Allemagne : A la pêche aux électeurs

par Caroline Newhouse, économiste chez BNP Paribas

A trois mois des élections générales qui se tiendront le 22 septembre prochain, la CDU et la CSU, son pendant bavarois, ont dévoilé leur plateforme électorale commune, un document de 120 pages intitulé « Programme du gouvernement pour l’Allemagne 2013-2017 ».

Au cours de la conférence de presse qui a suivi, la Chancelière a rappelé que les deux principaux défis que l’Allemagne devait relever dans les prochaines années étaient la mondialisation et le vieillissement de sa population. Dans à peine douze ans, la population active allemande sera inférieure de 6 millions à son niveau actuel (plus de 10% de baisse), a-t-elle rappelé. Fort de ce constat, le programme électoral s’articule autour de deux axes : la place de l’Allemagne en Europe d’une part et un plan de relance visant les classes moyennes d’autre part.

Le futur de l’Allemagne en Europe

Tout d’abord et contrairement au SPD, la CDU / CSU reste opposée à un dispositif commun de garantie des dépôts bancaires ainsi qu’à l’émission d’eurobonds qui déboucherait, selon elle, sur une mutualisation des dettes européennes. Par ailleurs, le parti d’Angela Merkel se montre toujours aussi intransigeant à l’égard des pays qui ne respecteraient pas le pacte de stabilité et de croissance : ces derniers doivent être sanctionnés. De fait la CDU / CSU veut que soit appliqué aux autres pays membres de la zone euro la même recette que celle qu’elle a elle-même adoptée à l’échelle fédérale. La Chancelière s’engage vis-à-vis de ses électeurs à dédier tout excédent budgétaire au remboursement de la dette publique allemande au cours de son prochain mandat, si elle est réélue.

Cette gestion vertueuse des finances publiques constitue, selon elle, la condition nécessaire pour garantir le plein emploi et préserver un environnement favorable aux entreprises. L’investissement public dans les domaines qui préparent l’avenir l’éducation, comme la recherche et les infrastructures, sera prioritaire. Enfin, vis-à-vis de la Turquie la ligne reste toujours aussi ferme. Le pays est jugé trop grand et avec une structure économique trop différente de celle l’UE pour qu’une adhésion soit envisageable. En revanche, la CDU / CSU est favorable au principe de l’ouverture d’un nouveau chapitre des négociations entre l’UE et la Turquie mais seulement après la publication du rapport annuel de la Commission européenne sur l’harmonisation de la législation turque avec les règles et pratiques de l’Union, soit en octobre prochain.

Plan de relance

Au-delà de l’orthodoxie budgétaire affichée et prônée, la majorité CDU / CSU promet de nombreux cadeaux électoraux, en cas de victoire e. La presse allemande a estimé le coût de ce plan de relance à plus de EUR 28 mds, environ 1% du PIB. Celui-ci repose sur une revalorisation de certaines prestations familiales, un plafonnement des loyers au moment du renouvellement du bail dans les villes où le marché immobilier est tendu, comme à Munich, Berlin ou Hambourg, l’introduction d’un salaire minimum de branche et d'une réforme du mode de calcul de l'impôt sur le revenu qui, progressivement, favoriserait les familles avec enfants.

Par ailleurs, l’état fédéral devrait dépenser EUR25mds supplémentaires dans un vaste programme d’infrastructures routières et technologiques, étalé sur quatre ans et bienvenu après les inondations. L’objectif d’équilibre budgétaire en 2014 n’en serait pas pour autant menacé, l’accélération escomptée de la demande interne exerçant un effet positif sur les recettes fiscales et permettant de respecter l’objectif, sans qu’aucun effort supplémentaire ne soit nécessaire. Angela Merkel promet ainsi de ne recourir à aucune hausse d’impôts, contrairement à ses rivaux du SPD et du Parti Vert qui entendent financer des mesures semblables en relevant la tranche d’impôt sur les plus hauts revenus de 42% à 49%.

Angela Merkel est au plus haut dans les sondages. Environ 58 % des Allemands se disent prêts à voter pour elle contre 18 % pour son principal concurrent, le social-démocrate Peer Steinbrück. Mais il n’en va pas de même pour son parti, la CDU. L’alliance CDU/CSU ne recueille qu’environ 40 % des intentions de vote, alors que le SPD en récolterait près de 23 %. Le tournant social pris par la CDU vise donc à séduire les électeurs traditionnels du SPD mais aussi à préparer un terrain d’entente avec le Parti Social-Démocrate, majoritaire au Bundesrat depuis janvier dernier, dans l’éventualité d’une grande coalition au lendemain des élections.

Si elle était adoptée, la plateforme CDU / CSU arriverait à point nommé pour soutenir la consommation des ménages et l’activité allemandes, alors que les exportations seront probablement peu dynamiques en 2013. L’issue des négociations salariales de printemps a déjà été plutôt favorable aux salariés concernés (hausse de rémunération annuelle à peine inférieure à 3%), en particulier dans le secteur des services. Elle devrait aussi servir de référence à l’ensemble de l’économie. La confiance des ménages a progressé de manière significative depuis le début de l’année et les enquêtes signalent que cette tendance pourrait se poursuivre au cours des prochains mois. Un coup de pouce supplémentaire à leur pouvoir d’achat ne serait pas superflu, après plusieurs années d’austérité. Par ailleurs, une baisse « maîtrisée » de la compétitivité allemande soutiendrait les exportations des pays périphériques qui ont mis en place des réformes structurelles douloureuses et fait d’importants gains de productivité depuis la crise de 2008.

Toutefois, le programme fait déjà l’objet de nombreuses critiques au sein de l’opposition mais aussi de la majorité. Certains membres du parti Libéral, FDP, allié traditionnel d’Angela Merkel, n’hésitent pas à fustiger la plateforme électorale. Ils estiment, en effet, que les nouvelles mesures annoncées seront nécessairement financées par des hausses d’impôt pour pouvoir respecter l’engagement d’équilibre budgétaire. Évoqué à nul endroit dans le programme gouvernemental, le parti libéral, désormais isolé, est le grand perdant du virage social de la CDU / CSU.

Retrouvez les études économiques de BNP Paribas