par Florent Delorme, Stratégiste chez M&G Investments
En 2019 l’OCDE appelait à une augmentation des dépenses des Etats en Europe sans que pour autant l’idée emporte l’adhésion d’une majorité de dirigeants européens et notamment de l’Allemagne. La forte récession provoquée par la crise sanitaire a remis à l’honneur le concept de stimulation budgétaire au point d’en faire dorénavant et pour longtemps l’élément central des politiques économiques. Le retour de la légitimité de l’intervention de l’Etat est une surprise après quarante ans de promotion du laisser-faire dans la sphère économique et de discours libéraux affirmant vouloir limiter l’Etat à ses fonctions régaliennes.
Alain Minc déclarait dans Les Echos le 3 septembre dernier : « Moi qui ai été un archevêque de la pensée unique et un défenseur des critères de Maastricht, je pense qu’il est grand temps de comprendre que tous les paradigmes viennent de muter ». Nous assistons en effet à un basculement de grande envergure de la pensée économique.
En France il est frappant de constater ce retour en grâce de l’Etat protecteur et stratège, avec la réhabilitation de la planification, du patriotisme économique, de la relocalisation des productions essentielles, des subventions des secteurs d’avenir et du soutien de la demande. En d’autres termes c’est la remise à l’honneur d’une certaine forme d’économie mixte, par opposition à la séquence de libéralisation qui aura duré 40 ans, de 1980 à 2020. Le capitalisme fait preuve de plasticité et abandonne sa version libérale pour un paramétrage combinant liberté d’entreprendre et vision stratégique de l’Etat. Pour dire les choses de manière un peu réductrice mais parlante, c’est somme toute le retour des idées économiques qui ont prévalu dans la France de De Gaulle.
C’est aussi d’un certain côté une victoire intellectuelle pour la Chine qui combine depuis trente ans capitalisme et planification stratégique avec les résultats économiques indéniables que l’on connaît. Le capitalisme libéral prôné en occident a montré ses limites en période de crise importante et la nécessité de l’intervention de la sphère publique s’est imposée. Il est désormais consensuel aux USA et en Europe d’évoquer la mise en place de véritables politiques industrielles et de ne pas s’en remettre aux seules forces libres du marché. Ces stratégies de long terme imposées par l’Etat, bien présentes en Chine, vont dorénavant trouver leur place en occident.
L’histoire économique retiendra donc ce formidable revirement que la crise sanitaire aura provoqué. Mais l’issue d’une politique interventionniste de la puissance publique via la dépense budgétaire est incertaine et dépend de la qualité de l’exécution. La volonté de restreindre le rôle de l’Etat dans les quarante dernières années résultait en effet du constat des dérives étatiques en la matière, avec son cortège de maux bien connus : inflation et dévaluation. Si les déficits et l’endettement sont utilisés pour financer des investissements prometteurs sources de richesse future, alors la relance s’avèrera avoir été un bon choix. A l’inverse si c’est un moyen de différer les efforts nécessaires au maintien d’une économie d’avenir, cela conduira à une baisse tendancielle de la productivité, du niveau de vie et à long terme à une fragilisation de la monnaie. En d’autres termes, choisira-t-on de financer l’effort collectif ou un lent déclin de nos économies ?