Retour sur les élections fédérales allemandes : une constellation multipartite

par Dr. Hans-Jörg Naumer, Directeur Global Capital Markets & Thematic Research chez AllianzGI

À l’issue des élections au Bundestag, l’Allemagne semble se diriger vers une coalition de trois partis. Sur la base de la part des votes, il existe un certain nombre de constellations possibles, nommées d’après les couleurs traditionnelles de chaque parti : la coalition « feux tricolores » :  SPD – Verts (Grüne) – FDP (rouge-vert-jaune) ; la coalition « Jamaïque » : CDU/CSU-Verts-FDP (noir-vert-jaune) ; la grande coalition : CDU/CSU-SPD (noir – rouge).

  • « Feux tricolores » : rouge-vert-jaune

Dans une comparaison de toutes les constellations, la coalition du SPD, des Verts et des Libéraux aurait la majorité la plus confortable avec une majorité de 416 sièges sur 735. Une telle alliance ne serait cependant pas facile. Il est vrai que le SPD et les Verts ont de grands points communs en matière de politique économique, mais l’interventionnisme de l’État et la volonté d’une plus grande redistribution s’opposent au libéralisme économique du FDP, qui s’appuie fortement sur les réductions d’impôts.

  • La grande coalition : CDU/CSU-SPD

Une grande coalition (selon les dernières projections, elle aurait 402 sièges sur 735) a la plus faible probabilité. On ne pourrait s’y attendre que si aucune majorité ne se dégageait autrement et que le président fédéral, comme déjà après les élections de 2017, devait insister pour que les partis trouvent un accord afin d’éviter de nouvelles élections. Cependant, le fait est que la grande coalition s’est déchirée, et la formation d’un gouvernement serait d’autant plus difficile que les deux candidats à la chancellerie revendiquent la fonction de chancelier.

  • « Jamaïque » : noir-vert-jaune (CDU/CSU-Verts-FDP)

C’est l’arrangement le plus souhaitable du point de vue des partis conservateurs (CDU/CSU) et des Libéraux Démocrates (FDP). Le candidat à la chancellerie de la CDU, Armin Laschet, gouverne déjà avec le FDP dans le Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie et a exprimé à plusieurs reprises sa préférence pour ce modèle de coalition. De même, les Libéraux seront probablement aussi favorables à ce type d’arrangement. Par le passé, les Conservateurs et les Verts ont également envisagé l’idée de travailler ensemble dans le cadre d’une coalition dite « noire-verte », mais cette possibilité n’est pas envisagée par la majorité des Verts.

Les deux principaux candidats des Verts (Annalena Baerbock) et du FDP (Christian Lindner) ont déjà annoncé qu’ils souhaitaient s’entendre avant de recevoir une invitation à des discussions de coalition de la part d’Olaf Scholz (SPD) et d’Armin (CDU) respectivement. Il est possible qu’ils parviennent à un accord, principalement sur les questions de protection du climat et de politique fiscale. Cela pourrait faciliter la Jamaïque.

Cette coalition pourrait être représentée de manière programmatique, par exemple en relevant l’objectif national en matière de CO2 et en avançant les augmentations du prix du CO2 de 2025 à 2023, ainsi qu’en faisant des concessions aux Verts sur les taxes.

Marchés d’actions

Les marchés politiques ont la vie courte. Est-ce également le cas cette fois-ci ? (voir figure 1).

Si l’on analyse les performances du DAX avant et après les élections fédérales allemandes depuis sa création, on constate qu’à l’exception peut-être des élections des années 1980, l’indice n’a guère eu de vie propre. Trois mois avant et après les élections, les performances ne se sont guère écartées des indices MSCI Europe ou MSCI World. L’économie, la politique monétaire et le sentiment global sur les marchés des capitaux seront probablement les facteurs dominants à moyen et long terme pour cette élection également.

Les marchés boursiers allemands et internationaux ont accordé peu d’attention aux élections au Bundestag. Cela n’a rien d’étonnant, car les enjeux sont essentiellement d’ordre national. Il ne faut donc guère s’attendre à des effets plus importants, voire durables, au niveau international. D’autant plus qu’il ne peut y avoir de coalition entre le SPD, les Verts et « Die Linke ». Cette dernière aurait fait courir le risque d’une remise en cause de l’appartenance de la République fédérale à l’OTAN.

Il est peu probable qu’une longue phase de formation de coalition reste entièrement sans conséquences sur le marché allemand. Alors que l’encastrement géostratégique de l’Allemagne comme facteur d’incertitude supplémentaire n’est pas à débattre, puisqu’une coalition rouge-verte-rouge ne dispose pas de majorité, un facteur d’incertitude plus important, qui aurait également eu une importance internationale, est donc exclu.

Le climat

Pour tous les partis, le climat figure en tête de l’ordre du jour et la question elle-même n’est pas nouvelle. L’accord de Paris sur le climat et le « Green Deal » de l’UE ont tous deux étés négociés pendant le mandat du gouvernement d’Angela Merkel. L’Allemagne a réussi à réduire ses émissions de CO2 de 37 % par rapport à l’année de référence 1990 et l’intensité des émissions du pays, qui correspond aux émissions de carbone par unité de produit intérieur brut, est tombée à un cinquième depuis 1960.

En ce qui concerne le climat, la question est de savoir quelle approche adopter pour résoudre le problème de l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre. L’Allemagne, qui détient une part de marché mondiale de 14 % dans le domaine des technologies environnementales, est bien placée pour devenir le premier exportateur international de produits sans carbone. Pour y parvenir, il faudra toutefois créer les conditions permettant de réaliser les investissements nécessaires.

Alors que la CDU et le SPD veulent s’en tenir à la feuille de route existante, à savoir atteindre la neutralité carbone d’ici 2045, les Verts veulent atteindre cet objectif plus tôt. Les Verts souhaitent également que l’impact de chaque législation sur le changement climatique soit examiné avant son entrée en vigueur. En outre, ils prévoient la création d’un nouveau Ministère du Climat doté d’un droit de veto sur tous les projets de loi.

Si, pour la CDU, le prix du CO2 est essentiel pour atteindre les objectifs climatiques, le SPD et les Verts ne le considèrent que comme un outil parmi d’autres. La CDU souhaite la mise en place d’un « système européen complet d’échange de quotas d’émission avec un système de prix uniforme intégré dans un cadre mondial ». Sur ce point, il est évident que les Conservateurs sont fortement favorables à des solutions de marché libre tandis que les deux autres partis prônent une politique d’intervention réglementaire accrue. A cet égard, le candidat à la chancellerie de la CDU/CSU, Armin Laschet, insiste fréquemment sur l’importance de faire de l’Allemagne une « centrale industrielle zéro carbone ».

Les secteurs dont l’impact sur le climat est particulièrement important seront très attentifs à certaines décisions, par exemple celle de déclasser plus tôt que prévu les centrales à charbon.


Europe

En ce qui concerne les affaires européennes, Olaf Scholz (SPD) se positionne en faveur d’une union fiscale. Il veut assouplir les critères de Maastricht. Ses projets prévoient également que l’UE dispose de ses propres ressources financières, qui seraient collectées, par exemple, en taxant les grandes entreprises numériques, en imposant une taxe sur le CO2 aux marchandises importées et en générant de nouvelles recettes grâce aux échanges de droits d’émission. Le manifeste du SPD propose également une approche européenne des allocations de chômage. Sous la direction d’Armin Laschet (CDU), ces projets n’auraient aucune chance d’être réalisés.


Politique fiscale

Un gouvernement influencé par la CDU / CSU-FDP sera plus attentif au respect du frein à l’endettement. Mais même dans une coalition de feux tricolores, le FDP essaiera probablement d’empêcher un financement plus important de la dette (« déficit budgétaire »).

Alors que la CDU / CSU et le FDP refusent d’augmenter les impôts, le SPD et les Verts ont à l’ordre du jour des augmentations d’impôts et de nouvelles taxes supplémentaires. Avec la participation du FDP au gouvernement, l’introduction de nouvelles taxes et d’augmentations d’impôts devrait être rendue beaucoup plus difficile.