Difficile reprise économique dans le Golfe

par Pascal Devaux, économiste chez BNP Paribas

Les pays du Conseil de Coopération du Golfe (CCG)1 ont été relativement peu touchés par les conséquences de la crise économique et financière globale survenue à la fin de l’année 2008. En raison de leur faible intégration aux marchés financiers mondiaux, les secteurs bancaires des pays du Golfe n’ont été que marginalement affectés par la crise. Par ailleurs, les prix du pétrole – hormis un creux passager en 2008 – sont restés à des niveaux relativement élevés2.

Cependant, on constate que l’activité économique peine à repartir en 2010, notamment dans le secteur privé, et ce malgré les bonnes perspectives du marché pétrolier. Il semble que les divers évènements de crédit négatifs survenus en 2008 et 20093 continuent de peser sur le climat des affaires dans la région et rendent les acteurs économiques prudents. Le crédit bancaire domestique, moteur de la croissance des années 2004-08, reste anémique. De même, les banques internationales ont réduit de plus de moitié leurs nouveaux engagements dans la région4.

Par ailleurs, les marchés des capitaux restent trop peu développés pour prendre le relais de l’intermédiation bancaire. Si cette situation devait perdurer, c’est l’objectif de croissance et de diversification économique (basé sur le secteur privé non pétrolier) qui pourrait être remis en question. Après avoir analysé les éléments susceptibles de ralentir la croissance des différents pays du CCG, notamment la dynamique du crédit bancaire, nous examinerons la situation des différents secteurs bancaires et les contraintes affectant l’offre de crédit.

Timide reprise de l’activité économique

L’activité économique tarde à repartir dans le Golfe. Le faible dynamisme du secteur privé en 2010 est un frein au retour d’une croissance forte.

– Stagnation du crédit au secteur privé

Dans leur ensemble, les pays du GCC ont enregistré une croissance quasi nulle en 2009 (+0,3% en termes réels). La baisse de la production pétrolière (due à la réduction de plus de 10% des quotas de production décidée par l’OPEP entre fin 2008 et février 2009) et, surtout, l’essoufflement de l’activité dans le secteur privé non pétrolier sont les principales causes de ce ralentissement.

Contrairement à ce que l’on observe dans la majorité des pays émergents (+6% de croissance réelle du PIB en rythme annuel en juin 2010), les pays du Golfe n’ont pas entamé de reprise économique en 2010. Hors Qatar 5 , la croissance réelle du PIB ne devrait pas dépasser 3% en 2010 sur l’ensemble de la zone. Le secteur privé a été le principal moteur de la croissance à partir de 2004, notamment dans les secteurs de la construction et des services. Depuis fin 2008, le fort ralentissement du crédit, dans un environnement de prudence face au risque de la part des banques, et la baisse d’activité, voire l’effondrement dans certains pays, du marché immobilier ont été de puissants freins à l’activité économique. Ainsi la consommation privée ne parvient pas à repartir par manque de crédit disponible, et l’investissement des entreprises reste contraint par le processus de désendettement en cours et, plus généralement, par les incertitudes pesant sur le potentiel à moyen terme des économies du CCG.

Après quatre années de croissance de plus de 30% en moyenne entre 2004 et 2008, le crédit au secteur privé a enregistré une augmentation de 4% en 2009 et de 2% en rythme annuel pendant le premier semestre 2010 (contre 14% pour l’ensemble des pays émergents). D’une part, le ralentissement économique, la hausse du taux de chômage et la priorité donnée au désendettement ont réduit la demande de crédit de la part des ménages et des entreprises. D’autre part, la succession d’évènements de crédit négatifs dans certains pays du Golfe a notablement assombri le climat des affaires dans la région et réduit l’appétit des investisseurs locaux et internationaux pour la prise de risque dans le Golfe. Symbole de la frilosité accrue du secteur privé, la valeur totale des projets d’investissement attribués au secteur privé a chuté de pratiquement 70% entre 2008 et 2009, tandis que les gouvernements doublaient leur participation financière à ces projets. Les banques locales et internationales privilégient actuellement les contreparties publiques (projets d’infrastructure avec garantie publique, émission obligataire souveraine) au détriment du secteur privé, et notamment des PME.

– Modération des pressions inflationnistes

La conséquence positive de cette situation a été le ralentissement notable des pressions inflationnistes. Le niveau des revenus pétroliers est resté important en 2009 malgré la baisse de la production, mais ceux-ci n’ont pas donné lieu à une augmentation parallèle de l’offre de crédit, qui a été la principale source d’inflation dans la période 2007-2008, en particulier dans l’immobilier. Le retour de pressions inflationnistes dans certains pays (notamment Arabie Saoudite et Koweit) est essentiellement dû à la hausse récente des prix des biens alimentaires sur les marchés internationaux. 

Depuis le début de l’année 2010, l’ampleur de la reprise est liée, d’une part, au soutien des dépenses publiques à l’activité économique et, d’autre part, aux conséquences de l’éclatement des bulles de crédit et d’actif sur le climat des affaires.

-) La dépense publique comme moteur de l’activité

Ayant été peu affectés par l’éclatement de la bulle immobilière et disposant d’importantes ressources financières, l’Arabie Saoudite, Abu Dhabi et le Qatar ont mis en place d’importants programmes de dépenses publiques en soutien à l’activité.

Arabie Saoudite

En 2009, la contraction de l’économie (liée à la réduction de la production pétrolière) a été évitée (+0,6% de croissance réelle du PIB) grâce au soutien des dépenses publiques, et malgré le faible dynamisme du secteur privé non pétrolier. En 2009, la croissance du crédit au secteur privé a été la plus faible depuis une décennie (0% en rythme annuel). Sur la première moitié de l’année 2010, la reprise du crédit reste très timide (+4,4% en juin 2010 en rythme annuel) et ne permet pas à la demande privée (consommation et investissement) de repartir. Le soutien public à l’activité est massif. Le gouvernement saoudien a mis en place un plan de développement sur cinq ans (2010-14) pour un montant de 364 milliards de dollars. Son principal champ d’application est le secteur de l’éducation (50%) et celui des activités médico-sociales (20%). Par ailleurs, les projets de développement de villes nouvelles restent en cours (même si leur ampleur a été réduite en raison de la crise économique et de la moindre implication du secteur privé qu’attendu) et impliquent des dépenses publiques importantes dans le domaine des infrastructures. Plus généralement, les dépenses publiques prévues en 2010 dépassent de 15% celles prévues par le budget en 2009, déjà une année record pour les dépenses publiques.

Abu Dhabi

L’émirat d’Abu Dhabi tente d’accélérer la diversification et la croissance de son économie en augmentant les dépenses publiques consacrées aux infrastructures (énergie notamment) et au développement d’une zone industrielle et portuaire avec pour objectif de faire de l’émirat un centre manufacturier régional. L’évolution du crédit au secteur privé est difficile à évaluer en l’absence de données déconsolidées au niveau de chacun des émirats composant la fédération des Emirats Arabes Unis (EAU). La poursuite de la baisse du crédit au secteur privé (-0,4% en septembre 2010 en rythme annuel après -1,7% en juin 2010) est principalement imputable à la situation économique détériorée de Dubaï. En raison de leur exposition au marché de l’immobilier et aux conglomérats parapublics de Dubaï, les banques de l’ensemble des émirats ont été fragilisées par la crise de la dette à Dubaï, ce qui les conduit actuellement à privilégier l’assainissement de leur bilan au détriment de la distribution de crédit.

Qatar

L’économie du Qatar est dominée par le développement de la production de gaz (le Qatar est le premier producteur mondial de LNG) et d’industries intensives en énergie. La poursuite du développement du secteur gazier permet à l’émirat d’enregistrer des taux de croissance importants (+15% en termes réels attendu en 2010 après 8% en 2009). Par ailleurs, le gouvernement maintient des niveaux de dépense élevés dans les domaines de l’éducation, de la santé et des infrastructures. Le crédit au secteur privé a modérément ralenti (+9% en juin 2010 en glissement annuel), tandis que l’exposition des banques au secteur public (gouvernement et entreprises publiques) connaît actuellement une croissance forte (+82% en juin 2010 en rythme annuel), reflétant un transfert de l’exposition des banques vers des contreparties souveraines moins risquées.

Au total, ces trois pays qui ont en commun des ressources importantes provenant de la production d’hydrocarbures (pétrole pour l’Arabie Saoudite et Abu Dhabi et gaz pour le Qatar) et pour lesquels l’Etat est dominant dans l’économie ont pu mener des politiques de dépenses publiques en soutien à la croissance et ainsi compenser l’assèchement du crédit domestique.

-) Désendettement et gouvernance défaillante pèsent sur la croissance à Dubaï et Koweit

Même si leurs situations financières diffèrent (contrairement à Dubaï, le Koweit dispose d’une importante richesse pétrolière et financière), Dubaï et Koweit ont été affectés par les conséquences de l’éclatement des bulles d’actif (principalement dans l’immobilier) à partir de fin 2008 et par l’assèchement des canaux traditionnels de crédit. La conséquence principale en a été une forte hausse du risque de crédit et un doublement des créances douteuses en proportion des crédits totaux dans le bilan des banques (de 5% environ avant la crise à plus de 10% en 2010). Par ailleurs, les insuffisances de certains aspects de l’environnement des affaires – opacité financière des structures parapubliques à Dubaï et réglementation insuffisante des institutions financières non bancaires au Koweit – sont des freins importants à la reprise économique.

Dubaï

Dubaï a enregistré un recul du PIB d’environ 3% en termes réels en 2009, et une croissance quasi nulle est attendue pour 2010. L’effondrement du secteur immobilier (équivalant à un quart du PIB en 2009) et les difficultés financières des conglomérats parapublics ont remis en question le modèle de développement de Dubaï à moyen terme. L’accord sur le rééchelonnement de la dette de Dubai World en octobre 2010 et l’émission souveraine de 1,25 milliard de dollars en novembre 2010 ont permis à Dubaï d’éclaircir son horizon à court terme et d’éviter une crise de nature systémique. Cependant, les perspectives de moyen terme demeurent difficiles, ce qui incite les investisseurs à la prudence. Le calendrier de remboursement des différentes entités de Dubai Inc6 reste chargé (environ 20 milliards de dollars sont dus en 2011 et 2012 par rapport à un PIB dubaïote estimé à 70 milliards de dollars en 2009), les flux de liquidités sont faibles en raison de la dépression persistante du marché immobilier et de la valeur des actifs. Après une chute de plus de 50% des prix de l’immobilier par rapport au point haut de 2008, la consolidation du marché immobilier pourrait perdurer au moins jusqu’à mi-2011. La distribution de crédit a fortement ralenti, la dégradation de leur bilan incite les banques à une politique de prêt très prudente. L’essentiel des liquidités disponibles est employé au désendettement. Par ailleurs, pour faire face à leurs obligations, les conglomérats parapublics devront procéder à d’importantes cessions d’actif, ce qui est susceptible de réduire la base productive de l’émirat. Au total, la perte de son principal moteur de croissance – l’immobilier au sens large – oblige Dubaï à revenir à son modèle antérieur de développement, fondé sur ses infrastructures de transport et de logistique accompagné d’un rythme de croissance comparable à celui observé avant le boom.

Koweit

La situation économique de Koweit – dont la structure repose très largement sur le pétrole – est beaucoup plus favorable que celle de Dubaï. La contraction de l’économie a été importante en 2009 (-4,8% en termes réels) en raison de la réduction de la production pétrolière et de la faiblesse de l’activité dans le secteur privé. La faible croissance du crédit au secteur privé (+2,6% en septembre 2010 en glissement annuel) devrait continuer de peser sur l’activité économique dans les prochaines années. La dépense publique – par l’intermédiaire d’un plan de déve- loppement de plus de 100 milliards de dollars – devrait être un soutien à l’activité, mais les contraintes politiques locales sont susceptibles de retarder sa mise en œuvre. L’éclatement de la bulle immobilière et l’endettement incontrôlé des fonds d’investissements locaux (« investment houses ») ont provoqué un certain nombre de faillites7 qui ont pesé sur la qualité des actifs des banques commerciales. Cette situation est principalement due aux insuffisances de la réglementation de certains segments du secteur financier non bancaire. Comme pour le cas dubaïote, la crise a révélé des failles importantes en termes de gouvernance et de réglementation qui étaient auparavant cachées par l’emballement spéculatif financé par du crédit local et international bon marché.

-) Ralentissement modéré en Oman et à Bahrein

Bahrein et Oman sont resté relativement épargnés par les difficultés économiques qu’ont connues les autres pays du CCG.

Bahrein

L’absence de rente pétrolière importante à Bahrein peut être un élément de vulnérabilité budgétaire mais évite au pays de connaître des évolutions erratiques en termes de croissance et de crédit bancaire. Par ailleurs, la qualité de la réglementation du secteur financier a préservé l’économie locale de l’emballement spéculatif, même si les banques locales sont affectées par la baisse importante des prix de l’immobilier. En 2009, le PIB réel a crû de 3%. Cependant, le ralentissement économique régional a affecté l’activité domestique, et l’accroissement des dépenses publiques permet de soutenir la croissance. Il semble que le crédit au secteur privé soit le premier au niveau régional à retrouver un certain dynamisme (+10,5% en rythme annuel en septembre 2010).

Oman

L’économie omanaise est restée relativement à l’écart du boom économique des années récentes. Le pays n’a pas connu de bulle spéculative, et la politique de prêt des banques est restée assez prudente à l’image de la politique macroéconomique du gouvernement. Par conséquent, le rythme de croissance est resté assez soutenu durant la période de crise (+3,6% en termes réels en 2009). Néanmoins, on constate, comme dans les autres pays du GCC, une réduction notable de la croissance du crédit au secteur privé (+4,3% en rythme annuel en septembre 2010).

Au sortir de la crise, la situation des pays du Golfe est assez contrastée, l’ampleur des ressources budgétaires disponibles et l’exposition des banques aux conséquences de l’éclatement des bulles d’actifs étant les principaux facteurs discriminants. Il ressort de cet état des lieux après la crise que la faible croissance du crédit bancaire au secteur privé est la principale contrainte qui empêche les secteurs privés non pétroliers des pays du CCG de retrouver des rythmes de croissance soutenus.

Situation du secteur bancaire

Les secteurs bancaires des différents pays du Golfe n’ont pas été directement affectés par la crise financière internationale de l’automne 2008. Les banques du Golfe sont assez peu intégrées aux marchés financiers internationaux. Par conséquent, elles n’ont pas eu à subir de forte dépréciation d’actif ni de difficultés aiguës de financement, les dépôts domestiques constituant l’essentiel des ressources bancaires. Par ailleurs, les banques ont été diversement touchées par les différents évènements de crédit négatifs survenus depuis 2008 dans le Golfe. Les conséquences sont restées locales dans une large mesure, et les soutiens gouvernementaux aux secteurs bancaires ont été importants, parfois même bien au-delà des nécessités réelles des banques. A côté des difficultés conjoncturelles rencontrées par les banques, il semble que des éléments structurels restreignent leur activité.

-) Amélioration générale de la liquidité, sauf aux Emirats

Les banques du Golfe ont assez peu souffert de l’assèchement de la liquidité bancaire international consécutif à la crise financière de fin 2008. Les ressources bancaires sont essentiellement constituées de dépôts domestiques. L’endettement extérieur des banques est limité, et les émissions obligataires restent marginales en raison du développement encore embryonnaire des marchés de dette dans la région. Par ailleurs, souvent d’une manière préventive, les gouvernements et banques centrales du Golfe ont mis en œuvre des plans de soutien aux secteurs bancaires domestiques (réduction des taux de réserve obligatoire, apport de dépôts gouvernementaux ou encore compensation de pertes réalisées sur les marchés d’actif).

D’une manière générale, les ratios de liquidité se sont améliorés sur l’ensemble des pays de la zone. Le ratio crédits sur dépôts atteint actuellement environ 90% contre 98% en 2008. Le rythme de progression des dépôts bancaires (lié à la hausse des revenus pétroliers d’un pays) est légèrement supérieur à celui du crédit. Plus significativement, l’écart entre les taux interbancaires domestiques et le LIBOR se sont réduits à partir du début de l’année 2010. Etant donné l’ancrage des monnaies locales sur le dollar américain (sauf au Koweit8) et les très bonnes situations de liquidité et solvabilité financière des pays du Golfe, l’écart de taux doit normalement être très réduit. Ce dernier reste important sur le marché interbancaire des EAU (environ 200 points de base fin novembre 2010 entre l’EIBOR et le LIBOR) malgré le soutien public aux banques locales (apport en liquidité et en capital). Une première explication au maintien d’un tel écart se trouve dans la situation économique des EAU où les banques locales doivent procéder à un assainissement de leur actif et conduisent des politiques de crédit beaucoup plus prudentes qu’auparavant. Cependant, il semble aussi que le comportement stratégique de certaines banques locales ayant intérêt à maintenir un taux interbancaire élevé joue un rôle non négligeable dans ce maintien de l’EIBOR à un tel niveau.

Au final, même si les ratios de liquidité demeurent relativement élevés, cela ne semble pas être la contrainte principale au ralentissement de l’offre de crédit.

-) Détérioration de la qualité des actifs mais solidité financière

L’ensemble des banques du Golfe a vu la qualité de ses actifs se réduire depuis 2009, impliquant une hausse du provisionnement et donc une pression à la baisse sur la distribution de crédit. La première cause de cette détérioration est le ralentissement économique survenu après une période de forte croissance du crédit de la période 2004-08. Cela implique mécaniquement une baisse de la qualité du portefeuille de prêts des banques. Le niveau des créances douteuses des banques du Golfe était bas avant la crise, et le ralentissement économique a eu un impact assez modéré sur celui-ci. Ainsi les créances douteuses en proportion des crédits totaux ont augmenté de 2,5% en moyenne fin 2008 à environ 5% fin 2009 en Arabie Saoudite, en Oman et au Qatar. Cependant, certains analystes estiment que les banques du Golfe n’ont pas complètement révélé l’ampleur de leurs actifs douteux et que cela a un impact dépressif sur la distribution de crédit.

L’éclatement des bulles immobilières et les difficultés financières d’entreprises surendettées ont été les principales sources de détérioration des actifs bancaires, notamment à Dubaï et au Koweit où l’immobilier et la construction comptent pour un tiers des crédits bancaires. Dans ces deux pays, les taux de créances douteuses ont doublé et devraient dépasser 10% en 2010. La situation devrait au mieux se stabiliser en 2011. Ces deux pays ont concentré plus de la moitié du coût de la crise pour les banques à l’échelle du Golfe sur la période 2008-099. Le secteur bancaire de Bahrein a aussi été touché par la baisse des prix de l’immobilier local, le taux de créances douteuses devrait y atteindre environ 7% en 2010.

Cependant, la solidité financière des systèmes bancaires n’est pas en jeu, même à Dubaï et au Koweit. Après l’accord sur le rééchelonnement de la dette de Dubai World, tout risque systémique de crédit semble écarté pour le moment aux EAU. Par ailleurs, les niveaux de capitalisation des banques du Golfe sont dans leur ensemble satisfaisants. Fin 2009, plus de 93% des banques ont un ratio de capitalisation supérieur à 10%10. Une partie importante des banques du Golfe a l’Etat pour actionnaire principal (de 13% en moyenne au Koweit à 52% aux EAU), et le soutien public en cas de difficultés peut être important 11 . Les autorités monétaires des EAU ont injecté 19 milliards de dollars dans les banques locales (équivalant à 9% du PIB) en 2009.

-) Quelles contraintes à la reprise du crédit ?

L’absence de reprise du marché du crédit dans le Golfe ne semble pas uniquement liée à la situation financière du secteur bancaire en lui-même. Les différents évènements de crédit des années 2008 et 2009 ont mis en lumière certains défauts structurels des économies du Golfe. Il apparaît que les structures et le fonctionnement des économies du Golfe n’ont pas évolué en adéquation avec l’ouverture économique et la croissance forte de la période 2004-2008.

– Défaillance de la gouvernance économique

Les économies du Golfe dans leur ensemble sont dominées par une structure familiale du milieu des affaires. Les intérêts des familles dominantes dans le milieu des affaires sont multiples (industrie, services, banques), et ces dernières entretiennent souvent des liens étroits avec les différentes familles régnantes. Ce capitalisme familial peut présenter certains avantages : stabilité de l’actionnariat, vision à long terme des intérêts de l’entreprise. Mais il favorise aussi les relations interpersonnelles dans la conduite des affaires, parfois au détriment d’un cadre contractuel officiel, ainsi qu’une certaine forme d’opacité. Les différentes crises de dette survenues dans le Golfe ont pour trait commun l’absence de réglementation adaptée et l’opacité des liens économiques et capitalistiques des différents agents économiques. Ce que l’on pourrait regrouper sous le vocable de gouvernance économique n’a pas évolué au même rythme que les flux commerciaux et financiers qui ont fortement accéléré dans le CCG depuis le début des années 2000. Les conséquences de cette insuffisance dans la gouvernance économique au moment de la survenance d’incidents de crédit ont incité les investisseurs – principalement les banques – à plus de prudence à partir de 2009 et donc à avoir un comportement marqué par une forte aversion vis-à-vis du risque.

– Perspectives incertaines

Par ailleurs, la récente période de forte croissance économique dans le Golfe n’a pas permis pour le moment de dégager de nouvelles sources de croissance à long terme, en dehors des secteurs de l’énergie et des industries liées. Depuis 2000, les secteurs les plus dynamiques ont été la construction et les services (notamment financiers), ce qui a favorisé la formation de bulles d’actifs alimentées par l’afflux de pétrodollars. Malgré une volonté politique affichée de favoriser le développement d’un secteur privé créateur d’emplois, les pays du Golfe restent dépendants de secteurs intensifs en capital et en énergie (énergie, pétrochimie, aluminium) et ne parviennent pas à créer suffisamment d’emplois pour faire face au problème récurrent du chômage12. Sur l’ensemble de la région, le secteur le plus important en termes d’emplois est celui de la construction (29% de l’emploi total dans le GCC). C’est un secteur peu qualifié et dont la main-d’œuvre est très majoritairement étrangère. L’essentiel du PIB reste concentré sur le secteur énergétique (un tiers du PIB total du GCC et 1,5% des emplois). Les moyens pour obtenir une croissance plus créatrice d’emplois pour la population nationale dans le Golfe sont connus (notamment une réforme en profondeur des systèmes d’éducation) et restent des défis de long terme.

Au total, la crise économique et financière a mis en lumière deux failles qui, pour le moment, freinent la reprise de l’activité dans le Golfe. D’une part, les défauts de la gouvernance économique incitent les investisseurs à la prudence envers une partie du secteur privé. D’autre part, malgré la richesse financière des Etats, les perspectives économiques des pays du Golfe sont mitigées.

L’absence de reprise du crédit au secteur privé dans les pays du GCC est une conséquence normale, d’une part, du ralentissement économique et, d’autre part, des évènements de crédit négatifs survenus depuis 2008. Les ménages comme les entreprises privilégient le désendettement, tandis que les banques se montrent prudentes dans leurs allocations de crédit. Plusieurs semestres seront encore nécessaires à l’assainissement de la situation financière des banques, entreprises et ménages dans le Golfe.

Cependant, au-delà de ces facteurs cycliques, il semble que la crise ait révélé des contraintes structurelles à une reprise du crédit et de la croissance du secteur privé. Les limites de la diversification des économies du Golfe et, surtout, les failles de la gouvernance économique – cadre légal parfois inadapté, opacité des comptes – restent des défis de moyen et long terme importants pour les pays du Golfe.

NOTES

  1. Arabie Saoudite, Bahrein, Emirats Arabes Unis (EAU), Koweit, Oman, Qatar.
  2. Le prix moyen du baril de Brent a atteint 62 dollars en 2009, tandis qu’en 2010, 80 dollars sont attendus.
  3. Les défauts des groupes saoudiens Saad et Al-Gosaibi, et de certaines « investment houses » au Koweit, et la crise de la dette des conglomérats parapublics à Dubaï.
  4. Les nouveaux prêts octroyés par les banques internationales s’élevaient à 39 mds de dollars en 2009 (32 mds pour les trois premiers trimestres de 2009) contre 81 mds en 2008 et 123 mds en 2007. Ils se sont portés en priorité sur le financement des grands projets d’infrastructure à garantie publique.
  5. On prévoit 15% de croissance réelle du PIB au Qatar en 2010 en raison de la mise en production d’un nouveau train gazier.
  6. Dubai Inc est le nom générique donné à l’ensemble formé par les trois conglomérats parapublics (Dubai World, Dubai Holding et Investment Corporation Dubai) engagés notamment dans l’immobilier, et qui ont été à l’origine du développement économique accéléré de l’émirat entre 2004 et 2008.
  7. En septembre 2010, l’équivalent de 13,5% de la dette totale des « investment houses » a été déclaré en défaut, soit près de 4 mds de dollars (3% du PIB à fin 2009).
  8. Le dinar koweitien est lié à un panier de monnaies dans lequel le dollar est majoritaire.
  9. Le coût de la crise est estimé par le montant des provisions retranché des récupérations effectuées (S&P, septembre 2010, « Gulf banks are weathering the storm but still face tight liquidity »).
  10. Soit le double du ratio moyen pour les 45 premières banques mondiales selon S&P (septembre 2010).
  11. A Bahrein et au Koweit des banques au bord de la faillite (Arab Banking Corporation, Gulf International Bank et Gulf Bank) ont massivement été recapitalisées par les autorités. Par ailleurs, en soutien au secteur bancaire, le gouvernement qatari a acquis 10% du capital des banques locales. 12 Le chômage reste relativement élevé parmi les nationaux, notamment en Arabie Saoudite (officiellement aux environ de 10%), et la pression sur le marché du travail restera forte à moyen terme puisqu’on estime qu’environ un tiers de la population du Golfe a moins de 15 ans.
  12.  

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