Yellen : une intervention équilibrée, mais consciente des risques baissiers

par Michael Carey, économiste au Crédit Agricole

  Le FOMC anticipe des ajustements graduels de sa politique monétaire, mais il est clair que rien n’est écrit à l’avance et que tout dépendra des données.

  La Fed reste attentive aux risques baissiers que les turbulences mondiales font peser sur la croissance.

•  Les conditions se sont dégradées sur les marchés financiers. Cette situation, si elle perdure, pourrait peser sur les perspectives d’activité économique et d’emploi.

  Le discours et les commentaires de Janet Yellen nous suggèrent l’adoption d’une approche prudente de la normalisation monétaire par la Fed.

• Nous n’anticipons pas de hausse des taux avant juin au plus tôt et tablons sur une révision à la baisse des dotplots1 lors du FOMC du mois de mars. Le risque sur notre prévision actuelle (trois hausses des taux de 25 pdb cette année) est clairement orienté à la baisse.

Les marchés ne s’attendaient pas à ce que les perspectives de politique monétaire de la Fed évoluent avec l’audition de Janet Yellen et cela n’a effectivement pas été le cas. Le ton a toutefois été prudent, compte tenu de la montée des risques baissiers, ce qui conforte notre vue selon laquelle le FOMC attendra vraisemblablement jusqu’en juin avant de poursuivre son processus de normalisation monétaire.

La présidente de la Fed a affirmé que les conditions s’étaient durcies sur les marchés financiers, citant notamment « une baisse des indices boursiers, une hausse des taux de marché pour les emprunteurs à risque et une nouvelle appréciation du dollar. Ces développements, s’ils perdurent, pourraient peser sur les perspectives économiques et de l’emploi, même si la baisse des taux à long terme et des cours du pétrole compense quelque peu ces effets négatifs ».

Pendant la séance des questions-réponses, Janet Yellen a admis ne pas avoir vu «de facteur déclencheur suffisamment significatif pour expliquer les importants mouvements observés sur les marchés ». Elle a noté que la hausse des primes de risque reflétait apparemment la montée des craintes de récession, mais qu’il n’existait aucun signe de fort recul de la croissance américaine ou mondiale. Aussi, les membres de la Fed ne veulent pas tirer de conclusion hâtive de l’évolution des marchés, tout en admettant que « ces développements pourraient avoir des implications sur les perspectives, implications que nous sommes en train d’évaluer ».

Au cours de son intervention, la présidente de la Fed a passé davantage de temps à évoquer les risques baissiers que les risques haussiers, ce qui selon nous suggère que le FOMC sera plus prudent dans sa démarche de normalisation monétaire qu’il ne l’anticipait en fin d’année dernière. Janet Yellen a mis l’accent sur les risques liés à l’évolution de la situation économique à l’étranger. Les incertitudes sur la politique de change et sur les perspectives de croissance économique en Chine ont conduit à une montée de la volatilité sur les marchés financiers. La faiblesse des cours du pétrole et des autres matières premières met un certain nombre d’économies émergentes vulnérables sous pression. «Si un de ces risques baissiers se matérialisait, l’activité économique hors des États-Unis et la demande pour nos exportations pourraient s’affaiblir et les conditions pourraient se dégrader davantage sur les marchés financiers ».

Concernant les risques haussiers, l’idée selon laquelle la baisse des cours du pétrole pouvait soutenir l’économie américaine a été mentionnée. Nous pensons toutefois que ce facteur pourrait être en partie compensé par la baisse des investissements dans le secteur pétrolier et par les impacts négatifs collatéraux sur les conditions de marché (baisse des actions, hausse des spreads de crédit, inquiétudes sur l’exposition des banques au secteur de l’énergie et sur leur volonté générale de prêter).

Un facteur supplémentaire suggérant la prudence dans la normalisation des taux est la lenteur attendue de la remontée de l’inflation vers l’objectif de 2% de la Fed. Les toutes dernières baisses des prix de l’énergie vont prolonger la faiblesse de l’inflation. Alors même que l’impact du pétrole sur les prix se dissipera lorsque les cours se stabiliseront, le maintien durable d’une inflation basse augmente le risque de baisse des anticipations d’inflation. Ceci continue de préoccuper les officiels de la Fed dans la mesure où les perspectives d’inflation « dépendent en grande partie du bon ancrage des anticipations d’inflation à long terme ». Au cours de son intervention, Janet Yellen a noté que les prévisions implicites d’inflation sur les marchés avaient atteint des niveaux historiquement bas, même si le FOMC considère que « l’évolution des primes de risque et de liquidité » a contribué à cette baisse. Certaines mesures des anticipations d’inflation données par des enquêtes sont néanmoins sur la partie basse de leur fourchette récente, ce qui plaide pour une approche prudente de la normalisation des taux.

La ligne du parti

L’intervention de la présidente de la Fed reflète la position officielle du FOMC selon laquelle « avec des ajustements graduels du réglage monétaire, l’activité économique progressera à un rythme modéré dans les années qui viennent et les indicateurs du marché du travail continueront de s’améliorer ».

L’analyse de la situation économique reste fondamentalement la même. La bonne tenue de l’emploi et la meilleure progression des salaires soutiendront la consommation des ménages, dans le secteur de l’automobile par exemple. Le secteur du logement va continuer de progresser et la croissance dans ces secteurs compensera la contribution négative du commerce extérieur. Ce dernier contribuera en effet négativement à la croissance en raison d’une croissance atone de la demande étrangère et de la force du dollar. L’investissement – en dehors du secteur de l’énergie – devrait continuer à progresser.

La Fed affirme que « l’évolution de la politique monétaire n’est absolument pas écrite à l’avance ». « L’évolution du taux des fed funds dépendra de ce que les statistiques nous diront des perspectives économiques et nous réévaluerons régulièrement le niveau de taux qui permettra d’atteindre puis de maintenir nos objectifs d’emploi maximum et d’inflation à 2% ». Une croissance plus forte ou une progression plus rapide de l’inflation rendrait « appropriée une hausse plus rapide du taux des fed funds… mais une évolution moins rapide serait indiquée si l’économie se révélait décevante ».

Séance des questions-réponses

Janet Yellen a essuyé des critiques de la part de membres de la Chambre des représentants en raison du taux de rémunération des réserves excédentaires (le IOER, fixé à 0,50%), qui se traduit par des versements importants aux banques, y compris des banques étrangères. Une alternative ne serait-elle pas envisageable ? La présidente de la Fed a défendu la gestion des taux de la banque centrale. Elle a notamment indiqué que relever le taux des fed funds serait plus difficile sans la capacité à utiliser l’IOER, l’alternative étant une réduction des réserves de la Fed, réduction qui obligerait la Fed à vendre des obligations du Trésor et des MBS qu’elle détient en portefeuille, ce qui pourrait se révéler néfaste.

Concernant le portefeuille d’actifs de la Fed, Janet Yellen a réaffirmé que les membres de la Fed voulaient que le processus de normalisation des taux soit bien entamé avant de laisser le bilan de la Fed se réduire mécaniquement, dans la mesure où la fixation des taux courts est la manière la plus indiquée de modifier la politique monétaire et de communiquer sur celle-ci. Nous ne pensons pas que la Fed modifiera sa politique de réinvestissement avant fin 2017 au plus tôt.

Janet Yellen a relativisé les craintes de récession affichées par les parlementaires et ne s’attend pas en conséquence à ce que le FOMC abaisse les taux. Elle a rappelé l’amélioration continue du marché du travail et noté que les pressions désinflationnistes de court terme seraient probablement transitoires, mais a néanmoins admis que l’évolution des marchés financiers mondiaux pouvait conduire à une croissance plus faible. Le FOMC analysera les données au fur et à mesure de leur publication et fera part de ses nouvelles prévisions à l’occasion de sa réunion du mois de mars.

L’hypothèse de taux d’intérêt négatifs aux États-Unis ne semble pas particulièrement intéressante pour Janet Yellen, mais les stress tests auxquels sont soumises les banques américaines comprennent un scénario de ce type assez sévère, à des fins de planification prudentielle. La Fed avait envisagé l’idée de taux négatifs en 2010, mais cela n’était déjà à l’époque pas considéré comme un outil à privilégier, en raison de l’impact sur les marchés monétaires et de la question de la compatibilité de cet outil avec l’organisation institutionnelle américaine. De plus, les problèmes juridiques soulevés par une politique de taux négatifs n’ont pas été pleinement analysés, bien que la présidente de la Fed ait indiqué qu’elle ne connaissait pas de raison qui empêcherait l’instauration de taux négatifs. La divergence entre les politiques monétaires de la BCE et de la Fed devrait a priori créer des pressions haussières sur le dollar, ce qui, selon l’analyse de la présidente de la Fed, aurait des effets négatifs sur la croissance américaine via une détérioration du commerce extérieur.

Les contraintes pesant sur la disponibilité du crédit sont un facteur important, selon la présidente de la Fed, qui a noté que les spreads des obligations des entreprises s’étaient considérablement écartés – et pas seulement pour le secteur de l’énergie. Elle a également relevé que la dernière enquête sur le crédit bancaire (Senior Loan Officer Survey) annonçait un durcissement des conditions de crédit pour les entreprises. Les prêts aux entreprises (C&I loans) continuent de progresser, mais la situation du marché du crédit mérite d’être surveillée.

Conclusion

Nous avons trouvé que le discours, puis la séance des questions-réponses, de la présidente de la Fed devant la Chambre des représentants étaient équilibrés, mais largement consacrés aux risques baissiers qui pèsent sur les perspectives. À la fin de l’audition, quelqu’un a demandé à Janet Yellen si les données récentes suggéraient des perspectives moins positives, ce à quoi elle a répondu « c’est possible, mais il n’est pas encore possible de se prononcer ». La présidente de la Fed a souligné que le communiqué publié après la réunion du FOMC de janvier n’affirmait pas que les risques étaient équilibrés, contrairement au communiqué de décembre, mais que la Fed était en train d’évaluer la situation. Elle pense que la croissance va augmenter au 1er trimestre, mais note que les conditions financières se sont dégradées. Nous pensons que les prévisions de croissance et d’inflation de la Fed seront revues en baisse en mars. Nous n’anticipons pas de hausse des taux avant le mois de juin et tablons sur une révision à la baisse des dotplots le mois prochain.

NOTES

  1. Prévisions de la Fed sur l’évolution du taux des fed funds, formulées sous forme d’un ‘graphique à points’ ou dot plot.

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