par Eric Turjeman, Directeur des gestions Actions et Convertibles chez OFI AM
La chute des marchés actions a laissé place à un rebond puis à une stabilisation des places boursières. Les investisseurs sont-ils trop optimistes alors que les perspectives de l’année 2020 ne cessent de s’assombrir ?
Après un recul brutal de plus de 35% entre février et mars, les marchés actions ont rebondi de plus de 20% aux Etats-Unis comme en Europe. La baisse des marchés est désormais relativement réduite : si en Europe l’Euro Stoxx 50 et le CAC 40 restent en repli d’environ 25% depuis le début de l’année, aux Etats-Unis le S&P 500 ne perd plus que 15% sur la même période.
Dans ce contexte, les investisseurs ont de bonnes raisons de s’interroger. Le rebond est-il exagéré ? Va-t-il laisser place à une nouvelle phase de repli, ou la panique est-elle désormais derrière nous ?
Un rebond fragile et un potentiel de repli encore important
L’actuelle crise économique du Covid-19 est fréquemment comparée à celle de 2008-2009, qui avait entraîné une récession dans de nombreux pays. Or, en 2008-2009, comme d’ailleurs en 2001-2003, les marchés actions avaient connu un repli de plus de 50% en l’espace de 18 à 24 mois, ponctué d’éphémères séances de rebonds. L’actuel mouvement boursier reste encore loin d’une chute aussi prononcée, ce qui laisse craindre un potentiel de repli encore consistant. Le récent rebond pourrait être tout aussi éphémère que ceux observés par le passé.
Ce risque est d’autant plus tangible que la récession mondiale attendue en 2020 pourrait battre tous les records depuis la Seconde Guerre mondiale, avec des conséquences de long terme très lourdes en ce qui concerne les niveaux d’endettement. À une différence près : dès la fin des périodes de confinement, l’activité économique pourrait rapidement retrouver ses niveaux d’antan, voire connaître un pic historique engendré par un « effet de rattrapage ».
Il n’en reste pas moins que l’impact sur les bénéfices des entreprises sera particulièrement fort. De nombreuses entreprises ont décidé d’annuler leurs objectifs 2020 sans pour autant donner de nouvelles estimations ajustées. L’impact de la crise sur certains secteurs reste donc difficile à quantifier. Pour autant, les cabinets d’analyse, les brokers et les banques d’affaires ne manquent pas de publier leurs estimations. Les estimations les plus pessimistes prévoient une contraction des bénéfices de 40% cette année, un niveau record que même un fort rebond en 2021 peinerait à compenser.
Notons enfin que les valorisations boursières restent encore élevées : malgré leur repli, on ne peut pas dire que les actions soient redevenues bon marché. Au niveau mondial, les entreprises restent en moyenne valorisées 13 fois le montant de leurs bénéfices (PER de 13x), ce qui correspond à leur moyenne de long terme, alors même que la chute des bénéfices est encore loin d’être correctement prise en compte dans ces calculs. En 2008 et 2011, les PER étaient tombés à 8 fois les bénéfices. Preuve, s’il en est, que le potentiel de repli reste malheureusement important.
Quelques bonnes raisons de faire preuve d’optimisme
Malgré le tableau noir que nous venons de dépeindre, plusieurs éléments permettent de modérer ces craintes et surtout l’ampleur d’un éventuel mouvement baissier supplémentaire.
Tout d’abord, l’effet de surprise est désormais passé : les investisseurs ont désormais bien intégré l’idée d’une récession historique, d’une forte hausse du chômage (16 millions de nouveaux chômeurs américains en 3 semaines) et d’une hausse des risques de faillite. Les perspectives peuvent difficilement se dégrader davantage.
Par ailleurs, l’environnement des taux n’est plus le même que lors des précédentes crises : les taux directeurs des banques centrales sont à leurs plus bas historiques et les taux du marché obligataire campent en territoire négatif pour les actifs les plus sûrs, ce qui soutient les marchés actions.
Surtout, contrairement aux crises précédentes, notamment par rapport à 2008, les Etats et les banques centrales ont d’ores et déjà activé des plans de soutien massifs à l’économie avec une rapidité exemplaire. La capacité des Etats européens à s’affranchir des sacro-saintes règles budgétaires pour soutenir leur économie laisse espérer l’absence de nouveaux blocages semblables à ceux des années 2010 à 2015 pour aider les Etats en difficultés. La résorption de la crise devrait en être d’autant plus rapide, avec une bonne collaboration des Etats et des banques centrales pour contenir la crise et offrir de bonnes conditions de reprise. D’où l’optimisme des investisseurs.
En somme, l’économie se dirige vers une année 2020 des plus sombres, mais le choc qui en résultera devrait être nettement mieux géré que lors des crises précédentes. Sur les marchés, la prudence reste de mise : le récent rebond n’est pas injustifié, mais le potentiel de rechute reste trop important pour augmenter dès à présent son exposition de manière importante.