Turbulences financières : quels effets sur les pays émergents ?

par François Faure, économiste chez BNP Paribas

  • Jusqu’à présent, les effets de « contagion financière » sur les principaux pays émergents ont été globalement limités.
  • La dégradation des carnets de commandes durant l’été laisse craindre une stagnation, voire une contraction des exportations, dès le deuxième semestre de cette année. Mais l’éventualité d’une paralysie des échanges commerciaux, comme à la fin 2008, est peu probable.
  • De plus, les politiques monétaires devraient être plus réactives qu’en 2008, car le pic d’inflation a déjà été dépassé.
  • Sauf nouvelle dégradation financière, le choc réel devrait être moins sévère qu’en 2008-2009, de sorte que la croissance pour l’ensemble des pays émergents pourrait se maintenir dans une fourchette de 4,5-5,5% contre 2,5% en 2009.

 

Alors que le spectre, sinon d’une récession du moins d’un fort ralentissement de la croissance des pays avancés, se profile à l’horizon des prochains mois, la capacité de résistance des pays émergents se trouve de nouveau posée.

L’expérience de la fin 2008-début 2009 avait largement infirmé l’hypothèse du «découplage», tout au moins dans sa forme absolue1. Qu’en sera-t-il en 2012 ? La réponse est délicate, car il faut à la fois ne pas minimiser les effets de «contagion réelle » via le commerce extérieur mais aussi tenir compte de ce que le choc financier est jusqu’à présent de bien moindre ampleur que ce qu’il fut en septembre 2008 lors de la faillite de Lehman Brothers.

Contagion financière : limitée et différenciée

Jusqu’à présent, les effets de « contagion financière » sur les principaux pays émergents ont été globalement limités et différenciés selon les pays ou la qualité des émetteurs (pour les primes de risque).

L’indice MSCI pays émergents a perdu environ 15% en dollar depuis la fin du mois de juillet dans le sillage des places boursières américaines et européennes, et toutes les places émergentes ont été touchées. D’après les données collectées par EPFR auprès des gérants de fonds, les retraits enregistrés par les fonds actions dédiés aux pays émergents se sont élevés à 15 milliards de dollars en août 2011, soit autant qu’en septembre et octobre 2008 cumulés. Mais, en pourcentage du total des actifs sous gestion, les retraits du mois dernier sont équivalents à la moyenne septembre/octobre 2008 (environ 2%). Par ailleurs, les statistiques nationales disponibles sur les flux de capitaux n’indiquent pas d’hémorragie2. D’ailleurs, la correction boursière est sans aucune mesure avec celle qui avait suivi la chute de Lehman Brothers.

Sur les marchés de changes, les devises asiatiques ont très bien résisté (dépréciation inférieure à 5%, exception faite de la roupie indienne dont la dépréciation reste limitée à 7%). Même dans les autres zones, les dépréciations ne dépassent pas 10% (contre dollar ou euro selon la devise de référence).

Les primes de risque sur les dettes libellées en devises internationales se sont tendues : d’environ 80 points de base pour les dettes souveraines d’après l’indice composite EMBI+ de JP Morgan-Chase et de 100 points de base pour les dettes corporate d’après l’indice CEMB du Crédit Suisse. Mais, à respectivement 360 et 440 points de base, le niveau des spreads sur les émetteurs émergents reste modéré et, là encore, la dégradation est bien moindre qu’en 2008 (le spread EMBI+ s’était élargi jusqu’à un peu plus de 500 points de base entre la mi- septembre et la fin octobre). Enfin, même si elles se sont elles aussi accrues, les primes demandées sur le taux dollar dans les opérations de swap de change (cross-currency swap spreads) restent bien en deçà de leur niveau de 2008.

Inévitable contraction des exportations surtout pour les pays d’Europe centrale et certains pays d’Asie

Les pays émergents ne sont pas épargnés par le ralentissement du commerce mondial, déjà à l’œuvre depuis la mi-2010. D’après les estimations du Centraal Planbureau néerlandais (CPB), les exportations de marchandises en volume des pays émergents et en développement ont ralenti d’un peu plus de 20% sur un an mi-2010 à 7.3% en juin 2011. Depuis le printemps, on observe même une stagnation, voire un tassement, des exportations en valeur pour un nombre croissant de pays. La composante «nouvelles commandes à l’exportation » des indices PMI est passée en dessous de 50% depuis le mois de juillet ou le mois d’août pour tous les pays couverts par les enquêtes, ce qui signale généralement une baisse des exportations3.

Bien entendu, les enquêtes ne sont pas encore aussi détériorées qu’elles l’étaient à la fin 2008. Mais la vitesse à laquelle elles se dégradent est comparable et préoccupante.

Les pays d’Europe centrale ainsi que la Turquie devraient être de loin les plus directement exposés à un ralentissement dans les économies avancées, en raison du poids très important du marché européen dans les exportations de chaque pays (c'est-à-dire supérieur ou égal à 50%) et aussi, pour plusieurs d’entre eux, de celui des exportations dans le PIB (notamment la République tchèque, la Hongrie et la Slovaquie). L’Amérique latine resterait relativement protégée malgré le poids écrasant des Etats-Unis pour les échanges commerciaux du Mexique4.

Pour l’Asie émergente et plus encore la zone Afrique du Nord (hors Algérie) + l’Afrique du Sud, les résultats agrégés masquent d’importantes disparités qui biaisent le diagnostic. En Asie, Hong-Kong, la Malaisie, Singapour et la Thaïlande sont particulièrement exposés avec une part des exportations (toujours par rapport au PIB) vers les pays avancés supérieure ou proche de 20%; seules l’Inde et l’Indonésie ont une part inférieure à 10%. En Afrique du Nord, la Tunisie et Israël seraient les plus affectés, compte tenu des relations commerciales avec l’Europe pour le premier et les Etats-Unis pour le second. Toutefois, si l’on tient compte uniquement des exportations de produits manufacturés et des recettes du tourisme (et donc d’un effet un peu plus indirect), le Maroc et l’Egypte sont également vulnérables.

Enfin, malgré leur statut particulier, il faut rappeler que les pays producteurs de pétrole sont eux aussi fortement dépendants des importations des pays développés, surtout si la baisse des cours mondiaux, d’ordinaire plus rapide que celle des prix des produits manufacturés, se cumule à celle des volumes exportés.

Des politiques monétaires plus réactives

Face au ralentissement de la croissance observé au cours du premier semestre 20115 et qui va donc s’accentuer au second, la grande majorité des banques centrales a mis fin au cycle de durcissement monétaire initié à la mi-2010. Seules les banques centrales chinoise, indienne et thaïlandaise ont encore procédé à un relèvement de leur principal taux directeur durant l’été en raison des tensions inflationnistes persistantes. A l’inverse, les banques centrales brésilienne et turque ont commencé à abaisser le leur.

De fait, l’inflation décélère dans tous les pays, comme l’atteste le plafonnement des glissements sur un an à la fois des indices d’ensemble des prix à la consommation et des indices sous-jacents, c'est-à-dire hors énergie et alimentation. Les prix du pétrole et de l’alimentation marquent une nette décélération depuis le printemps.

Par rapport à 2008, les banques centrales devraient être plus réactives. Le pic d’inflation aura été dépassé durant l’été dans la majorité des pays en raison, justement, du ralentissement des prix des matières premières ; en août 2008, le glissement annuel des prix du pétrole était encore de 60% et celui des cours des matières premières alimentaires proche de 30% contre respectivement 20% et 25% en août 2011. Les banques centrales devraient être d’autant plus promptes à assouplir leurs conditions de refinancement que les taux de change montrent plus de résistance qu’en 2008.

Globalement, les effets de contagion financière aux pays émergents paraissent, pour l’instant, limités et, en tous cas, bien moindres qu’à la suite de la faillite de Lehman Brothers, évènement qui constitue la référence en termes de choc financier d’ampleur systémique. Or, en 2008, les effets multiplicateurs du commerce extérieur avaient sans doute été d’autant plus puissants que le choc financier avait été sévère. Par conséquent, même si les enquêtes auprès des entreprises montrent une forte dégradation des carnets de commandes, l’éventualité d’une paralysie des échanges commerciaux, comme à la fin 2008, est peu probable. De plus, compte tenu du ralentissement des prix des matières premières, les banques centrales pourraient être plus réactives. Par conséquent, le choc réel devrait être moins sévère, de sorte que la croissance pour l’ensemble des pays émergents pourrait se maintenir dans une fourchette de 4,5-5,5% contre 2,5% en 2009.

NOTES

  1. La forte «absolue » du découplage signifie que la croissance des pays émergents se maintient, voire accélère, alors que celle des pays avancés ralentit (ce qui fut le cas sur la période 2005-2007). La forme « relative » du découplage signifie que l’écart de croissance se maintient comme ce fut justement le cas en 2009 grâce, il est vrai, à la Chine et à l’Inde.
  2. Au Brésil, les ventes nettes de devises correspondant à des opérations financières n’ont été que de 2,5 milliards en août (contre 4,2 milliards en septembre 2008). En Turquie, les sorties nettes d’investissements de portefeuille des non-résidents en actions et obligations d’Etat se sont élevées à seulement 1,4 milliard en août 2011.
  3. Ce qui serait cohérent avec un glissement sur un an encore positif.
  4. Les Etats-Unis absorbent les trois quarts des exportations mexicaines.
  5. Au deuxième trimestre, d’après nos estimations, la croissance du PIB des 25 principaux pays émergents ressortait à 6,5% (4,8% hors Chine) contre encore un peu plus de 7% au deuxième semestre 2010, 6% hors Chine).

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