UE : quelles sont les dépendances vis-à-vis des matières premières critiques ?

par Bastien Drut, Responsable des Études et de la Stratégie, et Juliette Cohen, Stratégiste Senior, chez CPR AM

Beaucoup a été écrit sur les dépendances de l’Europe sur le plan énergétique et sur le plan agricole mais le vieux continent se trouve aussi dans une situation de dépendance pour un certain nombre d’autres matières premières vitales pour son économie.

Quelle est l’ampleur de cette dépendance ?

Les matières premières non-énergétiques sont indispensables à l’industrie et constituent le premier maillon des chaînes de valeur. C’est un sujet dont se sont emparées les autorités européennes depuis un peu plus de 10 ans maintenant et depuis 2011, la Commission européenne évalue tous les trois ans la « criticité » des matières premières pour l’Union européenne. On parle de matières premières « critiques » lorsqu’elles remplissent deux critères : être importantes sur le plan économique et qu’il existe un risque d’approvisionnement (parce que la dépendance aux importations est trop forte ou alors parce que les sources d’approvisionnement sont trop peu diversifiées).

Dans son dernier rapport, publié en mars 2023, la Commission a évalué la criticité de 87 matières premières distinctes, soit plus que lors des rapports précédents. Dans ce rapport, la Commission n’a pas travaillé que sur les matières premières critiques mais a aussi développé le concept de matières premières « stratégiques », qui n’auraient pas rempli les conditions pour être qualifiées de « critiques » mais qui sont très importantes pour des secteurs stratégiques comme les énergies renouvelables, le numérique, l’aérospatial et la défense.

L’exemple des métaux de transition

Parmi les matières premières critiques, on trouve par exemple l’antimoine, le cobalt, le lithium, les terres rares lourdes et légères ou encore le tungsten. Dans le cas du lithium, qui est très important pour les batteries et pour lesquels les besoins vont fortement augmenter dans les années à venir avec l’avènement des véhicules électriques, l’approvisionnement de l’Europe est très peu diversifié puisque 79 % de notre consommation provient du Chili. C’est encore pire pour les terres rares lourdes, qui sont utilisées dans la fabrication des smartphones, des appareils photo numériques, des écrans d’ordinateurs ou de télévision et pour lesquelles la totalité de la consommation provient de Chine. En cas d’une détérioration des relations de l’Europe avec la Chine, l’Europe pourrait donc perdre la totalité de ses approvisionnements en terres rares lourdes.

Le cuivre et le nickel ne sont pas considérés comme des matières premières critiques, mais comme des matières premières stratégiques. Le cuivre est utilisé en Europe en grandes quantités à des fins d’électrification dans toutes les technologies stratégiques : l’offre est assez diversifiée mais il est difficile de lui trouver un substitut, étant donné ses caractéristiques électriques. Dans le cas du nickel, il y a plutôt une bonne diversification au niveau de l’extraction mais le plus gros producteur du monde, l’Indonésie, a mis en place des restrictions à l’exportation en 2020 et il y a finalement assez peu de diversification au niveau du raffinage, ce qui peut constituer un risque pour le futur.

Les objectifs de la Commission européenne

Pour sécuriser l’économie européenne, il est donc indispensable de travailler à renforcer l’approvisionnement dans ces matières premières critiques et/ou stratégiques. C’est précisément ce à quoi s’est attelée la Commission européenne, qui a travaillé sur le Critical Raw Materials Act, annoncé le 16 mars dernier.

Les objectifs sont ambitieux, en effet pour ces matières premières critiques et/ou stratégiques, l’objectif est de parvenir d’ici 2030 à :
• Au moins 10 % de la consommation de l’UE provenant de l’extraction domestique,
• Au moins 40 % de la consommation de l’UE provenant du raffinage domestique,
• Au moins 15 % de la consommation de l’UE provenant du recyclage.

Un autre objectif est que pour chacun de ces matériaux, un pays tiers ne doit pas représenter plus de 65% de l’extraction ou du raffinage.

Les mesures envisagées dans le Critical Raw Materials Act

Dans les mesures proposées pour atteindre les objectifs ambitieux mentionnés ci-dessus, on trouve la simplification des procédures administratives pour les projets de minage, avec la mise en place de délai commun au sein de l’Union. Pour les projets stratégiques sélectionnés, le délai d’obtention d’un permis sera de 24 mois pour l’extraction et de 12 mois pour le raffinage et le recyclage. Un suivi des chaînes d’approvisionnement pour ces matières premières va être mis en place, avec une collaboration étroite avec les grandes entreprises (qui devront se soumettre à une sorte de stress test). Un autre pan porte sur la recherche et surle déploiement de nouvelles technologies portant sur ces matières premières.

Enfin, un volet important porte sur la circularité avec le fait que les Etats membres doivent prendre des mesures au niveau national pour la collecte et le recyclage des matières premières critiques.

Clairement, l’Europe semble être déterminée à renforcer sa souveraineté en s’attaquant à ses dépendances vis- à-vis des matières premières qui sont stratégiques pour elles. Cela passera par un nouveau souffle pour l’industrie minière sur le sol européen mais aussi par une dynamisation de la filière du recyclage.