L’histoire du deuxième marché du travail

par Ulrike Kastens, Economiste chez DWS

Les États-Unis restent attachés aux principes du marché libre, même pour les salariés. En revanche, l'Europe a de plus en plus recours au chômage partiel pour protéger les emplois. Est-ce sage ?

L'un des rares avantages d'une crise est qu'elle permet d'évaluer les avantages potentiels de différentes politiques économiques dans des pays touchés de manière similaire. Au cours des dernières semaines, les nouvelles concernant le marché du travail américain sont allées de mal en pis. En l'espace de trois semaines, plus de 15 millions d'Américains ont demandé des allocations de chômage en dépit de diverses mesures d'aide1. Si l'on tient compte du nombre probable de salariés, le taux de chômage pourrait atteindre 13 %, selon Christian Scherrmann, économiste US chez DWS.

Pendant ce temps, en Europe, les demandes d'allocations de chômage partiel subventionnées par le gouvernement, ou "Kurzarbeit", explosent. Rien qu'en Allemagne, 725 000 entreprises ont déposé une demande de chômage partiel avant le 13 avril2. La majorité d'entre elles sont vraisemblablement dans le secteur des services, qui est particulièrement touché par une chute de la demande. Toutefois, de plus en plus d'entreprises du secteur de la mécanique et de la construction d'installations technologiques demandent également à bénéficier des programmes "Kurzarbeit". Rien que dans l'industrie métallurgique et électrique, cela concerne probablement déjà 2,2 millions de salariés. À titre de comparaison, pendant la crise financière, il n'y avait " seulement " que 1,4 million de salariés qui travaillaient selon le modèle "Kurzarbeit". Ces programmes ont permis d'éviter les licenciements pendant la récession qui a suivi, en réduisant le temps de travail, le gouvernement compensant une partie des revenus perdus par les employés.

Les programmes "Kurzarbeit" ne sont plus seulement un phénomène allemand. Au contraire, des dispositifs similaires se sont répandus, en particulier dans les pays où le principe de libre marché est traditionnellement moins fiable qu'aux États-Unis. En France, le chômage partiel a déjà atteint des dimensions autrefois inimaginables. Avec 6,3 millions de travailleurs en chômage partiel, il représente aujourd'hui plus d'un cinquième des salariés français. Une augmentation considérable est également attendue en Italie et en Espagne, bien au-delà des niveaux de la crise financière de 2008. Après la faillite de Lehman Brothers, le chômage partiel a contribué à freiner la hausse du chômage, en particulier en Allemagne, comme le montre notre "graphique de la semaine". Aux États-Unis, en revanche, le chômage a grimpé en flèche, mais les nouveaux emplois ont été créés plus rapidement pendant la reprise. "Le travail à temps partiel est un bon moyen d'atténuer les effets temporaires d'une crise, surtout compte tenu de la pénurie de travailleurs qualifiés en Allemagne", explique Ulrike Kastens, économiste chez DWS. Toutefois, ce modèle pourrait s'avérer difficile à appliquer à d'autres pays européens. Dans le secteur des services notamment, il existe beaucoup d'emplois plus simples, souvent associés à un contrat à durée déterminée. Tôt ou tard, l'Europe pourrait bien elle aussi connaître son lot de licenciements.

NOTES

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