effet « boule de neige »3 n’est pas à redouter, grâce à la poursuite d’une politique macroéconomique orthodoxe et aux mesures budgétaires ponctuelles qui seront prises au moins jusqu’aux élections présidentielles de 2012. Cette orthodoxie aura toutefois un coût pour le développement socio-économique du pays qui pourrait se doubler d’une instabilité sociale croissante, rendant impérative la mise en œuvre des réformes structurelles attendues depuis longtemps.

NOTES

  1. Parallèlement, le gouvernement a annoncé un dispositif d’un montant de 208 MdMXN, comprenant l’octroi de crédits immobiliers par le truchement de la Sociedad Hypotecaria Federal (SHF), de garanties de prêts pour aider les entreprises locales à refinancer leur dette commerciale par l’intermédiaire des banques de développement Bancomext et Nafin, de prêts aux collectivités territoriales et aux administrations par le biais de la banque de développement des infrastructures Banobras, et de financements aux entreprises actives dans les projets d’infrastructure. Le gouvernement a dévoilé un second dispositif de relance budgétaire en janvier 2009, qui consistait davantage en une réallocation des ressources plutôt qu’en une nouvelle impulsion budgétaire substantielle. Parmi les 25 mesures du dispositif, citons l’allongement de l’indemnisation des chômeurs, le soutien aux ménages à faibles revenus et aux PME par la baisse des tarifs des services collectifs et la facilitation de l’accès au crédit, et le renforcement du programme d’infrastructures de 2009.
  2. Gouvernement fédéral, entités publiques sous contrôle budgétaire direct (public entities under direct budgetary control – PEDC) et banques de développement.
  3. Quand les taux de croissance réelle sont nettement inférieurs aux taux d’intérêt réels, la stabilisation de la dette publique en pourcentage du PIB exige un excédent primaire important pour éviter un effet « boule de neige ». Plus la valeur initiale de la dette rapportée au PIB est élevée et plus l’effet redouté est important.

Retrouvez les études économiques de BNP Paribas