Pourquoi la formation tout au long de la vie va devenir encore plus centrale

par Bastien Drut, Stratégiste Senior chez CPR AM

La formation tout au long de la vie est l’une des solutions qui permettra de résoudre l’inadéquation entre l’offre et la demande de compétences dans les pays développés. Pour un certain nombre de raisons, elle deviendra de plus en plus centrale et s’imposera progressivement comme un impératif économique, notamment à cause des évolutions technologiques de l’économie mais aussi du vieillissement de la population.

Le problème d’inadéquation entre offre et demande des compétences

L’état du marché du travail s’est nettement amélioré ces dernières années dans les pays développés, avec une baisse marquée du taux de chômage. Cela dit, des problèmes structurels y subsistent, comme l’inadéquation entre l’offre et la demande de compétences. Les employeurs peinent à recruter des employés disposant des compétences dont ils ont besoin. Quand on leur pose la question du problème le plus important auquel ils font face, la réponse n°1 des entreprises aux Etats-Unis et en Europe[1] n’est ni le manque de demande, ni la régulation excessive, ni la fiscalité trop élevée mais la « difficulté à recruter du personnel compétent. »

Aux Etats-Unis, on compte moins de 6 millions de chômeurs mais plus de 7 millions de postes ouverts. L’une des raisons pour lesquelles le chômage ne disparaît pas dans un contexte aussi favorable est que les chômeurs n’ont pas les compétences qui sont recherchées par les employeurs. Ce phénomène porte le nom de « skills mismatch ».

La formation continue, c’est-à-dire, la formation des individus qui sont déjà dans la population active, est l’un des moyens de résoudre l’inadéquation entre offre et demande de compétences. Comme nous allons le voir dans la suite, les méga-tendances vont accélérer les besoins de formation continue.

L’allongement de la durée de la vie va augmenter la demande de formation tout au long de la vie

Pour des raisons de financement des pensions de retraite, l’allongement de la durée de la vie va pousser les gouvernements à progressivement repousser l’âge de départ à la retraite. Au Japon, le premier ministre Shinzo Abe a déclaré que l’une des priorités de son gouvernement pour les prochaines années serait de vouloir permettre à la population de travailler plus longtemps et de ne toucher sa pension de retraite qu’à partir de 70 ans. Le taux de participation des plus de 65 ans a grimpé de plus de 5 points depuis la fin 2010, à près de 25% de la population. Globalement, le vieillissement de la population impliquera que la période de vie active sera plus longue. Aux Etats-Unis, on note par exemple une augmentation continue du taux de participation (part de la population en emploi ou recherche active d’emploi) des personnes de plus de 70 ans depuis le début des années 2000. Le Bureau International du Travail prévoit que le taux de participation des plus de 65 ans augmentera nettement aux Etats-Unis, au Royaume-Uni ou en Allemagne d’ici 2030. Surtout, l’allongement de la présence sur le marché du travail impliquera davantage de transitions en cours de carrière : d’un poste à un autre dans une même entreprise, d’entreprise à une autre, d’un secteur à un autre.[2] Les reconversions seront plus fréquentes et nécessiteront dans la plupart du temps l’acquisition de nouvelles compétences. Le rapport Future of skills and Lifelong Learning publié par le Government Office for Science, un organe de conseil du gouvernement britannique, indique : « La sécurité économique ne viendra pas du fait d’avoir un emploi à vie mais du fait d'avoir la capacité de maintenir et renouveler les compétences adéquates grâce à la formation tout au long de la vie. »

L’obsolescence des compétences

Les évolutions technologiques précipitent l’« obsolescence des compétences, » que l’on peut définir comme le fait que les compétences deviennent progressivement hors d’usage et moins en phase avec les besoins des entreprises. Dans le jargon des économistes, on pourrait parler d’une « érosion du capital humain ». Le CEDEFOP (Centre européen pour le développement de la formation professionnelle), une agence de l’Union Européenne, explique que l’« obsolescence des compétences » est une conséquence des restructurations industrielles et du changement des besoins de compétences dans les secteurs ayant fortement recours aux nouvelles technologies (par exemple, technologie de l’information et de la communication, finance, activités scientifiques), dans lesquels les compétences peuvent rapidement être dépassées. Dans l’Union Européenne, 46% des adultes en emploi pensent qu’il est vraisemblable ou très vraisemblable que plusieurs de leurs compétences seront dépassées dans les cinq prochaines années. Dans les faits, il a été constaté que la perception de l’obsolescence de ses compétences accroît la demande de formation au cours de la carrière [3] , ce qui est d’autant plus vrai dans les secteurs ayant fortement recours aux outils informatiques. Pour les employés en poste depuis longtemps, arrêter de prendre part à des formations accroît la probabilité de perdre son emploi. Par ailleurs, le remplacement total ou partiel d’emplois par l’automatisation accroît et/ou va accroître le besoin de formation en cours de carrière car les employés devront s’adapter à de nouvelles fonctions, voire à de nouveaux secteurs d’activité. L’OCDE estime par exemple que 14% des emplois dans les pays de l’OCDE sont automatisables et que 32 autres % pourraient être modifiés de façon substantielle [4] .

Globalement, des emplois vont disparaitre et d’autres apparaitre avec l’automatisation et la robotisation. Surtout, les compétences de demain seront différentes des compétences d’aujourd’hui. Des estimations qui avancent qu’un tiers des employés américains devront changer de postes d’ici 2030 si l’automatisation est rapide. Cela va occasionner de forts besoins de formation continue et de reprises d’étude.

La formation tout au long de la vie s’imposera de plus en plus comme un impératif économique, à cause des évolutions technologiques et du vieillissement de la population. Les formations non-formelles se développent rapidement en Europe. La prise de conscience par les gouvernements occidentaux de la nécessité de développer la formation tout au long de la vie et la prise de décisions fortes devraient favoriser la poursuite de son essor.

NOTES

  1. Enquête NFIB pour les Etats-Unis et enquête SAFE réalisée par la BCE pour la zone euro.
  2. Voir par exemple le livre « The 100-year life » de Lynda Gratton et Andrew Scott.
  3. Allen J. et A. De Grip, 2012, « Does skill obsolescence increase the risk of employment loss ? », Applied Economics.
  4. « Putting faces to the jobs at risk of automation », OCDE, mars 2018.