Quelles conséquences d’un taux de dépôt à 0% ?

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Lors de ses décisions de politique monétaire, la Banque Centrale Européenne fixe trois taux d’intérêt de façon à piloter la liquidité : le taux refi auquel elle refinance les banques, le taux de dépôt auquel elle rémunère les réserves excédentaires et le taux de facilité de prêt marginal auquel les banques peuvent obtenir de la liquidité sur un jour. Les taux de dépôt et de facilité de prêt marginal constituent respectivement un plancher et un plafond au taux de marché interbancaire. En période normale, l’écart de taux des deux facilités avec le taux refi était de 100pb (respectivement inférieur et supérieur). Depuis 2009, l’écart n’est plus que de 75pb.

Lors de sa dernière réunion de politique monétaire début juillet, la BCE a abaissé ses taux directeurs de 25pb portant le refi à 0,75% et le taux de dépôt à 0%. Faisant suite à cette baisse, les dépôts des banques à la facilité de dépôt ont reculé de 410Md€ la première semaine mais leurs réserves dans les comptes courants ont augmenté de 388Md€.

Puisque que les dépôts ne sont plus rémunérés, il est indifférent de placer les liquidités sur le compte courant ou sur la facilité de dépôt. Il est important de préciser que le fait que les banques détiennent des réserves excédentaires à la banque centrale est mécanique (équivalence comptable, la demande de liquidité devant nécessairement équilibrer l’offre de liquidité versée via les LTRO) et n’implique pas nécessairement que la liquidité n’est pas utilisée. En fait, le montant des réserves ne permet pas de savoir comment la liquidité est utilisée. Les banques qui viennent chercher de la liquidité ne sont pas les mêmes que celles qui viennent la redéposer, la liquidité a donc bien circulé mais on manque d’informations sur sa vitesse de circulation et son utilisation. Quels sont les avantages et les inconvénients procurés par un taux de dépôt à 0% ?

Nous voyons deux bonnes raisons de vouloir porter le taux de dépôt à 0%. La première est d’inciter les banques qui ont des liquidités à les prêter à leurs homologues à la recherche de cash, en d’autres termes de tenter de « dégeler » le marché interbancaire. Malheureusement, il est peu probable que cela soit suffisant pour que les banques se remettent à se prêter entre elles, le risque de contrepartie l’emportant sur le rendement nul. La deuxième est d’encourager les banques à augmenter les crédits octroyés à l’économie ou à placer leurs liquidités sur d’autres actifs plus rémunérateurs.

Puisque détenir des liquidités ne rapporte plus rien, les banques seraient ainsi incitées à augmenter les volumes des crédits ou à investir en titres. S’il est trop tôt pour juger de l’effet sur les crédits à l’économie, les changements de stratégie des banques n’étant pas visibles immédiatement, nous sommes pour autant très sceptiques sur l’impact final.

En effet, l’affaiblissement des crédits octroyés dans la zone euro ces derniers mois résulte de la frilosité des banques à prêter mais également en grande partie de la faiblesse de la demande de la part des agents privés. Il est donc loin d’être acquis que cela provoque une reprise du crédit. En revanche, la baisse du taux de dépôt à 0% a contribué au fort recul des taux courts sur de nombreuses dettes européennes, certaines banques se reportant sur des actifs un peu plus rémunérateurs. En conséquence, les taux courts sur les dettes bien notées sont passés en territoire négatif. Les alternatives pour trouver du rendement sur des maturités courtes (dettes périphériques, corporates) comportent évidemment un risque et dégradent également les ratios auxquels les banques doivent se conformer. Pour autant, des dettes considérées comme risquées ont également profité du mouvement, le taux 3 mois italien a perdu 80pb depuis le 5 juillet, bénéficiant probablement du report d’autres investisseurs à la recherche de rendement.

Si des taux négatifs sont favorables pour le financement des Etats, le pendant de taux courts nuls, voire négatifs, est l’effet défavorable sur les fonds monétaires qui se retrouvent dans une situation compliquée remettant en cause leur modèle économique. D’ailleurs, certains fonds monétaires ont déjà annoncé qu’ils fermaient les nouvelles souscriptions. Par ailleurs, des rendements négatifs envoient un signal pessimiste pouvant refléter des anticipations de risques de déflation de la part des investisseurs, ou même de façon extrême un pari des investisseurs sur l’éclatement de la zone euro (via l’appréciation des monnaies, le Deutschemark par exemple, venant compenser la perte en capital). Enfin, lorsque les rendements sont nuls, le risque est d’assister à un mouvement de préférence pour la liquidité.

Au total, il n’est pas sûr que les effets positifs d’un taux zéro dépassent les risques associés. Ce sont d’ailleurs principalement les risques portant sur les fonds monétaires qui ont poussé la Réserve Fédérale américaine à maintenir jusqu’à présent un taux de dépôt légèrement positif à 0,25%. Il ne nous semble donc guère évident que la BCE passe le pas, comme l’a fait le Danemark récemment, de porter son taux de dépôt en territoire négatif.

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