Paroles, Paroles, Paroles…

par Emmanuel Auboyneau, Gérant Associé, Xavier d’Ornellas, Gérant Associé – Pôle Gestion Flexible, avec la participation de Jean-Michel Mourette, économiste chez Amplégest

Depuis quelques semaines, la psychologie des acteurs et des observateurs de la vie économique et financière a changé. Aujourd’hui de simples discours et déclarations ne suffisent plus à rassurer et à masquer les réalités. « Encore des mots, toujours des mots, les mêmes mots » dit la chanson. Ces mots, à force d’être entendus, n’ont aujourd’hui plus le même impact. Les marchés veulent des actes concrets, des éléments objectifs. Deux exemples illustrent ce changement de comportement.

La France, depuis des mois, voire des années, promet beaucoup et délivre peu. De rodomontades sur la réduction des déficits, en incantations sur la croissance économique, les mots des politiques français ont progressivement perdu de leur impact, jusqu’à brouiller totalement le discours général. La parole française sur la gestion du pays est largement discréditée sur la scène nationale et internationale, surtout si on la compare aux actions concrètes et fortes menées dans la plupart des pays voisins.

Le deuxième exemple, le plus frappant, vient de la BCE. Le 26 juillet 2012 Mario Draghi prononçait ces mots qui allaient agir comme un véritable catalyseur : « Within our mandate, The ECB is ready to do whatever it takes to preserve the euro. Believe me it will be enough »*. Pendant plus de deux ans ces propos, réitérés à plusieurs reprises, ont permis aux taux européens, notamment dans les pays périphériques, de baisser fortement et de sauver la zone euro. Ce mouvement s’est fait sans que la BCE n’ait eu besoin d’agir par un quantitative easing massif comme ses consoeurs américaine et japonaise. La force des mots suffisait…Chapeau l’artiste ! La réunion de début octobre a marqué la fin du numéro de « Mario le magicien ». Les mêmes mots, désormais banalisés, ont laissé cette fois les investisseurs sur leur faim. Ils veulent une action forte et réelle. Les décisions annoncées par la BCE sont insuffisantes à leurs yeux. Le mauvais chiffre allemand de production industrielle en août (-4%), même s’il s’explique en partie par des facteurs saisonniers, a été l’étincelle qui a embrasé les marchés, devenus insensibles aux belles paroles de la BCE. La situation européenne, décrite quotidiennement par les commentateurs, inquiète : croissance en berne, manque de cohérence entre Etats, intérêts divergents…

Face à ce changement de psychologie, nous devons désormais nous concentrer sur les données concrètes et objectives de l’économie mondiale. Notre vision macro-économique n’a pas varié et nous misons toujours sur une amélioration globale pour 2015. Les USA viennent de publier un PIB en hausse de 3,5% pour le troisième trimestre (après +4,6% pour le deuxième trimestre). Nous confirmons notre pronostic d’une croissance d’environ 3% pour 2015, alors même que le QE sera achevé et que les taux auront commencé leur remontée. Cette croissance permet aux sociétés américaines de délivrer des performances souvent positives.

En Europe, nous constatons que l’économie a touché son point bas et que les pays relèvent progressivement la tête de manière plus homogène qu’auparavant. Etonnamment, et contrairement à l’idée générale, nous voyons dés maintenant l’amélioration de certains chiffres (production industrielle, perspectives de production…). Aidée par la hausse du dollar, la baisse du pétrole et par la reprise graduelle du crédit aux entreprises, l’Europe, cahin caha, devrait déjouer les pronostics pessimistes qui sont encore légion. La BCE devrait soutenir ce mouvement par des actions concrètes et pragmatiques, suffisantes à nos yeux.

Le Japon va bénéficier d’un nouveau QE massif, décidé il y a quelques jours. Cette bonne nouvelle pour les marchés découle d’une mauvaise nouvelle pour l’économie : Le Japon tarde à sortir de sa spirale déflationniste, en dépit de la politique très proactive du gouvernement ABE. Nous croyons, là aussi, à une lente amélioration dans les prochains mois. Enfin, le monde émergent n’est pas, selon nous, une menace pour l’économie mondiale même si certains pays (Brésil, Afrique du Sud, Russie) sont plus inquiétants.

En dépit de ce constat économique, les marchés semblent être entrés dans une nouvelle phase, plus volatile, où les investisseurs ne se contentent plus de belles paroles. Les mots ne soignent pas les maux. Ce surcroit de nervosité rend difficile un pronostic à court terme. Les bonnes nouvelles économiques pourraient être compensées par le début de la hausse des taux aux USA. Nous sommes aujourd’hui un peu plus prudents dans notre allocation tactique, même si nous considérons que toute faiblesse des actions sera plutôt une occasion d’achat sur toutes les zones.

NOTES

* « Conformément à notre mandat, la BCE est prête à tout faire pour préserver l’euro. Croyez-moi, cela sera suffisant »