Zone Euro : consolider l’embellie

par Thibault Mercier, économiste chez BNP Paribas

  Les perspectives de croissance demeurent bien orientées en zone euro, malgré la crise grecque. Les soutiens à l’activité sont nombreux : actions de la BCE et reprise du crédit, faiblesse de l’euro et  des prix du pétrole.

•  Des risques existent, notamment liés à la croissance des pays émergents, mais ils sont limités : la reprise de la zone euro est de plus en plus soutenue par des fondamentaux internes.

  Ce diagnostic conjoncturel ne doit pas occulter les grandes difficultés qui persistent à plus long terme. Le creusement des divergences, en termes d’activité et d’emploi, entre les différents pays doit être renversé.

  Rigueur budgétaire et réformes structurelles ne peuvent être les seules réponses à la crise. L’ensemble des déséquilibres, et pas seulement les déficits, doit être traité.

Des perspectives favorables à court terme…

Malgré l’incertitude grecque, l’amélioration de la situation économique de la zone euro se poursuit. Les PMI du mois de juillet, bien qu’en léger repli par rapport à juin (de 54,2 à 53,7), se situent au-dessus de la moyenne du premier semestre. La composante prix à la production atteint un plus haut depuis mars 2012, à 49,9. Alors que les chiffres du PIB pour le deuxième trimestre seront publiés mi-août, les données mensuelles d’activité et les résultats d’enquêtes laissent penser que la croissance aura été au moins équivalente à celle du premier trimestre (le PIB avait progressé de 0,4% t/t), voire légèrement plus forte.

De fait, les soutiens à l’activité sont nombreux en zone euro. En premier lieu, on trouve les actions de la BCE. Malgré la hausse des taux longs et l’écartement des spreads périphériques observés depuis fin avril (et légèrement corrigés récemment), les conditions monétaires financières demeurent très accommodantes. Par ailleurs, si ces dernières venaient à se durcir davantage, le Conseil des gouverneurs se tient prêt à agir.

La transmission de la politique monétaire à l’économie réelle s’améliore, notamment dans les pays les plus sévèrement touchés par la crise. Ainsi entre janvier et mai 2015, les taux d’intérêt bancaires sur les prêts d’un montant allant jusqu’à EUR1mn octroyés aux sociétés non financières (SNF) ont baissé de 40 points de base en Italie, 60 pb en Espagne et 70 pb au Portugal. Sur un an, ces même taux se sont repliés de respectivement 118 pb, 133 pb et 155 pb (voir graphique). En outre, les enquêtes portant sur l’offre de crédit montrent que la baisse des coûts d’emprunt en zone euro se double d’un assouplissement des critères d’accès au financement bancaire. Les prêts aux SNF ont augmenté en mai, de 0,1% sur un an, après trois années de contraction. Avec le redressement des perspectives de demande, l’amélioration des conditions de financement devrait soutenir l’investissement des entreprises.

L’autre effet majeur de la politique très accommodante de la BCE est le recul de l’euro, par ailleurs accentué par la perspective d’un resserrement monétaire aux Etats-Unis. Depuis mars 2014 et en termes effectifs, l’euro s’est déprécié de près de 10%. Bien que la valeur de l’euro se soit quelque peu renforcée récemment, les effets positifs de la baisse sur le commerce extérieur devraient continuer à se faire sentir (voir s’intensifier) compte tenu du délai qui existe entre la dépréciation du change et ses effets sur les exportations.

Un autre soutien déterminant à la croissance européenne est la faiblesse des prix du pétrole. Le cours du Brent (en dollars), qui a déjà perdu 60% entre fin juin 2014 et janvier 2015, est à nouveau orienté à la baisse : depuis mi-mai, les prix ont baissé de 15%. Le repli des cours du pétrole constitue à la fois un soutien au pouvoir d’achat des ménages et à la profitabilité des entreprises qui devrait, en retour, bénéficier à la consommation et à l‘investissement.

Enfin, les politiques d’austérité sont appliquées avec moins de force. La poursuite de la consolidation budgétaire viendra essentiellement de l’amélioration cyclique des comptes publics, ôtant un obstacle au redressement de la demande intérieure, déjà freiné par le désendettement des agents privés.

…et des risques contenus

Naturellement, des risques entourent ce scénario, mais ils apparaissent contenus, du moins à court terme. Le premier est lié à la Grèce. Malgré l’ouverture des négociations sur un troisième plan d’aide européen, des doutes subsistent sur la stabilité politique du pays. Le vote des réformes exigées par les créanciers devrait être impossible à obtenir sans le soutien de l’opposition. Par ailleurs, tout porte à croire que la mise en œuvre de ces mesures viendra accentuer une récession déjà exacerbée par le contrôle des capitaux. En définitive, le sentiment d’accalmie suscité par la succession de nouvelles positives ces derniers jours (accord de principe des Européens sur un financement du MES ; relèvement du plafond de l’ELA par la BCE ; réouverture des banques) ne doit pas être surestimé. Pour autant, le risque grec ne semble pas constituer une menace immédiate pour la reprise en zone euro, comme l’a révélé la réaction modérée des marchés financiers aux récentes vicissitudes des négociations européennes. Là encore, le pouvoir de stabilisation de la BCE semble clé.

Le second risque est lié à une accentuation du ralentissement de la croissance dans les pays émergents (Chine en tête) qui pourrait porter un coup aux exportations européennes. Néanmoins, et sauf fléchissement marqué de la croissance mondiale, cela ne devrait pas remettre en question la reprise en zone euro. Avec l’amélioration des conditions sur le marché du travail, la croissance européenne est de plus en plus auto-entretenue.

Des défis à long terme

Les perspectives favorables de croissance ne doivent cependant pas occulter les défis qui se posent à long terme et les doutes qui existent sur la capacité des dirigeants politiques à les relever. Comme le rappelait récemment M.Draghi, la zone euro est imparfaite et, de ce fait, vulnérable et fragile. A moins d’une intégration budgétaire plus poussée elle ne permettra pas à ses membres de profiter pleinement des bénéfices attendus d’une union monétaire. La question de l’incomplétude de l’euro est ancienne mais elle se pose avec une force nouvelle depuis 2010.

Confrontés à la crise des dettes souveraines, les dirigeants politiques européens ont vu dans l’irresponsabilité budgétaire et l’absence de réformes la source des déséquilibres. Ils y ont répondu par un encadrement renforcé des politiques budgétaires (le Fiscal compact) et la mise en œuvre de réformes structurelles, censées rapprocher le fonctionnement des économies du Sud de celles du Nord. Une solidarité financière a été organisée mais elle est restée conditionnelle, la stabilité de la zone reposant in fine sur la rigueur budgétaire et la résorption des déséquilibres extérieurs.

Bien que nécessaires, les ajustements opérés depuis 2010 ne sont probablement pas suffisants pour assurer la stabilité de la zone euro sur le long terme. Les armes qui ont été choisies pour lutter contre la crise ont creusé les écarts économiques. Les différentiels de taux de chômage sont particulièrement frappants, entre une Allemagne en situation de quasi plein-emploi et un chômage de masse, notamment chez les jeunes, en Europe du Sud. Malgré la reprise, les conditions du retour à la prospérité demeurent nombreuses et exigeantes. En l’absence d’amélioration significative des niveaux de vie, l’adhésion démocratique au projet européen risque de faiblir.

Lire la crise comme la conséquence de la seule irresponsabilité budgétaire de certains Etats est une erreur. Une union monétaire sans autre pilier est génératrice de déséquilibres. Le canal des taux d’intérêt est l’un des propagateurs : une politique monétaire unique a de fortes chances de se révéler trop accommodante pour certains, conduisant à la formation de bulles. Ce fût le cas en Espagne et en Irlande. Le canal du taux de change effectif en est un autre. La valeur externe de la monnaie est unique mais ne se traduit pas de la même façon d’un pays à l’autre : l’équilibre de tous n’est pas celui de chacun. Pour les pays présentant des déficits extérieurs structurels, le taux de change unique se révélera, tôt ou tard, trop élevé. Mais la réciproque est vraie : les pays excédentaires verront leurs excédents s’accumuler avec un taux de change sous-évalué. C’est le cas de l’Allemagne.

Fondamentalement, l’adoption d’une monnaie commune pousse à la spécialisation des économies, augmentant leur vulnérabilité aux chocs asymétriques. L’accent mis sur l’équilibre permanent des finances publiques limite le pouvoir stabilisateur de la politique budgétaire.

Une plus grande prise en compte de l’hétérogénéité des pays membres, qui conduirait l’Union monétaire à mettre en commun davantage de ressources, apparaît nécessaire. Mais il s’agit de toute évidence d’un processus de long terme. A horizon rapproché, une meilleure coordination des politiques économiques au sein de l’UEM est souhaitable pour réduire l’ampleur et le coût de l’ajustement requis pour les pays structurellement déficitaires.

La Commission Européenne s’est dotée d’outils de supervision des déséquilibres macroéconomiques. Il est cependant regrettable que ces déséquilibres soient principalement appréhendés du côté des déficits sans critères symétriques du côté des excédents1. Un excédent est un déséquilibre, au même titre qu’un déficit. On peut même dire qu’un excédent courant est l’illustration d’un déficit interne : de consommation et d’investissement. C’est la conclusion à laquelle arrive le FMI dans un récent rapport sur l’excédent courant allemand. De ce point de vue, la relance de l’investissement (public et privé) en Allemagne semble aussi nécessaire à la stabilité de la zone euro qu’une modernisation de l’économie grecque.

NOTES

  1. Ainsi les déficits courants sont autorisés dans une limite de 4% du PIB contre 6% pour les excédents. La limite inférieure du stock de dette extérieur nette n’a pas d’équivalent du côté des actifs nets.

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