Etats-Unis : difficultés structurelles sur le marché du travail et le marché de l’immobilier

par Thomas Julien et Inna Mufteeva, économistes chez Natixis

La publication avancée du PIB du troisième trimestre a confirmé la poursuite d’une reprise modérée de l’économie américaine. En effet, le PIB a augmenté de 2% T/T en rythme annualisé au T3 2010 contre une hausse de 1,7% au T2. Les chiffres de la consommation privée et publique, de l’investissement non-résidentiel et des stocks se sont avérés parmi les nouvelles positives du rapport. En revanche, l’investissement résidentiel ainsi que le commerce extérieur ont apporté des contributions négatives à la croissance pour le trimestre.

La consommation des ménages a augmenté de 2,6% T/T ra, malgré la disparition progressive des effets du stimulus fiscal, probablement grâce à un léger redémarrage du marché de l’emploi. Les achats de biens de consommation durables sont restés solides en augmentant de 6,1% T/T, ra au T3 (contre 6,8% au T2), alors que les dépenses sur les biens non durables ont ralenti de 1,9% au T2 à 1,3% au T3. La consommation de services a augmenté d’une manière prononcée (de 2,4% contre 1,6% au T2). Etant donné la disparition graduelle des effets du stimulus et la reprise limitée du marché du travail, nous anticipons un ralentissement de la hausse des dépenses de consommation au T4 2010 et début 2011.

L’investissement productif ainsi que la variation des stocks se sont avérés également favorables au T3, même si la contribution de l’investissement en équipement et logiciels a diminué par rapport à celle du T2. Cependant, l’investissement en capacités reste assez limité, les entreprises préférant acheminer le « cash » accumulé dans le remplacement du capital existant, en technologies (surtout en logiciels et équipement de communication), ainsi qu’en transport (camions et autres véhicules). La contribution des stocks devrait s’estomper au cours des prochains trimestres. La hausse marquée de l’investissement en structures résulte pour sa part d’un fort impact positif du secteur de l’énergie (pétrolier, minier, centrales électriques), alors que la plupart des autres industries continue de baisser. Par conséquent, ce rebond nous semble plutôt temporaire et ne devrait donc pas durer au delà du trimestre.

Le recul de l’investissement résidentiel était prévisible et a reflété un nouvel effondrement du marché immobilier au cours de l’été après l’expiration du crédit d’impôt pour les primo-accédants en juin. Au fur et à mesure du redressement du marché du travail et des finances des ménages, une amélioration tendancielle du secteur devrait se poursuivre. Cependant, cette reprise ne devrait pas s’avérer dynamique en raison des problèmes structurels.

Par conséquent, nous anticipons la poursuite d’une faible reprise de l’économie à horizon 2011-2012, qui devrait être toujours freiné par la demande intérieure anémique (due au désendettement).

De plus, après les élections de mi-mandat et une nouvelle répartition du pouvoir législatif (avec le Sénat contrôlé par les Démocrates et la Chambre des Représentants – par les Républicains) l’administration Obama fait face au blocage politique du Congrès ce qui ne lui laisse pas de marge de manœuvre pour le passage des nouvelles mesures de soutien, contre lesquelles les Républicains sont opposés. Dans ce contexte, la politique monétaire devrait rester extrêmement accommodante. Pour preuve, la dernière réunion du FOMC (du 2-3 novembre) a débouché sur la mise en place d’un nouveau stimulus monétaire (QE 2) qui, cumulé avec la politique de réinvestissement des recettes des MBS, représentera une somme de 850 à 900 Md$ à horizon de la fin du S1 2011 (soit environ 110 Md$ par mois). Pour se donner une idée de l’ampleur de cette mesure, la Fed de New-York estime qu’un achat de l’ordre de 500 Md$ serait équivalent à une baisse des taux directeurs comprise entre 1⁄2 et 3⁄4 de point. On peut néanmoins douter que ce levier suffise à lui seul à redresser la situation.

L’impact du marché du travail sur le marché immobilier est connu : toutes choses égales par ailleurs, en l’absence de source stable de revenu salarial, les ménages ne peuvent plus financer le paiement de leur dette hypothécaire (delinquency) et au bout de 90 jours de non-paiement le prêteur lance la procédure de défaut (foreclosure), qui dans la plupart des cas se termine par la saisie de la maison. Cette tendance s’est renforcée pendant la crise avec une hausse sans précédent du taux de chômage à 10% (actuellement à 9,6%) et une forte augmentation du taux de défaut hypothécaire.

Cependant, un nouveau phénomène a été également observé depuis le début de la crise : la faible liquidité du marché immobilier a entrainé également une baisse significative de flexibilité du marché du travail en réduisant la mobilité géographique de la population active.

En effet, dans la plupart des états, les saisies de maisons ont créé un excès d’offre sur le marché immobilier. En l’absence d’une reprise de la demande de la part des acheteurs, le temps de vente d’une maison a fortement augmenté de 4-5 à 10-12 mois, traduisant l’incapacité de certains propriétaires de vendre leurs biens, ce qui a diminué la possibilité de déménagement vers un autre état pour occuper un nouvel emploi.

De plus, avec une explosion du nombre de ménages en situation « d’equity » négatif 1 (i.e. la valeur du prêt hypothécaire excède la valeur du bien immobilier) vendre sa maison pour aller occuper un poste dans un autre Etat implique pour les ménages le devoir de couvrir la différence entre la valeur de la dette et du bien immobilier ce qui est difficilement envisageable dans le contexte actuel.

Par conséquent, cette baisse de la mobilité géographique s’est reflétée par un ralentissement important des migrations internes surtout dans les états les plus touchés par la crise immobilière dont le taux de chômage reste plus élevé que la moyenne nationale.

Sur le long terme, la tendance baissière du taux de migrations internes s’explique principalement par le vieillissement de la population et par l’effet statistique de « dilution » (le taux de croissance de la population est plus rapide que celui des migrations). Cependant, la récente rupture trouve sa principale explication dans la perte de flexibilité du marché immobilier.

Redressement freiné du marché du travail

En conséquence de cette tendance et en raison d’une hausse importante des aides au chômage (allocations prolongées, assurance santé subventionnée), la durée moyenne du chômage a fortement augmenté passant de 7,7 avant la crise à 25 semaines en juillet 2010.

Le pourcentage de personnes sans emploi qui sont au chômage depuis 27 semaines a donc augmenté pour atteindre 46% au cours de la crise (mais a légèrement baissé vers 42% au T3 2010). En partie, ce phénomène est dû à une baisse importante des flux migratoires internes (corrélation avec le nombre des personnes au chômage depuis 27 semaines et plus s’élève à -0,66).

Il faut toutefois noter qu’il existe un autre facteur important qui explique la hausse du chômage structurel : l’adéquation entre les secteurs créateurs d’emplois et la qualification des personnes au chômage. Le modèle de croissance d’avant crise reposait sur une activité soutenue dans certains secteurs (construction, finance principalement) qui ont Aujourd’hui, au regard des changements structurels post crise de l’économie, ces secteurs ne sont plus à même de soutenir le marché du travail et laissent ainsi un nombre important de travailleurs avec des compétences inadaptées pour répondre à une nouvelle offre d’emploi dans d’autres secteurs (services d’aide à la personne par exemple).

Ce « mismatch » important entre la demande et l’offre d’emploi ralentit significativement la vitesse d’ajustement du marché du travail. En effet, le marché de l’emploi, en général assez réactif, reste cette fois inerte face à l’ouverture de nouveaux postes dans l’économie.

Le cercle vicieux prix-saisies

Même si en théorie la situation « d’equity » négatif est un facteur précurseur des saisies, la relation n’est pas automatique et une grande part des ménages seront à même d’honorer leur emprunt hypothécaire. Toutefois, un sondage du Pew Research Center indique que 38% des propriétaires des maisons au chômage sont en situation «d’equity » négatif contre 20% pour les propriétaires avec un emploi (même si l’échantillon de ce sondage est relativement faible il reflète une tendance).

L’atonie des prix immobiliers et la forte proportion des ménages au chômage dans les ménages en situation « d’equity » négatif suggèrent que de nombreux défauts (faillite personnelle ou défaut stratégique 2 ) pourraient encore alimenter les stocks de maisons à la revente, qui lui-même engendre des pressions baissières sur les prix. Ainsi, cette boucle autoentretenue devrait perdurer en marge du désendettent des agents.

Pour tenter d’enrayer ce mécanisme, le gouvernement a créé début 2009 un programme destiné à soutenir le marché immobilier (Making Home Affordable) avec une série de sous-programmes pour tenter de cibler au mieux les difficultés des particuliers. Parmi ces sous-programmes, en février 2010, l’Etat a mis en place une aide aux Etats les plus touchés (hardest hit fund) avec les fonds disponibles du TARP. Cependant, les nouvelles sommes engagées (2 Mds$ pour les 18 Etats les plus touchés) nous semblent insuffisantes, d’autant plus que le problème d’information qui empêche les fonds de discriminer clairement entre ménages solvables et non solvables est important. Les actions politiques pourraient donc marginalement atténuer la situation, sans pour autant résoudre le problème de fond, qui reste l’assainissement du bilan des ménages.

Conclusion

La pire récession depuis la grande dépression des années 30 s’est terminée en juillet 2009 et pourtant elle laisse derrière elle d’importantes difficultés structurelles que l’économie américaine devra surmonter dans les années à venir. Parmi elles, on observe des mécanismes auto entretenus entre le marché du travail et le marché immobilier. L’absence de liquidité de ce dernier freine la mobilité des ménages et renforce l’apathie de la reprise du marché du travail. En corolaire, la situation financière des ménages s’améliore laborieusement et limite la reprise du secteur immobilier. Face à cette situation, les actions discrétionnaires ont un impact limité et au final le long processus de désendettement des ménages restera le cœur du problème pour les années à venir.

NOTES

  1. Au T2 2010, environ 11 millions de propriétés résidentielles (soit 23%) se trouvent en situation « d’equity » négatif.
  2. Au T2 2010, environ 5 millions d’emprunteurs sont dans une situation « d’equity » négative où la valeur de leur emprunt dépasse de 25% la valeur du prêt à rembourser, au-delà de ce seuil il est généralement admis que la propension à faire défaut est plus forte. De plus, toujours selon le Pew Research Center, prêt de 20% des ménages trouvent acceptable de faire défaut sur leur emprunt hypothécaire.

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