Thaïlande : apaisement des tensions politiques, fondamentaux macroéconomiques bien orientés

par Edgardo Torija Zane, économiste chez Natixis

Après deux mois de manifestations et d’affrontements violents à Bangkok, le Premier Ministre Abhisit Vejjajiva a annoncé la dissolution de la chambre basse du Parlement entre le 15 et le 30 septembre, ouvrant la voie à des élections générales anticipées, qui devraient se tenir en novembre 2010 et à l’apaisement des tensions politiques.

L’incertitude politique ne devrait cependant pas disparaître avec l’anticipation des élections, les pays étant fortement divisé entre les « chemises rouges » qui contestent le pouvoir des élites « non-élues » et le « chemises jaunes » impliqués dans la chute de deux gouvernements précédents qu’elles considéraient « populistes » et « corrompus ».

Entre temps, les fondamentaux macroéconomiques restent bien orientés avec le rebond de la croissance et la diminution structurelle de la vulnérabilité financière externe. Nous n’avons pas non plus noté une « sanction » particulière des investisseurs à la suite de l’aggravation de la violence politique à la fin du mois d’avril.

Une « feuille de route » pour des élections anticipées

Après deux mois de manifestations et d’affrontements violents à Bangkok entre les « chemises rouges» et les forces de sécurité, se soldant par 27 morts (des civils pour la plupart, mais aussi quelques soldats) et presque 900 blessés, le Premier Ministre Abhisit Vejjajiva (chef du gouvernement, au pouvoir depuis fin 2008 à la suite d'un renversement d'alliances parlementaires et à des décisions de justice favorables) a promis la dissolution de la chambre basse du Parlement entre le 15 et le 30 septembre, ouvrant la voie à des élections générales anticipées. Initialement programmées pour 2012, elles devront se tenir le 14 novembre prochain.

La « feuille de route » proposée par Abhisit prévoit le maintien de la monarchie, la création d’une institution indépendante qui surveillera le maintien de l’indépendance de la presse et d’éventuelles modifications dans la Constitution du pays. Le Front uni pour la démocratie contre la dictature (UDD, opposition) a accepté l'accord de réconciliation. Les «chemises rouges» continuent d’occuper les zones stratégiques de la capitale, mais devraient se disperser alors que le calendrier des élections a été précisé.

Le mouvement antigouvernemental des « chemises rouges » conteste le gouvernement issu d’une élite traditionnelle non élue et lutte pour une « véritable démocratie ». Les «rouges» soutiennent en grande partie l’ex Premier Ministre Thaksin Shinawatra, dont le gouvernement a été renversé par un coup d'Etat en 2006. Thaksin, actuellement en exil suite à des condamnations pour corruption, est surtout soutenu par la population rurale défavorisée qui lui attribue des améliorations sociales, grâce à des politiques de développement rural et d'aide sociale.

L’incertitude politique ne devrait cependant pas disparaître avec l’anticipation des élections. Les « chemises jaunes » mouvement « anti-Thaksin » et pro-monarchie, rassemblés dans l'Alliance du peuple pour la démocratie (PAD) et au départ derrière Abhisit, ont dénoncé la « soumission » de ce dernier aux manifestants. Ce groupe, qui a occupé les rues de Bangkok à plusieurs reprises depuis plusieurs années, est impliqué dans la chute de deux gouvernements pro-Thaksin en 2006 et 2008, demande au Premier ministre de revenir sur la date des élections et de démissionner pour céder la place à un autre dirigeant.

Les fondamentaux macroéconomiques sont plutôt bien orientés

Il n’est pas encore possible de quantifier l’impact économique des épisodes de violence à Bangkok. On sait que le secteur du tourisme (7% du PIB) a été lourdement frappé, avec une forte baisse des entrées de touristes et d'occupation des hôtels à Bangkok. Le tourisme dans les stations balnéaires du sud n’a pas subi de pertes au niveau des arrivées à la mi-avril mais devrait accuser l’impact de la crise au mois de mai. Plusieurs gouvernements étrangers ont émis des avertissements aux voyageurs déconseillant les visites au pays.

Malgré l’aggravation de la crise politique, les fondamentaux macroéconomiques et financiers du pays semblent bien orientés.

L’économie a connu un rebond important avec la récupération de la demande mondiale, stimulée par les politiques de soutien budgétaire et le restockage dans les économies industrialisées. Sur le plan domestique, le policy-mix expansionniste (assouplissement de la politique monétaire et stimulus budgétaire) a aussi contribué au soutien de l’économie thaïlandaise pendant la période de récession, compensant partiellement la baisse des exportations. Le PIB réel a augmenté de 6% (GA) pendant le quatrième trimestre de 2009, à la suite de quatre trimestres consécutifs de contraction annuelle. Il devrait atteindre 7–8 % en GA pendant le premier trimestre de 2010. Sur la base de l’amélioration des perspectives économiques de la zone Asie, la Banque Centrale de Thaïlande a révisé à la hausse ses prévisions de croissance. Tout en soulignant que la persistance de la crise politique pourrait coûter au moins un point de PIB, la croissance annuelle devrait s’établir dans une fourchette de 4,3 à 5,8%.

Il est difficile d'établir une forte relation entre l’incertitude politique et les conditions financières du pays. Jusque là, nous n’avons pas remarqué de « sanction » particulière de la part des investisseurs (nationaux ou étrangers), du moins si l’on considère la forte corrélation existante entre les mouvements en Bourse en Thaïlande et dans le reste de l'Asie. La prime de risque des contrats CDS a augmenté à un rythme légèrement plus rapide que dans les pays voisins, sans pour autant « se découpler » significativement. Pour ce qui est du coût du financement, les taux d’intérêts interbancaires ne connaissent pas non plus de tensions.

Dans tous les cas, la vulnérabilité externe financière reste faible. Les réserves de change ont atteint USD144 milliards, en augmentation de USD 40 milliards depuis la fin de 2008, couvrant 200% des engagements externes (la dette externe s’élève à USD70 milliards ou 22% du PIB). Le solde courant (plus de 6% du PIB en 2009) devrait rester élevé. Il est donc très peu probable que la crise politique entraîne une pression financière très élevée ou une crise de la balance des paiements à la suite d’un éventuel mais peu probable mouvement de fuite de capitaux. 

Dans un contexte d’abondance des liquidités sur les marchés mondiaux, le baht devrait au contraire être bien orienté poursuivant sa tendance récente à l’appréciation. Il pourrait toutefois y avoir un degré de volatilité en cas de retour de l’aversion au risque des investisseurs mondiaux si par exemple les tensions sur le marché obligataire européen s’aggravent.

Pour ce qui est des finances publiques, le programme de relance budgétaire thaïlandais devrait maintenir le déficit budgétaire à des niveaux élevés, mais il devrait être moins important en 2010 qu'en 2009, quand il a atteint l'équivalent de 4,4% du PIB. Le financement provient principalement du système bancaire domestique, qui présente une bonne situation générale en matière de liquidité et des ratios de solvabilité. Bien que la dette publique ait augmenté depuis 2007 à 50% du PIB, les taux d’intérêt sur les obligations publiques restent à des niveaux historiquement bas autour à 4%.

Après une année de déflation légère en 2009, les prix à la consommation sont à la hausse tirés par le prix des aliments.

En février, l’inflation globale a augmenté de 3,4% (d’une année sur l’autre) mais l’inflation sous-jacente de 0,3% (d’une année sur l’autre) uniquement.

La banque centrale, qui poursuit une cible d’inflation conserve le taux d’intérêt directeur à un niveau faible record de 1,25%. Nous nous attendons à ce que la sortie de la politique monétaire expansionniste soit très progressive car les politique monétaires accommodantes dans les économies développées pourraient déclencher d'importants flux de capitaux spéculatifs.

Les fondamentaux macroéconomiques pourraient être affectés par une hausse soutenue du prix international des matières premières (ce risqué n’est pas bien entendu spécifique à la Thaïlande), mais restent globalement solides.

A moins que les tensions politiques ne débouchent sur une crise institutionnelle ouverte, la hausse récente de l’incertitude n’est pas en mesure d’affecter la situation macroéconomique globale, qui reste bien orientée.

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