Rebond du marché et concentration sur les fondamentaux

par Jens Moestrup Rasmussen, Chief Portfolio Manager chez Sparinvest

Contrastant avec une fin 2011 très médiocre, le premier trimestre 2012 a été le témoin d’un rebond massif de nos fonds et de notre approche d’investissement en général. Nos actions européennes et les titres les plus sensibles aux cycles économiques se sont particulièrement bien comportés au premier trimestre.

Aussi les investisseurs « value » fondamentaux comme nous ont-ils connu l’un des meilleurs débuts d’année depuis longtemps et la performance a opéré un revirement complet par rapport à l’année passée. Les actions considérées comme « value » selon les mesures classiques comme les ratios cours/valeur comptable, cours/bénéfices, etc. ont rebondi depuis des niveaux très bas et ont pour ainsi dire recommencé à fonctionner en 2012.

Nous sommes assez fortement exposés aux segments cycliques tels que l’industrie ou la consommation discrétionnaire, qui ont traversé une période difficile fin 2011, surtout en Europe. Mais la situation était alors très différente de celle qui régnait pendant la crise de 2008-2009. A l’époque, un effondrement soudain de la demande avait entraîné une contraction des revenus, les usines se retrouvant avec d’importantes capacités excédentaires, et de nombreuses sociétés avaient vu leurs bénéfices chuter en territoire négatif. Ces évènements n’ont pas eu lieu en 2011.

La différence, c’est que la plupart des entreprises sont en bien meilleure forme, plus rentables et financièrement bien plus solides qu’elles ne l’étaient en 2008-2009, alors que leurs produits bénéficient toujours d’une certaine demande. Nous estimons que les évaluations faibles actuelles sont le résultat d’une réaction excessive des marchés pour des sociétés dont les bilans sont sains et la capacité bénéficiaire solide sur l’ensemble du cycle. Effectivement, le début d’année 2012 a été vigoureux avec un très fort rebond des actions cycliques qui n’est, selon nous, pas terminé si l’on en juge par la faiblesse des valorisations de nos positions.

« Peur sur l’euro – volume II »

Il ne fait aucun doute que le marché s’est reconcentré sur les fondamentaux en ce début d’année, un processus positif qui n’en est encore qu’à ses débuts. Les craintes liées à l’euro demeurent très présentes. Nous assistons ces dernières semaines à « Peur sur l’Euro – volume II » avec des ventes de panique. L’Espagne est maintenant dans la ligne de mire et les travaux sont donc loin d’être terminés en Europe. Le continent subira des pressions constantes dans les années à venir, qui le forceront à réduire ses déficits et à adopter de nouvelles réformes de types généralement très impopulaires, ce qui mettra les gouvernements élus de manière démocratique dans des situations très difficiles. L’Italie, par exemple, a fait les frais de ce phénomène et est désormais dirigée par un chef de gouvernement non élu. L’Europe a fait des progrès, mais d’aucuns affirmeront que les changements interviennent à un rythme très lent. Quoi qu’il en soit, les dirigeants européens ont trouvé des solutions visant à remédier aux problèmes de la région. A l’avenir, leur fermeté sera une composante essentielle de l’atténuation potentielle des craintes liées à l’euro.

Il ne fait aucun doute que la crise économique affecte l’Europe dans son ensemble, mais nous constatons également des différences régionales considérables. Le sud du continent est particulièrement en souffrance. De sérieux problèmes devront y être réglés dans les années à venir.

La peur d’un risque systémique dans la région semble difficile à atténuer. Mais en ce qui concerne nos portefeuilles, nos actions européennes se sont très bien comportées au premier trimestre 2012, notre fonds European Value ayant progressé de 18%, soit 10% de plus que l’indice MSCI Europe. Dans notre dernière lettre, nous affirmions qu’une grave récession était d’ores et déjà anticipée, surtout en ce qui concerne de nombreux titres européens. C’est toujours le cas, surtout depuis la dernière chute des bourses liée aux craintes portant sur l’Espagne. L’Europe a donc du pain sur la planche. Malgré cela, il ne faut pas oublier que nous investissons dans des sociétés financièrement solides qui survivront grâce à leur forte capacité bénéficiaire à long terme.

Comme nous l’avons affirmé à maintes reprises, il n’y aura pas cette fois-ci de nouvelle reprise due aux injections de fonds des gouvernements (contrairement à 2009). En revanche, les sociétés plus robustes seront en mesure d’exploiter leur vigueur et tenteront de se consolider en éliminant la concurrence. Les forts deviendront de plus en plus forts et les faibles de plus en plus faibles. Les acheteurs stratégiques saisiront les opportunités de fusions-acquisitions pour compenser le repli de la croissance organique et se préparer à de meilleurs jours. Nous ne sommes pour autant pas exagérément optimistes et notre style d’investissement ne consiste pas à identifier les signes d’un retournement du marché. Nous préférons nous concentrer sur les qualités fondamentales et les évaluations de nos investissements à long terme.

Comptabilité

Nous avons beaucoup écrit dans le passé sur l’importance du business model et de la solidité du bilan ainsi que des effets potentiels des changements des règles comptables sur la valeur globale des sociétés. Notre tâche quotidienne consiste à évaluer la valeur intrinsèque des entreprises. Une telle analyse inclut un examen complet des états financiers d’une société, y compris de son bilan, de son compte de résultat et de ses flux de trésorerie. Plusieurs éléments d’un rapport annuel font depuis toujours l’objet d’une analyse minutieuse chez Sparinvest et l’un d’entre eux est le passif social de l’entreprise, c’est-à-dire l’ensemble des engagements sociaux d’un employeur vis-à-vis de ses salariés provisionnés au bilan (avantages du personnel, retraite, prévoyance etc.).

La question des régimes de retraite sembler inintéressante pour un investisseur à court terme mais peut avoir un impact très immédiat sur une entreprise, même s’il s’agit d’engagements à long terme. Nous en avons toujours tenu compte, aux côtés de tous les autres risques d’investissement. Si nombre d’analystes n’accordaient dans le passé que peu d’attention à cet aspect, la comptabilisation des engagements de retraite les intéresse de plus en plus ces derniers temps. Pourquoi ? Parce qu’une modification des normes comptables est sur le point de rendre les prestations de retraite extrêmement concrète pour les sociétés et leurs investisseurs.

La comptabilité appliquée aux pensions de retraite est très complexe et s’accompagne de plusieurs défis, qui ont été débattus au fil des ans. En 2011, la norme IAS 19 (International Accounting Standard) concernant les avantages des employés qui s’applique aux sociétés européennes, a été amendée. Les changements sont allés d’aspects fondamentaux comme la suppression du « mécanisme de corridor » très discuté et le concept de rendements escomptés sur les actifs du régime à de simples clarifications et reformulations.

Nous vous épargnerons les détails et nous concentrerons sur le « mécanisme de corridor », en expliquant pourquoi il fait aujourd’hui l’objet de toutes les attentions. Il se réfère au concept de gains et pertes actuariels, c’est-à-dire la différence entre les estimations et les résultats effectivement obtenus en relation avec les hausses des salaires, les mandats des employés, les taux de rendement et les taux de décote sur les obligations du régime dans le cadre du plan de retraire d’une société.

Jusqu’ici, les sociétés soumises aux normes IFRS avaient la possibilité de reporter l’effet de ces gains et pertes actuariels sur une très longue période, ce qui permettait à un grand nombre d’entre elles d’avoir des régimes de retraite gravement sous-financés sans que ce phénomène ne ressorte des états financiers, à l’exception d’un petit paragraphe dans les notes. Cette situation est en train de changer. Pour les exercices comptables commençant le 1er janvier 2013 ou après, les mécanismes de report antérieurs sont supprimés, exposant les sociétés à un plein impact des gains et pertes actuariels à mesure qu’ils surviennent et impliquant une comptabilisation intégrale des excédents et déficits liés aux retraites dans le bilan.

Ce changement aura un impact majeur. Les niveaux d’endettement changeront et les sociétés qui semblaient solides deviendront plus fragiles. Certaines d’entre elles connaîtront des problèmes liés aux clauses de prêt (covenants) ; d’autres recourront en dernier ressort à une augmentation de capital.

Pour des investisseurs fondamentaux comme nous, la modification ne change pas réellement la valeur intrinsèque d’une société. Elle met l’accent cependant sur certains défis que vont devoir affronter les investisseurs à court terme et qui pourraient se traduire par des rendements excédentaires pour les investisseurs plus patients. Naturellement, il faudrait pour cela que les marchés deviennent plus rationnels et se concentrent davantage sur les fondamentaux.

Evaluations

En attendant, nos portefeuilles affichent toujours des niveaux de valorisation extrêmement faibles. Prenons le Sparinvest Global Value par exemple : si l’on agrège les données de chaque position individuelle pour que le fonds ait les caractéristiques d’une seule et même action, on obtient un ratio cours / valeur comptable de 0,89 fois et un ratio valeur d’entreprise / EBITDA de 4,5 fois seulement. Pour l’indice MSCI World, la même méthode donne un ratio cours / valeur comptable de 1,81 fois et un ratio valeur d’entreprise / EBITDA de 7,5 fois.

Conclusion

L’évolution des marchés financiers au cours du 1er trimestre 2012 a été davantage été dictée par les fondamentaux, ce qui est favorable à notre style d’investissement. Mais cette tendance général demeure très fragile et les marchés pourraient aisément se laisser à nouveau porter par le sentiment si résolution de la crise de la dette en Europe rencontre des obstacles, comme récemment en Espagne.

Pour la raison précitée, notre performance a été bonne au premier trimestre 2012. L’investissement « value » fondamental n’est en aucun cas mort, mais la conviction du marché reste pour l’heure faible, et pendant de telles périodes, il est essentiel de se concentrer sur les éléments de base et de se rappeler qu’une fois qu’on investit dans des actions, on est inévitablement exposé au risque de marché. En revanche, le risque lié à chaque achat d’une action individuelle peut être minimisé grâce à une analyse minutieuse. C’est pourquoi, nous appliquons comme toujours rigoureusement notre philosophie et notre processus d’investissement. Nous recherchons des sociétés qui bénéficient de bilans solides et d’une trésorerie saine. Nous formulons des hypothèses prudentes et ne nous contentons pas d’étudier les résultats de ce trimestre ou de cette année, mais analysons les bénéfices sur l’ensemble d’un cycle d’affaires. Sur ces bases, nous établissons une valeur intrinsèque conservatrice pour la société : une valeur qui s’appliquerait si la société était négociée d’un seul tenant dans le cadre d’une fusion ou d’une acquisition. Si la valeur de marché est bien inférieure à cette valeur intrinsèque, nous investissons.

L’écart entre les performances des marchés boursiers américain et européen constaté en 2011 ne s’est pas comblé en 2012. Sur la base des PER Shiller, les actions du noyau dur de la zone euro (France et Allemagne) et même du Japon s’échangent toujours à des niveaux historiquement faibles, surtout par rapport aux titres américains.