Aide-toi, l’Union t’aidera

par Jean-Luc Proutat, économiste chez BNP Paribas

Si le cas grec s’est autant aggravé, c’est parce que les décisions prises pour le traiter ont été trop longtemps différées et ont systématiquement tardé à s’appliquer. S’il fallait adresser une critique au plan de sauvetage du 21 juillet, c’est qu’il ne s’applique toujours pas. Il reconnaissait enfin le problème de solvabilité du pays et proposait des solutions pour l’affronter (réduction du poids de la dette, étalement des échéanciers, baisse des taux d’intérêt, engagement dans l’économie des fonds structurels européens…).

Malheureusement, en revenant individuellement sur les termes de l’accord, certains Etats de la zone euro ont agi comme pour défaire dès le lendemain ce que d’autres étaient parvenu à obtenir la veille. Les Grecs eux-mêmes portent une part de responsabilité. L’obtention fin septembre de la sixième tranche du prêt international (8 milliards d’euros, dont 2 provenant du FMI) était conditionnée à des économies budgétaires qui n’ont pas été réalisées et des cessions d’actifs qui n’ont pas eu lieu.

La contraction du PIB en 2011 (elle atteint 5% après révision du ministère des Finances, sans doute plus en réalité.) montre les limites d’un plan d’ajustement qui a reposé jusqu’ici sur la seule économie formelle. La Grèce doit donc changer de braquet. Une taxe sur le patrimoine immobilier, première source d’évasion fiscale, va être levée au travers des factures d’électricité. Pour répartir l’effort, le gouvernement a aussi engagé des négociations avec les armateurs, qui échappent traditionnellement à l’impôt. Tout cela va dans le bon sens, mais arrive aussi bien tard. On constate le même manque d’empressement du côté du secteur privé, où deux caisses de sécurité sociale grecques rechignent encore à s’engager dans le plan d’échange de dette, auquel 70% à 75% des créanciers du pays participeraient déjà. Le ministre des Finances, M. Venizelos les a récemment – et fermement – invitées à emboîter le pas.

Et ensuite ? Un abandon de la Grèce à son sort et son ancienne monnaie n'est pas une option, pour les raisons que nous évoquions déjà dans notre numéro de Conjoncture de janvier et qui restent valables aujourd'hui (cf. encadré). Mais l'on peut gager que tout accord à venir sur l'extension de prêts internationaux sera assorti d'un durcissement des conditions de surveillance du programme d'ajustement exigé en retour. La mise sous tutelle n'est pas évoquée, mais sa menace plane certainement sur les négociations en cours.

L’effet de contagion (au Portugal, à l'Espagne, à l'Italie…) est actuellement contenu par les achats de titres de la BCE, qui ont doublé depuis le 7 août (son Programme pour les marchés de titres a été porté de 75 à 144 milliards d’euros). Mais celui-ci aura du mal à se dissiper en l’absence d’une forme de mutualisation des dettes souveraines, donc de fédéralisme budgétaire. L’idée fait son chemin, y compris dans la très réticente Allemagne qui, en faisant valider par la Cour de Karlsruhe le premier plan d’aide à la Grèce, vient déjà d’enterrer constitutionnellement la clause de no bail-out. Le président de la Bundesbank, Jens Weidman, ainsi que l’ancien chancelier, Gerhard Schröder, plaident en faveur de l’union budgétaire. Dans l’opinion publique allemande, comme dans une partie de la classe politique, le projet d’euro- obligations (euro-bonds) gagne du terrain. Certes, la chancelière Merkel s’y oppose toujours ; les obstacles juridiques (modification des traités et des constitutions) comme techniques restent nombreux, sans parler de l’adhésion des autres pays. Mais, depuis dix-huit mois, le déroulement de la crise montre que nécessité peut faire loi.

Acceptée comme un tout, la zone euro n'aurait aucune difficulté à se financer sur les marchés. Son compte courant est proche de l’équilibre, et l’état agrégé de ses finances est meilleur qu’outre-Atlantique. Par exemple, son ratio de dette publique (87,7% du PIB en 2011 selon la Commission européenne) ou encore ses déficits structurels (3% du PIB en 2011) se comparent avantageusement à ceux des Etats-Unis (respectivement 99% et 8,9% du PIB en 2011). L’argument selon lequel l’introduction d’eurobonds renchérirait le coût de financement des pays les plus vertueux est à nos yeux de faible portée. Certes, les titres de dettes supranationaux existants (ceux qu’émet le FESF, Fonds européen de stabilité financière) supportent un spread vis-à-vis de l’Allemagne (de l’ordre de 75 points de base) mais qui s’affaiblirait avec l’augmentation de la taille comme de la liquidité du marché. Outre la nécessaire approbation des lois de finances nationales par les institutions européennes, l’aspect disciplinant serait maintenu par le fait que les eurobonds ne couvriraient qu’une partie de la dette des Etats (à hauteur de 60% du PIB par exemple), le dépassement n’étant garanti que par leur seule signature.

Sortir de l’euro, c’est aller dans le mur

Prôné par certains, le retour aux monnaies nationales, non seulement ne résoudrait rien, mais aggraverait les problèmes. Indiquons déjà que, techniquement, recréer une monnaie dissoute dans la constitution de l'euro est difficile à concevoir. A quelle échéance ? Selon quelle modalité ? A quel cours ? On imagine sans peine qu’un retour aux monnaies nationales irait de pair avec des ajustements brutaux de parités. La Grèce dévaluerait massivement, avec le risque que le Portugal, l’Espagne ou l’Italie en fassent autant. Le service de la dette constituée en euro serait rendu insupportable pour ces pays, les refinancements auprès du reste du monde seraient taris. Il y aurait défaut, et les créanciers des pays du Nord de la zone euro n'auraient rien à y gagner. Leur entente avec ceux du Sud, n’est pas une option, mais un impératif. (Source : Conjoncture BNP Paribas, janvier 2011)

Retrouvez les études économiques de BNP Paribas