BCE : le retour du risque inflationniste

par Marie-Pierre Ripert et Cédric Thellier, économistes chez Natixis

Délaissé pendant quelques mois, le risque inflationniste revient dans le discours de la Banque Centrale Européenne. En effet, après s’être concentrée sur les risques financiers, sur la nécessité du bon fonctionnement des canaux de transmission de la politique monétaire et sur les risques baissiers substantiels portant sur la croissance, la BCE modifie progressivement son discours.

D’une part l’environnement financier s’est nettement amélioré ces derniers mois même si des risques persistent et d’autre part, contrairement aux attentes, le prix du pétrole est reparti à la hausse depuis le début de l’année sous l’effet des tensions géopolitiques. Ainsi, l’adjectif « substantiels » pour qualifier les risques baissiers sur la croissance disparaissait du communiqué en février, le risque « haussier » sur l’inflation à court terme faisait son apparition en mars et c’est au tour du risque de « pass through »1 de revenir sur le devant de la scène en avril !

Si la BCE ne parle pas encore de sortie des politiques exceptionnelles mises en place ces dernières années (« exit strategy »), elle semble revenir dans son rôle traditionnel de gardien de la stabilité des prix. L’inflation est supérieure à son objectif de 2% depuis déjà de longs mois (16 pour être exacts) et devrait le rester d’après la BCE au moins jusque début 2013. Les raisons invoquées sont la hausse de taxes indirectes dans différents pays mais surtout le maintien à un niveau élevé des prix de l’énergie (au dessus de 120$ le baril pour le Brent à horizon fin 2012 d’après les forward).

Comme à chaque choc sur le prix du pétrole, le discours de la BCE se focalise sur les risques de transmission de la hausse du prix de l’énergie dans le prix des autres biens et services et sur les effets de second tour via les salaires.

Certes les prix à la production se sont redressés sur la période récente, mais demeurent significativement en deçà de leur niveau de 2008, lorsque la BCE avait justifié son relèvement de 25 pb des taux directeurs sur le risque de « pass through ». De plus, selon l’enquête PMI, les prix de vente n’ont, pour le moment, pas du tout réagi, traduisant à la fois le faible pouvoir de fixation des prix des entreprises européennes et leurs perspectives d’inflation modérée.

Quant à la transmission aux salaires, dans un contexte de chômage élevé – qui est dorénavant explicitement mentionné par la BCE parmi les facteurs pesant sur l’activité, elle apparaît fortement contrainte. A cet égard, les augmentations salariales récemment négociées en Allemagne constituent assurément une exception en zone euro. De surcroît, le redressement attendu de la productivité conduira au ralentissement des coûts salariaux unitaires.

Plus globalement, la faiblesse de la croissance2 – sur laquelle pèsent encore des risques baissiers selon la BCE elle- même, ne permettra pas de refermer l’output gap3 à moyen terme et les capacités de production demeureront excédentaires, ce qui limite fortement les risques d’inflation par la demande.

En outre, les craintes d’une inflation par la monnaie, liées à la politique de la BCE nous semblent très exagérées. En effet, les liquidités distribuées aux banques, certes très abondantes, n’ont pas entraîné de redressement du crédit au secteur privé, en progression de seulement 0,7% sur un an en février. Plus largement, la progression de l’agrégat monétaire de référence M3 reste faible, à 2,8%. La BCE elle-même considère ce rythme comme « contenu ». En réalité, c’est plutôt le scénario d’un effondrement du crédit qui prédominait ces derniers mois, et en corollaire, un risque récessif et déflationniste à moyen terme. S’il paraît encore trop tôt pour juger pleinement de l’effet des mesures de soutien de la BCE, et en particulier des opérations de refinancement à 3 ans, conduites récemment, ce scénario semble aujourd’hui s’éloigner.

En conclusion, la révision de notre scénario de politique monétaire – nous privilégions désormais le statu quo à 1% contre une baisse de 25 pb précédemment – s’explique en partie seulement par la résurgence du risque inflationniste, qui nous semble surestimé car temporaire et essentiellement exogène, mais également par l’affaiblissement des craintes vis- à-vis du scénario de credit crunch.

NOTES

  1. « pass through », transmission de la hausse du prix du pétrole dans les prix des autres biens et services et dans les salaires.
  2. Nos prévisions à cet égard sont globalement en ligne avec celles de la BCE, qui table sur une légère récession de -0,1% en 2012 puis une croissance de 1,1% en 2013 (respectivement -0,3% et +0,8% selon nous).
  3. Ecart entre le niveau de production effectif et le niveau de production potentielle.

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