Que faire après un début d’année aussi porteur ?

par Jean-Marie Mercadal, Directeur Général Adjoint en charge des gestions chez OFI AM

Les banques centrales ont redonné de la confiance et de la visibilité aux investisseurs, les entreprises vont bien… Et si l’environnement économique n’est pas florissant (on le savait déjà), les investisseurs voient aujourd’hui « le verre à moitié plein »… Dès lors quelle stratégie d’investissement adopter ?

Il y a un an presque jour pour jour, nous passions de«positif»à«neutre» stratégiquement vis-à-vis des actions. Cette décision avait été sage car, depuis, nous avons vécu une année financière très agitée et les performances des actions sont très contrastées : de + 7 % pour les actions américaines (indice S&P 500) à -10 % pour celles de la zone Euro (indice Euro-Stoxx 50) et, au final, une stabilité des actions émergentes après un recul de près de 25 % en septembre !… Ce cheminement contraste avec le calme observé depuis quelques semaines.

Depuis décembre en effet, la tension des marchés s’est clairement calmée et la « prime de risque » a baissé sous l’effet de trois principaux facteurs :

  • Les Banques Centrales ont inondé le monde de liquidités : elles prennent leurs responsabilités de prêteur et de fournisseur de liquidités de dernier ressort. Depuis le premier « LTRO » du 21 décembre de la BCE, le nombre de décisions monétaires d’assouplissement est ainsi impressionnant : baisses des taux directeurs au Brésil, au Chili, en Suède, en Norvège… Rallonges pour les programmes de rachats de dettes décidés par la Banque d’Angleterre et la Banque du Japon, pas de véritable QE3 aux États-Unis mais prolongation jusqu’à la fin de 2014 de la période de taux à zéro… Et même en Chine, le taux des réserves obligatoires des banques a été abaissé à deux reprises depuis décembre.
  • Ceci a permis à plusieurs pays européens sous pression de passer sans encombre le « premier mur de refinancement ». Un peu plus de 20 % du programme annuel d’émissions obligataires a été réalisé à ce jour au sein de la zone Euro et les rendements ont baissé globalement, particulièrement en Italie et en Espagne qui inquiétaient les marchés en début d’année.
  • Le plan « volontaire » grec a finalement été un succès, ou plutôt n’a pas été un échec.

Par ailleurs, il n’y a pas eu de mauvaises surprises sur le plan économique.

Le rétablissement de l’économie mondiale se poursuit. Aux États-Unis, le redressement de l’emploi se confirme, l’ajustement de l’immobilier résidentiel semble toucher à sa fin et les entreprises commencent à investir à nouveau. La croissance 2012 pourrait ainsi dépasser 2,5 %, au prix certes d’un déficit budgétaire encore important de plus de 8 % du PIB. Mais ce n’est probablement pas le problème de cette année, élections obligent… En zone Euro, l’économie flirte avec la récession, mais ce n’est pas une surprise. Les économies du Sud sont en récession claire (Italie et Espagne à – 1 %), l’Allemagne va souffrir mais sera en légère croissance. Il s’agit de la zone la plus fragile car les marges de manœuvre budgétaires sont inexistantes. Dans les pays émergents, la croissance a un peu ralenti avec le reste du monde, mais cela a permis de diminuer les pressions inflationnistes et donc incité les Banques Centrales à desserrer les politiques monétaires. Le cas de la Chine suscite le plus d’interrogations. La conjoncture est en ralentissement évident, mais il n’y a pas de « hard landing ». Le ralentissement de l’immobilier se poursuit, l’investissement public a déjà été largement utilisé lors de la crise de 2008. L’économie continue à se recentrer vers la consommation intérieure et le taux de croissance visé par le gouvernement est désormais de 7,5 %.

Bref, il semble que désormais les investisseurs se focalisent sur ces facteurs positifs et minorent les risques. Nous en voyons trois principaux :

  • Le pétrole : le baril de brut a gagné 15 % cette année et atteint la zone de 120 dollars qui commence à être dangereuse pour la croissance. Il n’y a pas de choc d’offre pour l’instant, mais la situation politique est très délicate avec le cas de l’Iran. Une poursuite de cette hausse serait problématique et pèserait sur les économies. Paradoxalement, les États-Unis seraient moins touchés et c’est une nouveauté : la production de gaz de schiste a entraîné une baisse du prix du gaz local qui bénéficie aux industriels.
  • Un changement plus brusque que prévu des politiques monétaires ou une hausse des taux obligataires non attendue. Cela semble peu probable à court terme mais, tôt ou tard, il faudra bien penser à la sortie et aux conséquences de ces politiques non conventionnelles mises en place dans l’urgence. On reparlera alors de « l’exit strategy », terme que l’on a fini par oublier. Et si la situation globale s’améliore, ce sujet reviendra plus rapidement.
  • L’Europe, encore… Les problèmes structurels ne sont pas encore résolus et une angoisse de marché à ce sujet se produira encore probablement avant la fin de l’année…

TAUX D’INTÉRÊT : LE POTENTIEL DE DÉTENTE S’ÉPUISE PARTOUT…

Avec de telles politiques monétaires, le risque de hausse des taux semble faible. En revanche, les rendements ont franchement baissé sur tous les segments : les obligations « Investment Grade » retrouvent leurs plus bas rendements des années 2005/2007 (autour de 3/3,5 % pour des maturités intermédiaires), certes avec des « spreads » plus élevés, mais qui s’expliquent par des courbes des taux anormalement trop basses sur les obligations gouvernementales allemandes et américaines. Les obligations « High Yield » européennes ont progressé de près de 14 % depuis début décembre à la faveur d’une détente de près de 200 pb du « spread ». Aujourd’hui, les obligations « High Yield » offrent en moyenne un rendement de près de 8 % de part et d’autre de l’Atlantique, avec des taux de défaut historiquement bas de respectivement 4 et 2 %. Il y a encore de la valeur dans cette classe d’actifs pour le rendement procuré, mais le potentiel de performance s’est nettement détérioré à court terme. De même, nous devenons plus prudents sur les obligations convertibles européennes. Nous avions souligné en décembre leur attrait retrouvé après la correction sévère de l’été, elles sont désormais « bien valorisées » avec de faibles rendements et des volatilités implicites désormais plus élevées que celles des options listées correspondantes.

Les obligations émergentes ont également bénéficié de la détente généralisée de la prime de risque. Pour nous, il s’agit d’un investissement structurellement positif à moyen/long terme car les fondamentaux des équilibres budgétaires des pays émergents dans leur ensemble sont très positifs.

Reste les obligations indexées sur l’inflation vis-à-vis desquelles nous avions délivré une opinion très favorable lors du comité de début décembre. Elles ont nettement progressé depuis car l’inflation « pricée » par les marchés était très faible. Elle l’est beaucoup moins désormais après le fort rallye constaté sur ce type d’obligations (+ 7 % sur l’indice européen des obligations indexées). Il reste cependant du potentiel à moyen terme, l’inflation implicite à 10 ans sur une obligation allemande étant actuellement de 1,7 %, et de 2,37 % pour une obligation correspondante américaine. Cela laisse un peu de marge à moyen terme compte tenu de l’évolution des prix et du potentiel de résurgence d’inflation à moyen terme.

ACTIONS : L’ANALYSE COMPARATIVE LES FAVORISE ENCORE DAVANTAGE…

Depuis le début de l’année, les flux d’investissements se sont portés massivement vers les obligations « crédit » et émergentes. Ces dernières ont regagné en capitaux en deux mois ce qu’elles avaient perdu sur l’ensemble de l’année 2011… Donc, en relatif, les actions – en dépit de leur récente remontée – sont encore relativement en retard par rapport aux autres actifs « risqués ». Et elles conservent des niveaux de valorisation encore très convenables.

Mais que conseiller aujourd’hui ? Passer positif après plusieurs semaines de hausse quasi ininterrompue ? C’est très dangereux au vu de la situation technique : aujourd’hui, les investisseurs « courent après le marché » et pratiquement tous les marchés sont techniquement surachetés. Par ailleurs, la saisonnalité est rarement bonne durant le printemps. Soyons clairs, dans une perspectives de plusieurs années, il n’y a pas photo et les actions présentent aujourd’hui le meilleur couple espoir de gain sur risque : faibles multiples de capitalisations, dividendes supérieurs aux taux d’intérêt… C’est la raison pour laquelle nous conservons notre appréciation stratégique neutre pour l’instant.

Aujourd’hui, les conditions d’une consolidation semblent donc en place et il faudra en profiter pour acheter des sociétés ayant une activité internationale, exerçant dans les secteurs industriels exportateurs, de qualité… Les actions américaines pourraient être particulièrement intéressantes pour un investisseur européen (potentiel sur la devise, sociétés internationales et économie plus résiliente…). Les actions émergentes sont également attractives : elles présentent des niveaux de valorisations similaires, mais avec davantage de potentiel à moyen terme. Enfin, les actions japonaises pourraient continuer leur reprise en accompagnement de l’affaiblissement du yen qui a commencé (enfin) à baisser contre les autres grandes devises, mouvement qui devrait se poursuivre.