« But, for mine own art, It as Greek to me* »

par Philippe Weber, Responsable Etudes et Stratégie chez CPR AM

« Les querelles ne dureraient pas longtemps, si le tort n’était que d’un côté » La Rochefoucauld La situation est de plus en plus mouvante après le « non » donné par le peuple grec au référendum ! En effet, l’environnement était déjà incertain et difficile, nous voici désormais dans l’inconnu. Après le défaut sur une échéance due au FMI, la Grèce refuse la proposition faite par les « institutions » (Commission, BCE et FMI) le 25 juin dernier.

Le deuxième plan d’aide ne peut donc pas être prolongé, il faudra mettre sur pied un troisième plan d’aide – qui n’a pas besoin d’être construit ex nihilo, il est vrai : on peut reprendre une part des dispositions du 25 juin, au moins celles que la Grèce elle-même avait avancées avant que sa copie ne lui soit, au sens propre du terme, retournée corrigée en rouge, méthode sommaire (quoique venant d’un logiciel bien connu de traitement de texte) qui a sans doute joué un rôle dans la convocation du référendum (les réticences d’une partie des soutiens de M. Tsipras ont sans doute joué également). Cela étant, d’un point de vue institutionnel, il sera plus long et compliqué de valider un troisième plan que de prolonger un deuxième déjà en place…

La situation est donc la pire qu’on aurait pu imaginer ?

Au point où on en était, non : un résultat serré aurait sans doute été encore plus dangereux, car la légitimité en aurait été moins nette. Et un « oui », donc un désaveu du gouvernement, aurait provoqué la chute de M. Tsipras : ce renversement d’un gouvernement démocratiquement élu aurait pu être interprété, sans que cela soit totalement dénué de fondement, comme le résultat de pressions extérieures de la part d’autorités non élues. Au demeurant, le plus consternant dans tout cela reste qu’il ait été impossible d’arriver à un accord : c’est à croire que personne n’y a mis de réelle bonne volonté.

Quels sont aujourd’hui les risques ?

La situation des banques est très critique : elles dépendent de l’assistance d’urgence (« ELA ») ; accordée par la Banque de Grèce sous la responsabilité des autorités grecques, mais avec l’accord de la BCE qui en fixe le plafond puisqu’il s’agit d’une création d’euros. Les banques sont fermées et les retraits de liquide aux distributeurs limités, mais cela commence à paralyser l’économie réelle. La BCE ne peut pas
« couper les vivres », ce qui reviendrait à provoquer instantanément une crise propre à entraîner une sortie de la Grèce de l’Union monétaire. Elle ne peut pas non plus augmenter le plafond, compte tenu de ses propres contraintes réglementaires, quelle que soit la souplesse dont elle a su faire preuve. La Grèce peut-elle longtemps vivre avec des banques fermées et des retraits limités à quelques dizaines d’euros par jour et par personne ? Evidemment pas. Il faut donc un accord d’urgence permettant à la BCE de redonner des liquidités, ou de rendre sa présence moins urgente.

Cela semble-t-il possible ?

Les propositions faites par la Grèce il y a deux semaines semblaient plausibles ; la copie corrigée ne différait au fond pas tant que cela. La Grèce demande un abattement ou un rééchelonnement de la
dette ; chacun sait qu’il sera fait un jour, mais les créanciers ne veulent en parler qu’une fois les « réformes » en place ; on devrait pouvoir trouver une façon de concilier ces deux points de vue ! Le remplacement de M. Varoufakis par M. Tsakalotos peut faciliter les contacts, mais les échanges ont été animés, et il est à craindre que la confiance ne règne guère, si l’on me passe cette litote. Cela étant, certains des pays qui ont déjà fait des ajustements parfois énormes sont tout à fait hostiles à de nouvelles concessions. Une proposition faite par l’économiste Thomas Piketty pourrait représenter une solution : il suggère un abattement à la dette de tous les pays. Si l’on considère qu’il n’y a pas que la dette grecque qui ne pourra pas être remboursée, cela se défend – mais cela ne pourra pas se décider dans une seule réunion de l’Eurogroupe…

Faut-il être optimiste ?

Le pire n’est jamais sûr ; il n’y a de toute façon aucune bonne solution de court terme puisque la Grèce n’aurait sans doute pas dû être acceptée dans la zone euro. Parmi les réformes les plus urgentes, il y aurait la mise sur pied d’un Etat, et en tout cas d’un fisc, qui fonctionne réellement. Malheureusement cela ne se fait pas du jour au lendemain : mais, s’il s’avérait qu’on prend le chemin de bonnes réformes (et les bonnes réformes ne sont pas celles qui diminuent encore le niveau de vie d’une population objectivement déjà lourdement frappée), il serait sans doute possible de mettre en place un plan d’aide et un projet de restructuration de la dette avant même qu’on voie les résultats. Encore faudrait-il que les méthodes de négociation des autorités grecques ne leur aient pas aliéné toute la sympathie dont elles ont pu bénéficier à leur arrivée au pouvoir.

NOTES

* « But, for mine own art, It as Greek to me »
« Quant à moi, je n’y ai rien compris » Shakespeare, Jules César, I, 2