Par Philippe Waechter, Chef économiste chez Ostrum AM
Une grève n’a généralement pas un effet persistant sur la conjoncture. Mais dans un environnement international fragile cette conclusion pourrait être remise en cause.
La grève démarrée le 5 décembre semble devoir durer. Ce lundi encore les transports seront très perturbés et l’on ne peut pas attendre d’amélioration avant jeudi puisque Edouard Philippe doit présenter l’architecture du système de retraite mercredi prochain. Si le conflit s’inscrivait dans la durée quels sont les points à observer.
Le premier est que, généralement, le choc d’une grève est temporaire. Le trimestre durant lequel la grève a lieu est pénalisé mais, dès le trimestre suivant, la situation retrouve la dynamique d’avant la grève. Le choc n’est pas permanent. C’est ce qui avait été constaté en 1995 où même au printemps 2018.
Il n’empêche que l’effet de la grève est observable et provoque des arbitrages pour tous. Ceux qui ne sont pas en grève peuvent prendre une RTT le premier jour (le 5 décembre par exemple) ou se mettre en télétravail. Si cela dure chacun doit arbitrer en raison de ses difficultés à aller travailler : les RTT ne sont pas extensibles et le télétravail n’est pas forcément une solution pérenne.
La question de l’acceptation de la grève va être aussi un point intéressant à suivre Il s’inscrit en complément du point précédent. En 1995, chacun avait le sentiment que la remise en cause du régime de retraite de la SNCF était une remise en cause de l’ensemble du système. Même si aujourd’hui chacun est préoccupé par l’avenir du système des retraites, il n’est pas certain que dans une société française marquée par une forte perception des inégalités, les régimes spéciaux soient perçus comme aussi fort qu’alors pour guider les retraites de demain.
En 1995, la grève intervient après une certaine désillusion qui a suivi l’élection de Jacques Chirac. Le graphe sur l’indice de confiance de l’INSEE a chuté violemment avant même que la grève ne soit envisagée. La perception du monde est plutôt négative. On a la même perception lors du démarrage du mouvement des gilets jaunes. La perception de l’avenir était négatif (ligne bleue sur le graphe).
En revanche, ce n’est le cas actuellement. Les ménages ont plutôt une perception positive de l’avenir. Pas sûr qu’ils soient prêts à hypothéquer cela.
En cas de conflit long, l’effet pourrait malgré tout être délétère pour l’économie hexagonale.
La croissance française est actuellement portée par sa demande interne alors que l’environnement international est incertain. Si la grève dure, cette dynamique interne sera pénalisée et non compensée par les échanges Intenses avec le reste du monde.
En 1995, le commerce mondial progressait de rapidement (au-dessus de 10% par an en volume) de la mi-94 à lami-95 avant de revenir à la croissance tendancielle de l’ordre de 6 à 7% sur la seconde partie de l’année.
Aujourd’hui les échanges internationaux se contractent (-1.1% en septembre sur un an). Une grève dure et longue aurait donc probablement un effet plus important et plus durable qu’en 1995. La conjoncture deviendrait plus fragile sans trouver de relais à l’extérieur.
C’est pour cela qu’Edouard Philippe devra être convaincant mercredi après-midi devant le Conseil Économique, Social et Environnemental. La France a, dans le cycle actuel, un rôle moteur sur la conjoncture de la zone euro, il serait souhaitable de ne pas hypothéquer cette situation par une grève trop longue.