Zone euro : la stabilité a du bon

par Bénédicte Kukla, Senior Investment Strategist chez Indosuez Wealth Management

Après un choc énergétique majeur, l’économie de la zone euro affiche des performances inférieures aux anticipations du marché, mais parviendra à éviter la récession en 2023. Nos prévisions de croissance du PIB pour l’année en cours restent modestes et masquent de nombreuses divergences, mais elles n’ont pas changé depuis début janvier. La stabilité a parfois du bon. Dans ce contexte, faut-il encore favoriser les investissements en zone euro ?

CROISSANCE DE LA ZONE EURO : DES DIVERGENCES ACCRUES

Après avoir évité la récession fin 2022, la zone euro partait sur de meilleures bases en 2023 : les marchés ont été continuellement surpris par des chiffres plus solides qu’anticipé, la région commençant à se stabiliser en même temps que les prix de l’énergie. Si les surprises à la baisse sont

aujourd’hui plus nombreuses, on observe une divergence accrue entre les États membres en

fonction de leur mix énergétique, de leurs politiques et du poids des services dans leur économie.

L’économie allemande, qui n’a bénéficié que marginalement de la réouverture de l’économie chinoise et se caractérise par des consommateurs hésitants après le choc énergétique massif de 2022, constitue à ce stade notre plus grande déception. En France, les chiffres de l’industrie et des services au premier trimestre ont été entachés par la montée des tensions sociales liées à la récente réforme des retraites, ce qui laisse espérer un rebond au deuxième trimestre.

La croissance de la région provient désormais des pays d’Europe du Sud. Après la levée de l’incertitude politique, le PIB italien a progressé de 0,5 % en variation trimestrielle au premier trimestre 2023 et a dépassé les prévisions (0,2 %). La croissance a été tirée par les secteurs de l’industrie et des services, ainsi que par la demande d’exportations liée à la vigueur du tourisme hivernal. De son côté, la croissance espagnole – qui bénéficie d’une consommation privée domestique toujours solide et d’un afflux de touristes – suscite de nombreux espoirs pour 2023. La politique budgétaire a permis d’amortir la hausse de l’inflation, certes parmi les plus faibles de la zone euro en avril.

MARGES DES ENTREPRISES : UN ÉLÉMENT À SURVEILLER

Les divergences observées au sein de la zone euro n’ont pas aidé les responsables politiques, que

ce soit sur le plan budgétaire ou monétaire. Si la politique budgétaire reste neutre au niveau de la

région, les discussions de l’automne prochain s’annoncent houleuses. Sur le front de l’inflation, les

prix ont augmenté de 7 % en glissement annuel (GA) en avril, avec des taux nationaux allant de 2 %

à 15 % et une différence de cinq points entre les quatre principales économies (graphique 1).

Cela rend tout assouplissement de la politique de la Banque centrale européenne (BCE) difficilement

justifiable d’un point de vue macroéconomique. Sur le plan sectoriel, la baisse des prix des biens industriels a jusqu’à présent été compensée par la hausse de l’inflation des services, qui ne montre

aucun signe de ralentissement et ajoute à l’inconfort de la BCE.

Le comportement des entreprises aura un impact sur la pérennité de l’inflation. À ce stade, celle-ci

n’a pas eu d’effet véritable sur les marges des entreprises, car les prix ont été répercutés sur les consommateurs. Toutefois, l’atténuation des tensions au niveau de l’offre, la suppression progressive

du soutien budgétaire, l’épuisement de l’excès d’épargne privée et le ralentissement de l’activité économique mondiale devraient peser sur les prix et contraindre les entreprises à réduire leurs marges en 2023. Le récent resserrement du crédit pourrait également freiner la demande.

Néanmoins, comme l’a récemment souligné la Commission européenne, si la part des bénéfices ne s’ajuste pas, les augmentations de salaire finiront par provoquer une nouvelle hausse de l’inflation,

renforçant les craintes de voir apparaître une spirale salaires/prix. En raison de conditions météorologiques difficiles en Europe, les prix des denrées alimentaires représentent également un risque croissant. Dans l’ensemble, les prix de l’énergie et des produits industriels devraient contribuer à freiner l’inflation. Mais comme l’a rappelé la BCE, les perspectives d’inflation demeurent

« trop élevées sur une période trop longue ».

REPRISE DU TOURISME

Enfin, le tourisme (qui représente directement 5 % de l’économie de la région) dispose encore d’une marge de progression en zone euro. Selon les données les plus récentes, le trafic aérien en Europe a atteint, au mois de mars, 88 % du niveau qui prévalait en mars 2019. Fait important, ces chiffres n’intègrent pas le rétablissement complet du tourisme impliquant les voyageurs long-courriers, plus « rentables » car ils dépensent davantage et séjournent plus longtemps que les touristes régionaux.

Si les voyageurs américains sont aujourd’hui de retour, le flux des touristes chinois vers les destinations européennes devrait rester, en 2023, inférieur de 60 à 70 % aux niveaux pré-pandémie. En effet, les délais dans les renouvellements de passeport, l’incertitude politique et l’essor des attractions touristiques domestiques ont retardé le rétablissement complet des voyages en provenance de la Chine vers l’Europe.

PRINCIPAUX ENSEIGNEMENTS POUR L’INVESTISSEUR

Malgré ces perspectives sombres, les actions européennes sont sous-évaluées par rapport à leurs homologues américaines (graphique 2), alors même qu’elles bénéficient d’un biais de qualité (notamment grâce aux produits de luxe). Le ciblage des exportateurs européens est un thème d’investissement clé depuis la mi-2022, qui permet de privilégier la qualité et de miser sur la reprise chinoise (même si celle-ci s’est quelque peu essoufflée récemment.

Sur les marchés de taux, les investisseurs en obligations européennes devront rester patients, car la BCE n’a pas tout à fait terminé son cycle de resserrement. À plus long terme, le nouveau plan d’investissement de l’Union Européenne (UE) associé au Pacte Vert pour l’Europe5 va dans la bonne direction et renforcera la compétitivité de la région sur le segment des investissements dans des initiatives durables.