Chine : doit-on s’inquiéter du ralentissement de la croissance ?

par Sophie Wieviorka, Economiste Asie (hors Japon) au Crédit Agricole

Les nuages semblent s’accumuler dans le ciel chinois, pas sous la forme d’un « cygne noir » (cet événement peu probable mais aux conséquences profondes et exceptionnelles) mais plutôt d’un « rhinocéros gris » (ce danger évident mais pourtant ignoré).

Ces « rhinocéros gris » – car il y en a plusieurs – sont tous liés à la nature du modèle de croissance chinois et à son évolution, subie ou pilotée ‒ une question de point de vue.

Trois événements concomitants se déploient actuellement en Chine : un ralentissement de la croissance qui concerne cette fois-ci tant l’offre (production industrielle) que la demande (ventes au détail), un resserrement réglementaire touchant en particulier le secteur de la tech, le déploiement d’un cadre de politique publique (monétaire et budgétaire) moins expansionniste, visant notamment à modérer l’accélération de l’endettement des entreprises.

Premier point : le ralentissement de l’activité

Nous avons plusieurs fois mentionné la difficulté, en période de crise, de définir le « new normal » en termes d’activité, et de réapprendre à raisonner avant tout en termes de niveaux plutôt que de trajectoire de croissance. Au niveau de la production industrielle, le niveau pré-crise a largement été rattrapé, puis dépassé et le ralentissement résulte donc plus largement d’une normalisation de l’activité après une période de rattrapage. La production industrielle a ainsi progressé de 5,3% en août, quand le consensus attendait 5,8%, un décalage pouvant aussi s’expliquer par certains problèmes logistiques allant de la pénurie de certains composants et matériaux à la fermeture temporaire de certains lieux de production pour des motifs sanitaires, en passant par le blocage de certains ports.

S’il est vrai que les indices PMI semblent montrer que ce ralentissement devrait se poursuivre jusqu’à la fin de l’année, il est aussi utile de rappeler que les exportations de produits chinois ont atteint des niveaux historiques ces derniers mois, notamment pour les biens électroniques et le matériel médical.

Le bilan côté demande est beaucoup moins optimiste, puisque les ventes au détail ont à peine retrouvé leur niveau moyen de 2019, et ce alors que la Chine a réussi à dégager de la croissance en 2020 et que le rattrapage des deux premiers trimestres de 2021 était très soutenu. Ce qui interroge, c’est aussi le décalage très net vis-à-vis du consensus, qui voyait une hausse des ventes au détail de 7% en août alors qu’elle n’a été que de 2,5%. Bien sûr, il s’explique en partie par la remise en place de certaines restrictions liées à la politique de « zéro Covid » des autorités, mais ce contexte était déjà pris en compte dans les anticipations.

Ce profil de reprise tranche enfin fortement avec celui des autres économies, émergentes ou développées, dans lesquelles le rattrapage de la consommation a été bien plus rapide, même si des comportements de hausse de l’épargne de précaution des ménages ont aussi pu être observés.

Deuxième et troisième points : renforcement réglementaire et politiques publiques plus restrictives

Le renforcement du cadre réglementaire a déjà fait l’objet d’une analyse dédiée (cf. Chine : tour de vis réglementaire dans le secteur privé). À la fin de cet article, nous indiquions d’ailleurs que le secteur immobilier pourrait à très court terme se retrouver fragilisé, étant lui aussi considéré comme un symbole des excès du capitalisme. Particulièrement endetté en Chine et considéré comme trop spéculatif par Xi Jinping, le besoin de régulation était régulièrement mis en avant sur ce marché où les nouvelles constructions avaient progressé bien plus vite que les surfaces vendues.

Le cas d’Evergrande, plus gros promoteur immobilier chinois et très lourdement endetté (260 Mds d’euros), est à ce titre symptomatique. Il incarne également le virage opéré par la Chine depuis fin 2020 en termes de politique publique, et traduit les inquiétudes du régulateur face à l’endettement des entreprises.

Jusqu’ici, les alertes venaient cependant principalement des entreprises d’État (SOEs), ces firmes publiques ou quasi publiques, parfois inefficaces, souvent très endettées, auprès desquelles le régulateur opérait un « nettoyage », phénomène devenu de plus en plus régulier. La Banque centrale cherchait également à modérer l’accélération nette de l’endettement via le contrôle de la production de crédit, la crise du Covid ayant entraîné une hausse de la dette domestique (hors dette de l’État central) équivalente à plus de 20 points de PIB en 2020.

Les entreprises s’étaient ainsi engagées à respecter trois lignes rouges en matière de ratios financiers afin de conserver leur accès au marché obligataire, tandis que les banques se voyaient imposer des limites en termes de production de crédit, ainsi que sur leur portefeuille (au maximum 40% des encours dans des crédits immobiliers). Peu à peu, des mesures étaient mises en place pour éviter la surchauffe et parer à une politique trop binaire d’ouverture/fermeture du robinet à liquidités.

Les difficultés d’Evergrande interviennent donc dans un cadre doublement plus restrictif, et traduisent cette montée du risque réglementaire et de liquidité. Après avoir sauvé de justesse Huarong, cette structure de défaisance devenue gestionnaire d’actifs, en proie à de graves difficultés, et finalement jugée « too big to fail », les autorités chinoises ont indiqué que rien ne serait fait pour Evergrande.

Notre opinion – Les nouvelles routes de la croissance ? 

En mars dernier, lors des deux sessions parlementaires, le ton avait été donné : le 14e plan quinquennal serait synonyme d’une croissance plus qualitative, plus égalitaire aussi, au service de cette fameuse « prospérité commune » qui envahit les discours des officiels chinois depuis juillet. Ces objectifs avaient été rappelés lors des célébrations des cent ans du Parti communiste.

Il y aurait donc une part anticipée, presque stratégique – n’oublions jamais que la Chine reste une économie administrée – dans le ralentissement observé de la croissance chinoise, annoncée par cette cible officielle inhabituellement faible et floue (une croissance « au-dessus de 6% » pour l’année 2021).

Cela est sûrement vrai pour les parties réglementaire, budgétaire et monétaire qui répondent aux nouvelles orientations stratégiques, à savoir : 1) la reprise en main de certains secteurs (en particulier fourniture de services aux ménages via des plateformes numériques) dominés par des entreprises privées, dont la taille critique et l’absence de concurrent commençaient à menacer la suprématie du PCC ; 2) le désendettement progressif des entreprises, afin de rassurer de potentiels investisseurs étrangers lors de l’ouverture (toujours progressive) de ces marchés obligataires ; 3) la baisse progressive de la dépendance vis-à-vis du commerce extérieur et la réorientation vers une croissance plus domestique.

Ces trois points justifieraient effectivement un ralentissement tant de l’investissement public que privé, afin d’assainir les entreprises et de réorienter les flux vers les secteurs stratégiques (intelligence artificielle, semi-conducteurs, nano et biotechnologies), en d’autres termes, de faire moins de quantité et plus de qualité.

Cependant, ils ne justifient en aucun cas le ralentissement de la demande privée, traduisant la méfiance des consommateurs, dont la participation à l’économie est pourtant le fer de lance du nouveau modèle de croissance chinois. C’est à ce titre que ce ralentissement – plus subi que planifié – pose question, sans que les autorités ne semblent pour l’instant avoir de réponse publique à apporter.

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