Que la force soit avec elle

par Alexandra Estiot, économiste chez BNP Paribas

L’économie allemande est cyclique. Les raisons qui lui font faire la une des journaux aussi. A la fin des années 1990, alors que les Etats-Unis (et la France) résistaient bien mieux au ralentissement mondial du secteur manufacturier, il était de bon ton d’annoncer la mort du modèle allemand. Une décennie plus tard, avec la montée en puissance de la Chine (et ses besoins colossaux en biens d’équipement), mais aussi les effets des réformes structurelles mises en place par Gerhard Schröder, le modèle allemand était à nouveau envié par un monde développé se débattant avec la lourdeur de sa dette.

Pourtant, depuis le début de la crise de la dette souveraine dans la zone euro, l’Allemagne n’est plus vue qu’à travers le prisme politique. Angela Merkel acceptera-t-elle d’accorder deux ans de plus à la Grèce pour atteindre ses objectifs budgétaires ? Wolfgang Schäuble acceptera-t-il de déléguer la surveillance des banques régionales allemandes à des institutions européennes ? La Cour (constitutionnelle) de Karlsruhe acceptera-t-elle la mise en place du MES ? Jens Weidmann acceptera-t-il que la BCE se lance à son tour dans l’assouplissement quantitatif ?

On en vient à oublier les forces et les faiblesses de l’économie allemande, s’arrêtant au seul constat qu’elle est la première de la zone euro, ce qui lui confère un poids par ailleurs accentué par son statut de créancier net. On dépeint alors généralement un pays qui ne veut pas payer pour les autres, qui cherche à imposer à ses voisins ses modèles d’austérité et d’orthodoxie. Et ainsi, on oublie que si l’Europe s’est construite, c’est à cause et surtout grâce à l’Allemagne. Qu’Angela Merkel et Wolfgang Schäuble sont les héritiers de l’un des Pères de la monnaie unique, Helmut Kohl. Que l’Allemagne pourrait bien être le pays européen le plus conscient de la perte de « souveraineté » inhérente à une union budgétaire, ce qui n’empêche pas les Allemands d’être le peuple le plus ouvert à la question.

En ces temps de crise institutionnelle, le politique prend le pas sur l’économique. Mais il s’agit de ne pas totalement oublier l’importance de cette dernière. L’état de santé de l’économie allemande n’est pas sans effet sur ce que peut ou ne peut pas accepter sa population, et donc ses dirigeants. Comme nous le disions en préambule, l’économie allemande est très cyclique : les exportations représentent 50% du PIB et les biens d’équipement plus de 30% des exportations. Non seulement le secteur manufacturier reste très important en Allemagne (22% de la valeur ajoutée, à comparer avec 12% aux Etats-Unis), mais il est très dépendant de l’investissement des entreprises. En clair, l’activité allemande est étroitement liée à la composante la plus cyclique de la demande mondiale.

Ces dix dernières années, cette spécificité a constitué un atout pour l’Allemagne, l’industrialisation de grands pays émergents allant de pair avec une demande croissante en biens d’équipement. C’est ainsi que, entre 2001 et 2011, les exportations allemandes ont progressé de 70% (en termes réels), expliquant directement plus de 40% de la progression du PIB sur la période. C’est aussi ici qu’il faut trouver l’explication du niveau historiquement bas du chômage allemand : si la dynamique de la population allemande n’est pas aussi favorable qu’en France, le vieillissement n’a pas encore de conséquence sur le taux d’activité, avec un taux de dépendance au plus bas depuis la réunification (à 49%).

Depuis le printemps 2010, le cycle manufacturier s’est retourné, mais ce n’est qu’il y a très peu de temps que l’économie allemande en a senti les effets. Si la demande en provenance d’Europe du Sud a très tôt marqué le pas, celle en provenance des pays émergents résistait. Ce maintien a profité avant tout aux Etats-Unis et à l’Allemagne. Pour ce qui est de cette dernière, c’est plus du fait d’une spécialisation de niches (le savoir-faire unique pour certains équipements) que d’une compétitivité prix. Malgré un recul (notamment en termes relatifs) des coûts unitaires allemands depuis l’application des réformes Hartz, ceux-ci restent parmi les plus élevés du monde, nuançant l’importance de la compétitivité prix.

Mais les pays émergents ont fini par marquer le pas, sous le double effet d’un policy mix restrictif jusqu’il y a encore peu. Dans le même temps, la récession s’est aggravée dans le Sud de l’Europe, les effets se propageant à la quasi-totalité de la zone euro puis au reste du monde. Les dernières données disponibles (pour le mois d’août) peignent ainsi un tableau relativement sombre pour le secteur manufacturier allemand. Les nouvelles commandes ont reculé de 1,3% sur le mois et la production de 1,8%.

Pourtant, le pire pourrait être derrière nous. Si l’IFO clock (qui met en perspectives les composantes actuelle et anticipée de cet indice du climat des affaires) n’est pas encore revenu dans le « bon » cadran, le PMI manufacturier a rebondi de 4,5 points depuis son point bas de juillet, grâce au redressement de ses composantes production, nouvelles commandes et emploi, ce dernier revenant au-dessus des 50 points. L’indice du niveau de stocks de produits finis, à 47, indique que le moindre frémissement de la demande se traduira par une reprise de la production. Et le frémissement est bien là : les livraisons de biens d’équipement ont progressé de respectivement 2,9% et 1,8% en juillet et en août.

Ceci permet un optimisme modéré. Si la demande en provenance des grands pays émergents pourrait rebondir, il ne faut pas non plus en attendre trop. Les conditions monétaires et financières se détendent en Europe du Sud, mais on est encore loin d’un rebond de l’investissement, alors qu’aux Etats-Unis, l’incertitude fiscale pèse sur les dépenses des entreprises. Certes, un frein sur l’activité se desserre, ce qui permettra d’assurer un marché du travail qui restera porteur. Mais en Allemagne, il ne faut jamais trop compter sur la consommation des ménages qui n’a progressé que de 5% entre 2001 et 2011.

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